Par Jérôme Chaffard, Directeur général Eaton France, Iberia & Afrique du Nord
Utiliser l’électricité plus efficacement est une réponse logique à la crise énergétique en Europe. Associer l’énergie des batteries des véhicules électriques (VE) à l’électricité nécessaire aux bâtiments est un bon moyen d’y parvenir et la technologie pour le faire existe, alors pourquoi son adoption est-elle si lente ?
Tout d’abord, les propriétaires de véhicules électriques ne sont pas conscients du rôle fondamental qu’ils pourraient jouer et les infrastructures nécessaires ne sont pas facilement disponibles. Cela est regrettable car lorsque l’énergie peut circuler des VE aux bâtiments et inversement, elle est utilisée à bon escient, au lieu d’être stockée dans des batteries qui finiront par se décharger.
Chaque semaine, des milliers de VE remplacent les voitures thermiques sur les routes du monde entier. Selon l’institut de recherche BloombergNEF, spécialiste du secteur de l’automobile, les ventes mondiales de véhicules rechargeables passeraient de 6,6 millions en 2021 à 20,6 millions en 2025. L’Europe suit cette courbe de croissance exponentielle.
Apaiser la peur de manquer
La structure de l’industrie de la production d’électricité repose sur un flux unidirectionnel provenant de grandes centrales électriques alimentées principalement au gaz, au charbon ou à l’énergie nucléaire. Les énergies renouvelables à l’échelle commerciale, comme l’éolien et le solaire, modifient l’état de la situation, mais pas suffisamment pour remplacer les approvisionnements conventionnels dans un avenir proche. L’électricité est utilisée pour d’innombrables d’applications. Voilà pourquoi les gouvernements européens s’inquiètent tant de la possibilité de pannes d’électricité si les compagnies de production ne parvenaient pas à obtenir suffisamment de gaz cet hiver. Les retombées économiques et politiques pourraient être difficiles à gérer.
Les dirigeants ne veulent pas avoir à contraindre les utilisateurs d’énergie industriels, commerciaux ou résidentiels mais beaucoup d’entre eux examinent déjà les options de rationnement de l’énergie et de potentielles coupures de courant contrôlées plus tard dans l’année. Une utilisation plus efficace de l’énergie disponible pourrait alléger la pression. En utilisant la capacité de stockage d’énergie des batteries des VE et d’autres systèmes tels que les systèmes d’alimentation sans interruption (onduleurs), il pourrait être possible de réduire les pénuries d’énergie et les émissions de carbone.
Comprendre le couplage sectoriel
Le couplage sectoriel permet de relier les VE aux bâtiments. Cette approche intègre des énergies renouvelables provenant d’actifs tels que des panneaux solaires ou des pompes à chaleur intégrés au bâtiment. L’énergie renouvelable produite sur place peut être utilisée dans le bâtiment, ou par des bornes de recharge pour VE reliées au bâtiment, ou encore échangée sur le réseau électrique national pour aider à équilibrer l’offre et la demande. Une combinaison des trois est possible, avec un logiciel optimisant les flux d’énergie. Le couplage sectoriel est bien compris dans l’industrie électrique mais peu connu par les consommateurs d’énergie car il implique une gestion active de l’électricité.
Stockage d’énergie
Un modèle énergétique décentralisé (essentiel à la décarbonation) implique une multiplicité de flux énergétiques à double sens. De fait, un nouveau terme a été inventé – le prosommateur – pour décrire la manière dont les entreprises, les foyers et les individus produiront et consommeront de l’énergie et l’échangeront sur le réseau. Ce type de système est très flexible et rend l’électricité disponible en temps et en lieu nécessaires en synchronisant les flux d’énergie.
Cela implique une plus grande capacité de stockage de l’énergie pour que la décentralisation fonctionne correctement, que ce soit dans des batteries à l’intérieur des bâtiments ou dans des batteries de VE se connectant aux bâtiments via des chargeurs. Le réseau électrique aura besoin d’une capacité de stockage pour gérer des volumes croissants d’énergie intermittente et variable émanant de parcs éoliens et solaires à échelle commerciale, ainsi qu’en provenance et en direction des prosommateurs.
Numérisation
La numérisation a également un rôle à jouer dans la gestion de ces flux d’énergie. La technologie numérique permettra même aux plus petits prosommateurs d’énergie de participer aux marchés de l’énergie, à condition que les lois et les réglementations les y autorisent. La production, le stock, l’utilisation ainsi que la gestion et le coût de l’électricité seront à l’avenir guidés par le numérique, ce qui signifie que le prosommateur y gagnera en contrôle mais également en risques.
Le rôle des véhicules électriques
La contribution des véhicules électriques aux problématiques énergétiques réside dans les batteries. L’énergie produite par les VE stationnés pendant une durée raisonnable pourrait être utilement distribuée aux bâtiments voisins pour une utilisation immédiate, les véhicules étant rechargés plus tard en cas de besoin. Les conducteurs de VE pourraient percevoir une compensation financière pour ce service.
Cela peut être utile à deux égards. Tout d’abord, cela permettrait de répartir plus uniformément la demande sur les réseaux nationaux en atténuant les pics de demande des bâtiments. Ensuite, cela pourrait procurer aux propriétaires de bâtiments un argument commercial solide en faveur de l’installation de bornes de recharge pour VE, des énergies renouvelables et du stockage d’énergie. Ils deviendraient ainsi des prosommateurs échangeant de l’énergie avec les conducteurs de VE, le réseau, ou les deux.
Compte tenu des difficultés actuelles de l’Europe en matière d’approvisionnement en combustibles conventionnels et de ses ambitions en matière de décarbonation, la numérisation et la décentralisation constituent une voie réaliste, bien que complexe, à emprunter pour préparer l’avenir.