Publication du rapport : « Souveraineté énergétique : 30 propositions pour les 30 prochaines années »

Jeudi 30 mars 2023, la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, présidée par Raphaël Schellenberg (LR, Haut-Rhin) a adopté son rapport présenté par Antoine Armand (RE, Haute-Savoie). A l’issue du délai de cinq jours francs prévu par l’article 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête a publié le 6 avril dernier son rapport intitulé « Souveraineté énergétique : 30 propositions pour les 30 prochaines années » sur le site de l’Assemblée nationale.

Créée par la Conférence des présidents du 11 octobre 2022 au titre du droit de tirage attribué au groupe Les Républicains, la commission d’enquête s’est attachée à examiner le contenu des concepts d’indépendance et de souveraineté énergétiques appliqués à la France, ainsi que les politiques publiques et décisions définies et mises en œuvre dans le secteur énergétique. La politique énergétique étant élaborée sur un temps long, la commission d’enquête a étendu ses travaux aux trois dernières décennies. Elle a ainsi entendu, sous serment, 88 personnes : experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens Premier ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquêtes parlementaires – deux anciens Présidents de la République.

 

Le rapport présente, d’abord, notre état de santé énergétique et retrace le récit de 30 ans de politiques énergétiques. De ces trois décennies, le rapporteur en déduit « six grandes erreurs énergétiques qui ont conduit la France à accumuler un retard considérable en terme de souveraineté énergétique ». Il en tire « six leçons générales et six chantiers opérationnels déclinés en 30 propositions à mettre en avant pour les décennies à venir pour redonner à la France un destin énergétique » Antoine Armand souligne que « ce rapport constitue donc avant tout une interpellation aux gouvernements et parlements d’aujourd’hui et de demain, qui partagent la responsabilité de donner un destin énergétique, c’est-à-dire une ambition à la fois écologique et souveraine, à la France ».

Les six chantiers opérationnels

  • Se doter d’une ambition énergétique pour les 30 prochaines années au moins, qui se traduise dans une loi de programmation étayée scientifiquement et industriellement à cet horizon et qui intègre pleinement l’augmentation considérable de la consommation d’électricité compatible avec nos ambitions climatiques et industrielles. [propositions 1 à 5]
  • Cadre européen : réformer, dans l’année et en profondeur, le marché européen, en lien avec nos choix industriels nationaux, et suspendre ou revoir les règles qui en l’état menacent notre industrie : l’ARENH, le statut des concessions hydroélectriques ; exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom. [propositions 6 à 9]
  • Décarboner notre mix énergétique en accélérant les efforts de sobriété et d’efficacité et en s’appuyant sur les énergies renouvelables thermiques. [propositions 10 à 13]
  • Renforcer notre souveraineté sur toute la chaîne de valeur et être à la hauteur des besoins en compétences du secteur énergétique et en particulier d’électricité. [propositions 14, 15 et 30]
  • Parc nucléaire : Refaire de la filière nucléaire la grande force française, et en particulier établir un plan évolutif de fermeture de nos centrales au fur et à mesure que l’ASN en décidera et préparer en conséquence le renouvellement complet du parc, ainsi que le renforcement du cycle du combustible ; après évaluation scientifique, arbitrer entre l’accélération de la recherche sur le multirecyclage en REP et changer d’échelle sur la recherche 4ème génération (sans pré-choix technologique) [propositions 16 à 27]
  • Énergies renouvelables : sur le fondement d’études de rentabilité énergétique et de coût complet, lancer un plan d’installation contraignant de certaines sources ENR sur le territoire. [propositions 28 et 29]

« Il est donc devenu urgent d’agir »

En conclusion de son propos introductif, le président de la commission d’enquête, Raphaël Schellenberger, affirme que « trop de temps a été perdu et nous éloigne des objectifs de décarbonation et de la temporalité de la mise en œuvre technique qui permettra son acceptation sociétale. Une décarbonation réussie ne peut pas passer par la décroissance. Elle doit passer par le progrès. Celui-ci n’est possible que grâce à la mobilisation des filières industrielles qui ont besoin de temps pour se structurer. Il est donc devenu urgent d’agir ».

