L’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et IFP Energies nouvelles (IFPEN) viennent d’achever les travaux conduits dans le cadre du projet GENERATE (Géopolitique des énergies renouvelables et analyse prospective de la transition énergétique), financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), sur l’évolution de la géopolitique de l’énergie dans le contexte de la transition énergétique bas-carbone. Bilan !
Les conclusions du projet GENERATE soulignent que la croissance des énergies renouvelables (EnR) au niveau international pourrait exacerber la dépendance à certains matériaux essentiels au développement des technologies bas-carbone, accroître la concurrence dans les technologies EnR et la propriété intellectuelle associée, affecter les stratégies des pays producteurs d’énergies fossiles et créer des tensions sur les ressources en eau. Autant de facteurs qui risquent d’impacter, dans les décennies à venir, la géopolitique énergétique. Le projet mené par IFPEN et l’IRIS a porté sur trois axes majeurs de la transition énergétique, susceptibles d’impacter les enjeux géopolitiques mondiaux :
- | La criticité des matériaux des technologies bas-carbone |
- | La nouvelle géographie de la propriété intellectuelle des technologies bas-carbone |
- | L’évolution des modèles de développement et de diversification des pays producteurs d’hydrocarbures |
Une dépendance élevée aux ressources en cobalt, en cuivre et en eau
En reconstituant les chaînes de valeur des matériaux essentiels à la transition énergétique – cobalt, cuivre, lithium, nickel et terres rares – et en comparant l’évolution de leurs demandes respectives à horizon 2050 aux ressources connues en 2010, les chercheurs ont déterminé, grâce au modèle TIAM-IFPEN, un indicateur de criticité.
Réalisées sur la base de deux scénarios climatiques (+2°C et +4°C), les projections indiquent une criticité élevée pour le cobalt, présent dans les batteries, et pour le cuivre, utilisé dans les réseaux électriques et les transports. Ainsi, plus de 90 % des ressources connues aujourd’hui pour ces deux matériaux pourraient être consommés à l’horizon 2050. Dans ce contexte de forte demande, certains pays producteurs ou spécialisés dans le raffinage des métaux, tels que le Chili, la Chine, l’Australie ou la Russie, pourraient occuper une place stratégique sur les marchés mondiaux à l’horizon 2050.
Le lithium a, pour sa part, une criticité moyenne puisque près de 75 % des ressources seraient encore disponibles à l’horizon 2050 dans un scénario 2°C. Toutefois, la concentration des réserves et des acteurs (5 entreprises contrôlent 90 % du marché), les stratégies nationales différenciées des pays producteurs (Argentine, Australie, Bolivie et Chili) ou encore la faible transparence dans le processus de formation des prix pourraient, dans le futur, obérer la sécurité d’approvisionnement en lithium pour de nombreux pays importateurs.
En outre, l’étude met l’accent sur l’importance des ressources en eau, liées à une consommation dans les différents procédés de production, pour l’ensemble des matériaux étudiés. Cette contrainte environnementale pourrait limiter la dynamique de transition énergétique. Ce point fondamental devra donc faire l’objet d’une attention particulière et de travaux de recherche dédiés à l’avenir.
L’innovation dans le secteur des technologies bas-carbone largement tirée par l’Asie et par les prix du pétrole
Les études statistiques sur les bases internationales de brevets, sur la période 2002 – 2014, ont permis de dégager deux tendances principales :
- Le début des années 2000 a été marqué par une nette accélération de l’innovation dans les technologies des ENR, en lien avec la hausse des prix du pétrole. En effet, la politique de prix pratiquée par les pays producteurs d’hydrocarbures a une influence déterminante sur la dynamique de transition énergétique. Inclure ces pays dans la négociation climatique est donc une nécessité, afin de s’assurer qu’un prix du pétrole excessivement bas ne vienne pas fragiliser les décisions prises dans le cadre des accords internationaux.
- L’innovation dans le secteur des ENR est largement tirée par l’Asie qui représente aujourd’hui près de 52 % des brevets, dont 29 % sont détenus par la seule Chine. La Corée du Sud et Taïwan se sont fortement spécialisés dans les technologies du solaire photovoltaïque, tandis que la Chine mise sur les technologies de l’éolien, des biocarburants, des énergies marines, et dans une moindre mesure du solaire PV. Si les États-Unis, l’Europe et le Japon conservent encore un avantage technologique, ils risquent d’être largement concurrencés dans les décennies à venir.
La résilience des grands pays exportateurs d’hydrocarbures
Pour plus de 25 pays, les exportations de pétrole et de gaz représentent aujourd’hui plus de 40 % de leurs recettes budgétaires totales. Dans un contexte de transition écologique, la pérennité des modèles économiques de ces pays, leur vulnérabilité et leur résilience sont questionnées : la demande en hydrocarbures reste en effet soumise à l’évolution de la croissance mondiale, aux dynamiques du secteur des transports, ainsi qu’aux politiques publiques de lutte contre le changement climatique.
L’analyse bibliographique et statistique d’indicateurs mesurant la vulnérabilité des pays producteurs d’hydrocarbures montre que, contrairement aux idées reçues, les grands pays exportateurs (pays du Golfe, Russie) pourraient tirer profit de la transition énergétique s’ils prennent, dès à présent, des orientations stratégiques majeures de diversification de leurs économies. Tandis que certains pays exportateurs, principalement ceux situés en Afrique sub-saharienne, seraient les plus vulnérables à un ralentissement de la demande en hydrocarbures.