Directeur général de l’association Hespul et vice-président du CLER, Marc Jedliczka est un militant de la première heure de l’énergie solaire. Pour preuve, son domicile, loin du réseau EDF, est équipé depuis 1983, des mêmes capteurs solaires photovoltaïques Photowatt. Voilà des années qu’il se bat pour faire la promotion de cette énergie décentralisée et qu’il apporte son expertise au débat. Il vient ainsi de participer au début de l’été aux Etats Généraux du Solaire, entre analyse de la situation actuelle et prospective à long terme, il nous livre son sentiment. Entretien incisif, sans langue de bois !
Plein Soleil : Que vous inspire la situation actuelle du marché du photovoltaïque en France dont on dit qu’il ne se porte pas bien du tout ?
Marc Jedliczka : En fait, le marché français du photovoltaïque est clairement dans une situation paradoxale. Il n’est qu’à voir les chiffres de raccordement d’ERDF. Il se raccorde à l’heure actuelle plus d’installations que jamais. Les grandes entreprises, très capitalisées, semblent s’en sortir même plutôt bien. Elles ont les moyens de racheter des projets plantés par des spéculateurs et de réaliser les carnets de commandes de l’an dernier, résultats du phénomène de « stock » engendré par les effets d’annonce sur les baisses de tarifs. Le tout sur la base des tarifs antérieurs ! Ces sociétés ont souvent jusqu’à la fin de l’année pour finir les travaux. Tout le monde se précipite et cela créé une forme d’émulation pour ces entreprises. Maintenant, d’un autre côté, il y a pléthore de PME qui sont en train de licencier à tour de bras. Autour de Lyon, de nombreux distributeurs ou des filiales d’entreprises allemandes divisent leurs effectifs par deux. Certains sont vraiment en train de déguster, ils ne rentrent plus une affaire. On saura la vérité au début de l’année 2012.
Une reprise longue à se dessiner
PS : Vous craignez cette année 2012 ?
MJ : Deux choses m’inquiètent plus particulièrement. Le marché du particulier qui conserve pourtant des conditions très correctes sur les plans tarifaire et financier, ne redémarre pas. L’image du photovoltaïque a été profondément altérée. Le statut des particuliers qui avaient investi dans un toit photovoltaïque est passé de celui de héros à celui de méchant spéculateur qui fait augmenter la facture d’électricité des Français. Dans ce contexte, le problème n’est même pas que les commerciaux ne vendent plus. Pire, ils n’arrivent même plus à avoir des rendez-vous. C’est grave. Et l’on attend toujours une communication positive de l’Etat qui n’assume en rien ses responsabilités. La reprise risque de mettre beaucoup de temps à venir et plus l’incertitude durera plus les petits indépendants vont mourir. Il ne finira par rester que les gros opérateurs, dans une logique de concentration du marché qui arrange bien les hautes sphères.
PS : Et quelle est la deuxième chose qui vous inquiète ?
MJ : Les appels d’offres au-dessus de 100 kWc bien sûr. Souvenons d’Eole 2005, ce type d’appels d’offres n’a jamais fonctionné. Même le grand Hermann Scheer estimait qu’un tarif intelligent garantissait souvent des tarifs moins chers que les systèmes d’appels d’offres qui ne sont que déluge de paperasse et de frais d’avocat.
PS : Sans compter que pour répondre aux appels d’offres les industriels français devront être ISO 9001 et auront dû lancer une procédure ISO 14 001. A savoir une contrainte supplémentaire !
MJ : C’est simple. Nous avons des libéraux au pouvoir mais ils veulent tout réglementer avec leurs appels d’offres. Ils créent des carcans qui n’ont aucun sens comme celui du bilan carbone impossible à établir de manière fiable pour le PV. On veut nous faire peur avec les risques incendie qui n’existent qu’à cause de l’intégration au bâti qu’on nous impose, et on nous parle sans cesse du recyclage en fin de vie. Franchement cette obsession du recyclage des panneaux quand on voit la problématique des déchets du nucléaire, on croit rêver. Nous sommes dans l’idéologie pure, dans une logique de domination perverse. Je sais que c’est impossible et utopique car les entreprises ne peuvent pas se le permettre, surtout dans la conjoncture actuelle, mais elles devraient boycotter ces appels d’offres.