La liste des propositions

Ces 30 recommandations n’ont une chance d’être développées, adoptées, mises en œuvre sérieusement et de manière pérenne qu’à deux conditions qui ont pu manquer par le passé :

• Instruire scientifiquement, technologiquement et industriellement les options qui sont proposées ;

• Faire émerger un consensus national, républicain, autour de l’urgence énergétique et de la nécessité pour y parvenir de combiner des lignes souvent opposées à tort : sobriété et production, développement de l’énergie nucléaire comme des énergies renouvelables efficaces.

« Ce rapport constitue donc avant tout une interpellation aux gouvernements et parlements d’aujourd’hui et de demain, qui partagent la responsabilité de donner un destin énergétique, c’est-à-dire une ambition à la fois écologique et souveraine, à la France » confie Antoine Armand, rapporteur.

Proposition 1 : En cohérence avec nos objectifs climatiques et industriels, assumer un besoin croissant d’électricité, pour la fin de la décennie, à l’horizon 2050 et au-delà, et constater le fossé de production qui nous sépare de la souveraineté énergétique

Proposition 2 : Se donner une loi de programmation énergie climat sur 30 ans avec des objectifs climatiques, énergétiques et industriels ainsi que les moyens afférents, qui fera l’objet d’un suivi étroit et régulier par le Parlement et les institutions expertes

Proposition 3 : Renforcer la consultation du Parlement, et notamment de l’OPECST, sur les politiques énergétiques et le contrôle qu’ils exercent sur la mise en œuvre de celles-ci

Proposition 4 : Remettre la direction générale de l’énergie au sein du Ministère en charge de l’Industrie et la doter des moyens permettant d’identifier, de suivre et de réduire nos vulnérabilités industrielles

Proposition 5 : Demander à RTE de faire évoluer à court terme son critère de sécurité d’approvisionnement, et lancer une refonte de notre doctrine de sécurité d’approvisionnement globale sous sa responsabilité

Proposition 6 : Arrêter une position européenne commune et durable, pour définir l’énergie nucléaire comme une énergie décarbonée et stratégique, qu’il convient de soutenir au même titre que les énergies renouvelables

Proposition 7 : Lier la réforme du marché de l’électricité aux négociations sur la politique énergétique globale de l’UE en portant une réforme profonde du marché de l’électricité européen pour protéger la spécificité française, décorréler le prix du gaz de celui de l’électricité décarbonée ; dans l’attente, suspendre sans délai et compenser l’ARENH

Proposition 8 : Dans le prolongement de la récente annonce de la ministre de la Transition énergétique, exiger le respect du traité de Lisbonne et donner un nouvel élan au traité Euratom

Proposition 9 : Maintenir les concessions hydroélectriques dans le domaine public, par exemple en leur appliquant un dispositif de quasi-régie pour éviter toute mise en concurrence et relancer les investissements nécessaires

Proposition 10 : Pérenniser et accroître l’ambition du plan de sobriété de l’hiver 2022- 2023, et l’étendre à l’ensemble des particuliers, des services publics, et des entreprises sans méconnaître le coût financier et industriel des effacements

Proposition 11 : renforcer les efforts de décarbonation de tous les secteurs émetteurs, en particulier dans le transport avec l’accélération des projets de transports en commun et de fret ferroviaire et avec la réduction du poids des véhicules par des dispositifs incitatifs

Proposition 12 : Évaluer les dispositifs de rénovation énergétique pour prioriser les plus efficaces, se donner des objectifs de baisse de consommation mesurables et les décliner par département ; lancer un plan de filière pour développer les formations

