Tribune de Delphine Batho et de Peter Altmaier, ministres de l'Ecologie français et allemand

Faisons de la transition énergétique le moteur du couple franco-allemand

La France et l’Allemagne font aujourd’hui face à un défi qui marquera le 21ème siècle : l’entrée dans une nouvelle ère énergétique. L’économie de demain devra gérer les matières premières et les ressources de manière beaucoup plus économe, si nous voulons générer une prospérité durable dans un monde qui comptera bientôt 8 milliards d’êtres humains tout en protégeant le climat de manière efficace. La « transition énergétique » en France ou « l’Energiewende » en Allemagne sont au cÅ“ur de cette grande transformation, dont l’enjeu est de découpler croissance et consommation de ressources limitées. Elles devront se traduire par un développement considérable des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, afin de garantir le plus haut niveau de sécurité énergétique et de faire en sorte que l’énergie demeure abordable pour tous.

Cette transition est aussi une opportunité de contribuer à notre prospérité. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle vague d’innovations industrielles. Nous n’avons pas su profiter autant que le Japon ou les États-Unis des deux dernières grandes vagues d’innovations : celle de l’électronique grand public dans les années 1960 et 1970, et celle de la révolution numérique depuis les années 1990. Il est d’autant plus important que l’Europe soit à l’avant-garde de la nouvelle vague d’innovations des technologies de l’énergie et de l’environnement, sur des marchés dont le volume doublera au cours de la prochaine décennie.
Nous voulons que la France et l’Allemagne avancent ensemble sur cette voie et qu’elles soient le moteur de cette nouvelle révolution industrielle. La France et l’Allemagne sont les deux premiers pays producteurs d’énergies renouvelables en Europe. Notre coopération industrielle fait déjà figure de modèle dans le monde entier, notamment dans le secteur de l’aéronautique avec le développement de l’Airbus par EADS. Malgré les différences entre nos parcours en matière de politique énergétique, nous nous retrouvons sur une ambition commune en matière énergétique.

La transition énergétique en France vise à faire passer la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 à 50 % à l’horizon de 2025, à augmenter l’efficacité énergétique d’environ 20 % et à faire passer à environ 23 % la part des énergies renouvelables dans l’approvisionnement en électricité d’ici à 2020. L’Allemagne, de son côté, s’est fixé l’objectif de sortir entièrement du nucléaire d’ici fin 2022 et d’atteindre une part d’énergies renouvelables dans l’approvisionnement en électricité d’au moins 50 % d’ici à 2030. Chacun de nos pays a son modèle énergétique mais un renforcement de la coopération entre nos deux pays contribuera de manière importante à l’atteinte de ces objectifs.

Nous voulons faire de la transition énergétique le nouveau moteur du couple franco-allemand. Nous avons récemment décidé de créer un Office franco-allemand pour les énergies renouvelables. Il sera voué à la coopération entre les entreprises de nos deux pays, mais donnera également de nouvelles impulsions tant sur le plan politique que sur le plan scientifique en ce qui concerne, par exemple, la promotion de la recherche et du développement et le soutien aux énergies renouvelables.

Une politique énergétique commune est décisive pour assurer la compétitivité de l’Europe. L’un des objectifs importants de la transition énergétique est de réduire la dépendance des Européens vis-à-vis des importations d’énergie. Actuellement, l’Europe couvre plus de 50 % de ses besoins énergétiques par des importations provenant de pays non membres de l’Union Européenne (UE). Il importe de parvenir à réduire considérablement cette proportion, afin non seulement de baisser les coûts énergétiques, mais également d’accroître la création de valeur et la création d’emplois chez nous.

L’amélioration de l’efficacité énergétique constitue ici un facteur décisif. Dans ce domaine, nous sommes encore loin d’avoir atteints les objectifs que nous nous sommes fixés, et tous les États membres ont des progrès à faire. La directive européenne sur l’efficacité énergétique, entrée en vigueur en décembre 2012, prévoit la réalisation, chaque année, d’économies équivalant à au moins 1,5 % de la moyenne des ventes annuelles d’énergie aux clients finaux des années 2010 à 2012. Cet objectif doit désormais être mis en Å“uvre rapidement. Nous y travaillons.

Pour assurer une plus grande sécurité de l’approvisionnement énergétique tout en réduisant les coûts, il faut aussi que l’électricité puisse circuler en Europe et que l’offre coïncide au mieux avec la demande. Nous devons favoriser les échanges et la sécurité d’approvisionnement en développant des réseaux à l’échelle européenne. Nous devons renforcer le système communautaire d’échange de quotas d’émission qui permet de fixer un prix au carbone et constitue l’un de nos principaux instruments pour réaliser la transition énergétique et écologique. Le marché carbone constitue aussi un grand succès d’exportation et a déjà inspiré d’autres pays. Le système est cependant devenu largement inefficace. C’est pourquoi nous soutenons énergiquement un gel des quotas (ou « backloading ») à titre exceptionnel.

Cependant, il nous faudra aussi raréfier de manière durable les quotas d’émission. Nous ferons en outre un bilan critique afin de déterminer si cela suffit afin de renverser l’inquiétante tendance vers un retour au charbon dans la production d’électricité classique. Nous devons poursuivre nos efforts afin d’atteindre l’objectif des deux degrés fixé pour le réchauffement climatique lors du sommet de Copenhague en 2009. Il faudra s’efforcer de dépasser l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’UE de -20% pour 2020. D’ici à 2050, nous devrons avoir atteint au sein de l’UE une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 80 à 95 %. Dans cette perspective, nous estimons qu’il est temps que l’UE se fixe des objectifs à l’horizon 2030. Afin de mobiliser les investissements nécessaires dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les infrastructures, des objectifs ambitieux pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique doivent être rapidement définis pour 2030.

Nous continuons de nous engager ensemble avec persévérance en faveur d’un accord contraignant portant sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des négociations internationales sur le climat. Cet accord devra être contraignant pour tous les États et être adopté au plus tard lors du sommet de l’ONU sur le climat en 2015, pour la présidence duquel la France a présenté sa candidature.

Pour porter ces ambitions au niveau mondial, nous avons décidé de créer un club d’États assumant un rôle d’avant-garde dans la transition énergétique et favorables aux énergies renouvelables. Nous souhaitons, en particulier, contribuer au développement des énergies nouvelles dans les pays du bassin méditerranéen à travers le Plan solaire méditerranéen. L’Europe a les capacités de prendre la tête de la nouvelle révolution industrielle et technologique qui s’annonce. Cela n’est possible que si nous coopérons. Rien n’affaiblirait l’Europe plus qu’un retour aux égoïsmes nationaux et aux actions isolées. Seule une Europe forte peut garantir notre prospérité au 21ème siècle et nous permettre de façonner le nouvel ordre mondial qui émerge.

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