« AQPV : du protectionnisme à à la petite semaine »
PS : Et que pensez-vous du label AQPV ?
MJ : Il s’agit là d’une commande politique pour montrer que le gouvernement protège notre industrie. Mais ce n’est que de l’affichage, du protectionnisme à la petite semaine. Nous savons que deux grosses unités de fabrication, l’une japonaise, l’autre allemande devaient s’installer en France, des projets abandonnés suite au moratoire. Pourtant des entreprises étrangères, même chinoises, qui s’installeraient en France, cela crée de l’emploi et de la valeur ajoutée en France. C’est bon pour l’industrie française. Ce gouvernement agit à front renversé. Ce sont des libéraux qui ne supportent pas la mise en concurrence de l’outil nucléaire, ils ne sont pas capables d’admettre que l’avenir est aux renouvelables. Que le SER se sente obligé de rentrer dans ce jeu, je trouve que c’est regrettable.
PS : Où se situe le blocage ?
MJ : Nos élites technocratiques de l’X et du corps des Mines ne veulent pas admettre qu’un jour le solaire photovoltaïque sera moins cher que le nucléaire. Il faut savoir qu’en Allemagne la parité réseau est annoncée pour dans quatre à six ans. Il s’agit d’un refus idéologique, et je dirais que pour des fonctionnaires payés par nos impôts pour « gérer la cité » au service du bien commun, c’est une faute professionnelle grave, Au mieux, nous pouvons parler d’incompétence, à l’origine de ces tarifs mal conçus et mal gérés qui ont créé les conditions de la fameuse « bulle » et qui ont fini par planter des entrepreneurs sincères dans leur démarche. Nous sommes dans le déni de réalité et la remise en cause de la légitimité républicaine.
PS : Que pensez-vous justement de ces entrepreneurs comme Franck Le Borgne qui ont installé des centrales solaires sans le retour de PTF – 160 dossiers sont ainsi déposés au CORDIS -, et qui aujourd’hui sont dans l’impasse et dans l’incapacité de raccorder ?
MJ : C’est sûr, ces gens là ont fait les choses à l’envers. Mais pourquoi ? Parce qu’ils ont eu confiance dans la parole de l’Etat. Ces gens là sont sincères et ont été trompés en tant que citoyens. Ce ne sont pas des spéculateurs, la preuve ils ont agi sans la garantie du revenu. Et ils se retrouvent le bec dans l’eau à cause de leur honnêteté et de leur confiance.
La parité réseau pour tous avant 2020 en France
PS : Venons-en aux Etats Généraux du Solaire auxquels vous avez pris une part active. La parité réseau en France vous a beaucoup occupé. C’est pour quand ?
MJ : Une hausse de 5% par an du prix de détail de l’électricité en France jusqu’en 2020 semble une hypothèse raisonnable. Elle est d’ailleurs reprise par le rapport Charpin-Trink de janvier 2011 sur l’avenir de la filière photovoltaïque. Dans ces conditions et selon une étude de l’EPIA, la parité devrait commencer à apparaître dès 2016 pour les petits systèmes et être effective pour tous les segments de marché avant 2020. A partir de là , le tarif d’achat encore nécessaire au développement de la filière aura vécu. Les limites viendront du réseau, des toitures ou des assurances.
PS : Quid du gap des 500 MW ?
MJ : Sur ce point, le consensus a été total. L’objectif 2020 se situe entre 20 et 25 GW à savoir un facteur quatre ou cinq par rapport aux 5400 MW du Grenelle de l’Environnement. Tout le monde se rejoint sur cet objectif qui répond aux exigences des 27% d’électricité renouvelable (23% d’énergie) en 2020. Pour l’atteindre dans un délai raisonnable, un marché annuel en « rythme de croisière » entre 3 et 5 GW installés, représentant entre 100 000 et 150 000 emplois directs permanents, semble adéquat et cohérent avec une montée en puissance progressive d’ici 2018 ou 2019.
PS : Qu’en est-il des projections après 2020 ?
