Par Xavier Dennery, fondateur de Simply Carbon ® * et Isabelle Viennois, co-fondatrice de Needl
Pour les entreprises énergivores (transports et industrie lourde), la mesure de l’empreinte carbone est fiable grâce au poids prépondérant des consommations d’énergie (scopes 1 et 2) dont les émissions sont connues précisément.
C’est le contraire pour l’immense majorité des organisations où les achats de matières, de biens et de services auprès de fournisseurs (scope 3) pèsent pour ¾ des émissions, avec des marges d’erreur atteignant 80% pour la plupart des services et 50% pour la plupart des biens. En cause ? Le recours à des moyennes sectorielles trop « génériques » par rapport à la réalité de terrain des fournisseurs.
En effet, quelle que soit la précision comptable de cet achat, elle est écrasée par l’incertitude de son facteur d’émission : par exemple, multiplier un achat de services intellectuels de 100 k€ par un ratio monétaire de 110kg CO2/k€ (+/- 80%) donne 11.000kg CO2 …+/- 80% !
Quelles que soient les vertus du praticien carbone, il en résulte que l’empreinte carbone – ce processus long, cher, chronophage et souvent décrit comme une « boîte noire » – produit un résultat dont l’imprécision reste inavouable : dans une fourchette de 1 à 5 !
Pour échapper à ces ratios monétaires qui sont trop imprécis car génériques, on cherche à leur substituer des facteurs d’émission propres à chaque fournisseur, qui sont plus fiables et réduisent la fourchette de notre incertitude et plus on remonte la chaîne de valeur, plus notre empreinte se fiabilise.
L’accès aux empreintes de notre chaîne de fournisseurs est donc la clé de la fiabilité de notre empreinte carbone et imposer une réglementation incluant le scope 3 aux grandes organisations n’a de sens que si l’empreinte carbone devient accessible à toutes les organisations, même les plus modestes.
Or, il est possible de calculer une empreinte de façon simple et rapide : il faut d’abord raisonner en ordre de grandeur du poids carbone de chaque activité, très différents au sein d’une même organisation. Cela permet de prioriser les 5 à 10 activités les plus émissives représentant 85% de notre empreinte, pour fiabiliser ces seules activités sans s’attarder sur l’incertitude liée aux activités plus légères.
Ce calcul garde toute sa pertinence puisque l’imprécision d’une activité légère est écrasée par celle d’une activité lourde : par exemple, additionner l’achat d’un bien de 2 tonnes (+/- 50%) avec une consommation énergétique de 1.000 tonnes (+/-10%) donne 1.002 tonnes +/- 101 tonnes, … soit +/-10% !
Simple, rapide, et pertinent, ce processus de bon sens est aussi le moins onéreux et le plus pédagogique pour atteindre l’objectif européen : diviser par 5 notre empreinte d’ici à 2050. L’adopter, c’est enclencher un double cercle vertueux au fur et à mesure de la progression dans notre chaîne de fournisseurs : l’incertitude baisse et –surprise – l’empreinte aussi ! En effet, les sources disponibles montrent que les facteurs d’émission génériques sont généralement « haut de fourchette », 5 à 9 fois supérieurs à ceux des fournisseurs !
Au-delà de cette baisse « mécanique » de l’incertitude et de l’empreinte, ce processus milite pour un corpus carbone plus robuste qui donne la priorité à la gestion des interactions avec nos parties prenantes, au premier rang desquelles, nos salariés, nos fournisseurs et nos clients. C’est par une réflexion collective avec ces dernières que peuvent naître, non seulement un reporting extra-financier fiable, mais aussi des solutions aussi concrètes que réduire la fréquence de livraison d’un consommable, faciliter l’accès en vélo aux clients d’un commerce, changer un matériau ou un produit d’entretien etc…pour un impact durable au service du climat.
Pour une grande entreprise ou collectivité, pousser ce processus au sein de sa chaîne de parties prenantes est paradoxalement la façon la plus rapide de réduire son empreinte, de la fiabiliser et d’enclencher le cercle vertueux de l’interaction écosystémique !