Proposition 13 : Réviser nos objectifs de chaleur renouvelable, qui selon plusieurs instituts pourraient être au moins doublés à horizon 2030, et renforcer le Fonds Chaleur associé

Proposition 14 : Lancer un nouvel inventaire minier sur le sol français, accélérer l’identification des importations critiques et la création de filières de transformation et de recyclage des terres rares

Proposition 15 : Approfondir la prévision des besoins d’investissements sur le réseau, en particulier dans le cas de la trajectoire réindustrialisation forte

Proposition 16 : Sur tous les grands défis de court terme (corrosion sous contrainte, fatigue thermique) comme de moyen terme (impact du dérèglement climatique), demander à EDF de produire et de présenter au Gouvernement, à l’OPECST et au grand public, un état des lieux précis et prospectif des mesures prises pour assurer le fonctionnement du parc nucléaire, des barrages et de toutes les installations énergétiques

Proposition 17 : Mener les études préliminaires nécessaire à la prolongation de tous les réacteurs qui peuvent l’être selon différents scénarios, et anticiper dès aujourd’hui et dans le cadre de la LPEC les besoins, impacts et conséquences de la fermeture et du démantèlement du parc existant, quelle que soit la date d’arrêt effective des réacteurs

Proposition 18 : Augmenter autant que nécessaire les moyens dévolus à la délégation au nouveau nucléaire dans le suivi du projet de construction de nouveaux EPR et obtenir des rapports de suivi réguliers et publics sur l’avancement du projet ; conforter EDF comme opérateur unique et nationalisé

Proposition 19 : Anticiper le besoin de renouvellement et de développement de l’ensemble du parc existant, en nombre de réacteurs (y compris SMR) ou en puissance installée, dans les prochaines décennies et sur des sites existants ou nouveaux

Proposition 20 : Demander à EDF une plus grande transparence sur ses approvisionnements en uranium naturel et enrichi, au moins à une maille géographique par pays

Proposition 21 : Soutenir le renforcement des capacités d’enrichissement sur le territoire français

Proposition 22 : Étudier la faisabilité industrielle et les options économiques pour installer à court terme une nouvelle usine de ré enrichissement sur le sol français

Proposition 23 : Apporter tout le soutien financier et administratif nécessaire à l’extension des capacités d’entreposage du combustible usé à La Hague

Proposition 24 : Valider les dernières étapes et assurer le soutien de l’État au financement du réacteur Jules Horowitz tout en maîtrisant les délais et les coûts

Proposition 25 : Relancer la construction d’un démonstrateur de type Astrid, d’une puissance potentiellement plus modeste, pour rattraper le retard accumulé pendant 30 ans, et continuer à développer la recherche associée sur le cycle du combustible

Proposition 26 : Accentuer le soutien aux technologies liées à la 4ème génération nucléaire, en privilégiant les entreprises qui sont en mesure de présenter des résultats expérimentaux et/ou industriels, et non seulement des simulations numériques

Proposition 27 : Assurer une montée en puissance des effectifs salariés de la sûreté nucléaire, en optimisant l’organisation administrative et en interrogeant les rapports existants à ce jour entre les différents organismes de sûreté nucléaire, afin d’assumer la charge nouvelle liée à la relance du nucléaire

Proposition 28 : Demander à RTE une analyse approfondie, déclinée par énergie renouvelable, intégrant leur potentiel, leurs rentabilité énergétique et économique (calculs de moyenne, d’intermittence minimisée, d’acceptabilité, de consommation du foncier, de longévité)

Proposition 29 : Lancer dès que possible les appels d’offre pour les 50 parcs éoliens offshore, rendre contraignante leur installation et sécuriser le financement et l’engagement du porteur de projet

Proposition 30 : Créer un label « apprentis de l’énergie » pour permettre aux jeunes d’identifier les formations d’avenir, associées à des aides financières, des facilités de mobilité et de logement

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