MD : Là , les choses sont plus vagues. Le sujet est tabou surtout si l’on accepte le postulat de la poursuite de l’effort nucléaire. Si on décrypte le « Plan National d’Action en faveur des énergies renouvelables » qui fait foi à Bruxelles, on se rend compte que pour ses rédacteurs, la France pourrait devenir le château d’eau nucléaire de l’Europe, un comble ! (voir encadré). Pour le solaire et après 2020, on peut imaginer une poursuite de la croissance de 3GW par an constant jusqu’à atteindre une puissance stabilisée entre 60 et 70 GW qui correspondraient au pic estival de consommation en France. Une fois atteinte cette limite, on peut imaginer un rail de 2GW par an pour le renouvellement du marché. C’est perspective industrielle est parfaitement vendable !
Encadré
France : Le retour du mythe du « château d’eau nucléaire » de l’Europe ? (Extraits du Plan National d’Action)
Couvrir la consommation d’électricité européenne à 100 % par des sources renouvelables signifierait la sortie du nucléaire pour la France, ce qui n’est pas envisageable aujourd’hui pour l’État français. Si l’objectif des 100 % renouvelables devait être retenu, la coopération avec les autres États membres, serait probablement indispensable, même s’il resterait à définir les conditions de cette coopération. Tant que cette orientation n’est pas décidée, le choix de la non-coopération semble une meilleure option. En effet, comme il est probable que la France ne s’engage pas sur une bonne trajectoire, cette option l’obligera tôt ou tard à prendre des mesures rectificatives, sauf si elle préfère renier ses propres engagements vis-à -vis de l’Union européenne. A ce titre, il conviendra d’être vigilant pour que le plan solaire méditerranéen, s’il devait être mis en oeuvre avant 2020, ne se transforme pas en échappatoire permettant de réduire les objectifs à réaliser à domicile, ce qui pourrait être tentant pour sortir des contradictions.
Mais la question des relations de la France avec ses voisins en matière d’électricité se pose beaucoup plus en matière de concurrence que de coopération. En effet, si l’on additionne le maintien du parc nucléaire existant, y compris une augmentation de 8 % de sa production prévue par le Plan National d’Action (PNA), la mise en service de deux EPR de 1.600 MW et le passage à 155 TWh de la production d’électricité renouvelable en 2020, l’augmentation modérée de la consommation est loin de pouvoir absorber l’augmentation de la production. L’excédent de production qui est 28 TWh en 2009 (le plus faible depuis la mise en service du parc nucléaire) passerait ainsi à plus de 120 TWh en en 2020.
Nucléaire ou renouvelable, il faudra choisir
Compte tenu de l’obligation de 27 % d’électricité renouvelable, l’hypothèse implicite du PNA est que cet excédent serait exporté vers les pays voisins, comme cela a été le cas avec les excédents historiques de la production nucléaire. Mais un tel volume n’a jamais été atteint (le record a été de 79 TWh en 2002) et il ne fait aucun doute que l’arrivée sur le marché européen de telles quantité d’électricité à prix de base provoquerait des perturbations et pourrait venir à l’encontre des objectifs de développement de l’électricité renouvelable des autres États membres, surtout s’ils n’ont pas prévu dans leurs propres PNA d’importation massive d’électricité nucléaire française. A défaut de pouvoir être exportée, cette électricité excédentaire serait de nature à dissuader l’augmentation de la production d’électricité renouvelable en France et viendrait à l’encontre de ses propres objectifs.
Sur le long terme et dans une France qui ne serait plus prisonnière du dogme nucléaire qu’elle a adopté au XXe siècle, l’extraordinaire potentiel physique dont elle dispose dans toutes les filières renouvelables et la place centrale qu’elle occupe en Europe de l’Ouest représentent des opportunités qui devraient être mises à profit dans le cadre d’une coopération technique et économique renforcée avec tous ses voisins au bénéfice de l’ensemble de l’Union européenne.
Mais aujourd’hui, ceci relève de la science-fiction. Aucune mesure en ce sens n’est envisageable avant un profond changement de vision des politiciens et des hauts fonctionnaires de l’État qui ont tous été éduqués et formés par l’idéologie du «tout-nucléaire / tout-électrique» qui domine la France depuis presque 40 ans et n’a jamais été remise en cause malgré les contradictions et les impasses techniques et économiques.
Plus d’infos sur le Plan National d’Action…