Par Grégory Lamotte, fondateur de la société Comwatt
Jean François Carenco, président de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) et son équipe ont organisé le 12 septembre une grande conférence ayant pour titre : «L’autoconsommation dans le système électrique Français». Dans la salle, tous les énergéticiens français sont présents, car cette conférence marque le début d’une concertation aux enjeux colossaux qui pourrait déboucher sur la refonte complète de la tarification de l’électricité en France. Jean François Carenco donne le ton en début de conférence : « celui qui prétend pouvoir prévoir comment la situation va évoluer est un idiot »
Pourquoi cette concertation est-elle si importante ?
La tarification actuelle de l’électricité ressemble actuellement à un millefeuille, chaque gouvernement successif en rajoutant une couche, au final nous payons dans notre facture d’électricité, pour 1/3 de l’électricité, 1/3 de transport d’électricité et 1/3 de taxes. Cette tarification est complexe, elle s’est mise en place au moment où les flux allaient uniquement dans un seul sens : des unités de production centralisées (nucléaires, gaz, charbon) vers les consommateurs. Or depuis le développement des énergies renouvelables et de l’autoconsommation, les flux changent et c’est tout un système de tarification qu’il faut revoir. Il n’y a plus d’un coté les producteurs et de l’autre les consommateurs, il y a maintenant les consom’acteurs. Les principes ayant permis d’établir la tarification actuelle perdent de leur cohérence car « le marché change rapidement, massivement et de manière inexorable », comme le souligne Michèle Pappalardo, la directrice de cabinet de Nicolas Hulot.
Plus de 4 millions de sites en autoconsommation en France, ce n’est plus dans l’épaisseur du trait
Fabien Choné, le Directeur Général délégué de Direct Energie met les pieds dans le plat « Il y a 2 ans, lors de la précédente concertation, des acteurs majeurs du secteur de l’électricité avaient convaincu le ministère de ne pas réfléchir sur l’autoconsommation résidentiel car selon eux ce segment ne sera pas rentable avant plusieurs dizaines d’année, comme ils se sont trompés et les chiffres entendus ici en sont la preuve ». En effet quelques instants plus tôt Xavier Piechaczyk, DG adjoint et membre du directoire de RTE a communiqué en exclusivité (le rapport complet sera disponible en novembre) les estimations de RTE en matière de mix énergétique, « en prenant des hypothèses basse, vers 2030 c’est plus de 4 millions de sites qui seront en autoconsommation » et d’ajouter sur la fiscalité « si la réglementation ne change pas, cela fera environ 600 millions d ‘euros de taxes par an que les autoconsommateurs ne paieront pas et qui devront être réglé par les autres consommateurs ».
Les points de consensus
Tout le monde est d’accord pour conclure que l’impact est plus fort que prévu et qu’il faut revoir absolument la tarification de l’électricité pour permettre à l’autoconsommation de se développer sans coup de freins ni d’accélérations brutales. Il y a également consensus sur la nécessité de conserver certains avantages du système actuel, un système électrique fiable, efficace et accessible aux foyers en précarité énergétique.
Rappelons d’abord que le système de facturation actuel comporte 2 principes :
Principe 1 : « timbre poste » : que vous utilisiez le réseau électrique sur 1 m ou sur 1000 km vous payez le même prix moyen. Ce principe n’incite pas aux circuits courts, moins couteux pour la collectivité.
Principe 2 : « Péréquation » : tout le monde paye le même prix en tout point du territoire Français. Ce principe n’incite pas à s’installer où l’énergie est peu coûteuse à produire.
Tout le monde est d’accord pour dire que ces 2 principes ont des avantages mais n’incitent pas les consommateurs à utiliser les réseaux de manière la plus efficace. Etant donné que le consommateur paye son électricité sans rapport avec le cout de revient pour la collectivité, le consommateur n’a aucune raison de modifier un comportement couteux pour la collectivité.
Les points de divergence
Comme le rappel Eric Piolle, le maire de Grenoble, «La production centralisée colle parfaitement avec l’Etat Colbertien, l’autoconsommation en revanche, produit par les citoyens en circuit court est plus proche des attentes actuelles des Français. A Grenoble nous avons une longue expérience de l’autoproduction, en effet les barrages alpins fournissent de l’électricité consommée sur place. Cette énergie locale peu couteuse a permis de forts développements économiques. ». Voilà donc ici résumé simplement le problème, qui aura le pouvoir demain dans le secteur de l’énergie : les géants de l’énergie ou les citoyens ? En Allemagne cette décision est déjà prise, 80% de nouveaux moyens de production appartiennent aux particuliers et aux entreprises.
Autre point de divergence, faut-il taxer le soleil pour compenser le manque de taxes perçues ? Aujourd’hui les taxes sont payées proportionnellement à l’électricité que les citoyens achètent au réseau. S’ils autoconsomment, ils achètent moins d’électricité au réseau, et payent donc moins de taxes. Qui va payer ce manque à gagner ? Est-il possible de taxer le soleil ? Est-il possible de taxer la tomate qu’un particulier fait pousser dans une jardinière ?
Une solution consensuelle semble émerger : l’incitation tarifaire et le net-billing
Comment inciter les Français à avoir un comportement vertueux et utiliser le système électrique de manière à ce que cela coute le moins cher possible à la collectivité ? Faut-il mettre des publicités à la Télévisions ? L’enseigner dans les écoles ? Mobiliser les gendarmes ? De nombreuses idées ont été proposées par différents participants mais une idée particulière semble s’imposer d’elle même. La solution la plus simple et la plus efficace est l’incitation tarifaire comme le rappel Guido Bortoni, le président de l’autorité italienne de régulation de l’électricité. En Italie ils ont déjà 750 000 autoconsommateurs et cette méthode a fait ses preuves. Tous les jours ACCORD Hôtels, SNCF et AIR France utilisent des incitations tarifaires (yield management) pour lisser le plus possible les demandes de réservation. Pourquoi ce qui marche avec eux ne fonctionnerait pas pour l’électricité ? Un exemple : Si consommer de l’électricité à 19h le soir le plus froid de l’année coute 5 fois plus cher qu`une heure avant ou une heure après, qui va refuser de décaler la consommation de son cumulus, de sont congélateur ou de sa voiture électrique ?
En conclusion, sous forme de clin d’Å“il à l’introduction de Jean François Carenco, Fabien Choné se place en porte parole des industriels qui aiment avoir de la visibilité pour investir : « Si devant mon banquier je ne prétends pas pouvoir prévoir comment la situation va évoluer, c’est moi qui vais passer pour un idiot »