Aussi curieux que cela puisse paraître, la région Provence Alpes-Côte d’Azur, région la plus ensoleillée de France, n’accueillait pas encore d’usine d’assemblage de modules photovoltaïques. Depuis cet automne 2011, l’incongruité est réparée. La société familiale Tournaire, née en 1833 à Grasse et spécialiste de l’emballage, a diversifié son activité en investissant dans une ligne de fabrication de panneaux photovoltaïques (30 MWc). Une initiative qui s’inscrit dans le cadre d’un groupement international de PME, sous la marque Heliene, au potentiel de 160 MW. De quoi réaliser des achats groupés et répondre à des appels d’offres d’importance face à une concurrence mondiale toujours plus agressive !
Vendredi 7 octobre 2011. Le vent souffle fort sur le parking de la société Tournaire Solaire Energie à Pegomas (Alpes-Maritimes). Un chapiteau bien arrimé a été monté pour l’inauguration de la première unité de production de modules photovoltaïques de la région Provence-Alpes Alpes Côte d’Azur. Il claque sous les rafales de mistral. « Un climat à fabriquer des éoliennes » glissera non sans humour Gilbert Pibou, le maire de Pegomas qui se réjouit de compter un nouveau site industriel sur sa commune dans un bâtiment nouvellement réhabilité.
160 MWc pour exister sur le marché mondial : Une stratégie de mutualisation pertinente
Entre 2008 et 2009, alors que son chiffre d’affaires chutait de 18%, la société familiale Tournaire qui existe depuis sept générations cherche à diversifier son activité. Comme elle l’a toujours fait à travers l’histoire. En 1833, date de sa création, l’entreprise Tournaire fabriquait des alambics en cuivre pour l’industrie du parfum. Avec le temps, Tournaire SA est devenue un géant français des biens d’équipement et de l’emballage en plastique multicouches avec, outre une usine au plan de Grasse, une filiale de production à Chalons sur Saône et une autre filiale, commerciale cette fois, aux Etats-Unis. Parmi les clients de Tournaire SA, on retrouve des entrepreneurs du monde de la parfumerie, de la chimie fine (cristaux liquide) et de la pharmacie. En 2010, le chiffre d’affaires de Tournaire SA atteignait les 44 millions d’euros. « Tournaire c’est 178 ans d’expérience et une activité à l’export dans plus de soixante pays » assure Jean-Marie Chiocci, directeur général.
« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » disait Paul Eluard. En 2009, dans sa quête de diversification vers le photovoltaïque, Luc Tournaire, PDG de la société Tournaire SA, fait une rencontre décisive avec la famille Cardenas, des spécialistes espagnols du photovoltaïque très attachés à l’innovation. Pour faire le poids dans l’implacable compétition mondiale du photovoltaïque, les Cardenas ont eu l’idée de créer un groupement de PME, Helios Energy Europe, appuyé par la marque internationale Heliene présente en Espagne (Catalogne), au Canada (Ontario), aux Etats-Unis et depuis quelques mois, donc, en France. En effet, suite aux pourparlers avec les Cardenas, les actionnaires de Tournaire SA ont validé la diversification vers le photovoltaïque, confortés par le professionnalisme ibérique. Tournaire Solaire Energie (TSE) est ainsi née en 2010 de l’émanation d’une joint-venture entre Tournaire SA et Helios Energy Europe qui détient 25% de TSE. A Pegomas, la ligne dispose pour l’heure d’un potentiel de 30 MWc. Au plan mondial et dans les quatre pays, la totalité du groupe affiche à ce jour une capacité globale de 160 MWc, une taille plus appropriée à exister dans sur le marché mondial soumis au joug de l’hyper puissance asiatique. « Nous sommes un réseau de PME international tourné vers le futur et capable de jouer un rôle. Notre mutualisation nous permet de réaliser des achats groupés bien négociés. C’est la force et l’intelligence d’Heliene. C’est par cette stratégie que nous voulons contribuer au développement de l’industrie verte et avoir un véritable impact sur l’environnement dans les Alpes-Maritimes » assure Luc Tournaire.
Des modules Tournaire pour soutenir le réseau électrique des Alpes-Maritimes
Et justement, ce département de l’extrémité sud-est de la France a des besoins en matière de photovoltaïque. Situé en bout de ligne et soumis déjà à quelques black-out électriques, les Alpes-Maritimes souffrent des atermoiements du réseau quand la demande est forte. Une production décentralisée d’électricité aurait pour effet de suppléer un réseau parfois exsangue. Présente lors de l’inauguration, Dominique-Claire Mallemanche, sous-préfète de Grasse, a d’ailleurs annoncé la mise en place d’un comité de suivi du photovoltaïque en amont des projets en liaison avec les futurs appels d’offres. De quoi régler quelques problèmes de visibilité ! « Le Conseil Général a des objectifs ambitieux en matière de renforcement du réseau par des énergies décentralisées. Nous voulons être à ses côtés pour relever le défi. Je lance d’ailleurs ici un appel solennel au président Christian Estrosi. En matière d’énergie, les politiques publiques se doivent de rechercher la proximité afin de favoriser l’emploi in situ et la dynamique locale » poursuit Luc Tournaire dont la société a entamé toutes les démarches de qualité et de certification entre le TUV, l’AQPV et les normes ISO 9001 et ISO 14 001 afin notamment de répondre aux critères des appels d’offres.
Cet appel aux politiques s’inscrit dans un contexte de crise de la filière photovoltaïque française et même mondiale. Entre le moment où les actionnaires de Tournaire ont pris la décision de monter cette unité de fabrication de modules et aujourd’hui, de l’eau a coulé sous les ponts. Et pourtant, la stratégie de mutualisation des moyens avec d’autres PME était celle qu’il fallait suivre, en quête de synergies raboteuses de coûts. Mais aujourd’hui, la surproduction mondiale dopée par les énormes capacités de production asiatique combinées au ralentissement des investissements dans les pays occidentaux grevés par la dette, a eu pour effet de faire baisser les prix des panneaux de manière vertigineuse. Dans une logique de concurrence impitoyable !
Des atouts de poids pour contrecarrer un contexte morose
En France, les effets du moratoire, les baisses de tarif programmées, la complexité administrative des appels d’offres et le gap annuel des 500 MW rajoutent au marasme ambiant. « Les appels d’offres entre 100 et 250 kWc uniquement basés sur le prix n’avantagent pas les entreprises françaises qui regardent entrés les panneaux chinois » déplore Jean-Marie Chiocci. « Il faut avouer que c’est un peu la catastrophe sur le marché. Le contexte est délicat. Cependant, notre société a des bases saines. En amont, nous optimisons nos achats avec le groupement Helios Energy Europe. Nous sommes en train de troquer nos cellules américaines Suniva pour des cellules taïwanaises et l’on ne s’interdit pas de regarder en Chine. En aval, nous garantissons des produits de haute performance et avons passé un accord de partenariat avec ArcelorMittal sur un système d’intégration SolarStyle en acier inox très durable. Nous sommes prêts à intégrer le solaire dans les bâtiments du futur suivant les futures réglementations et en liaison avec les architectes. L’avenir nous appartient. Nous avons abordé l’activité avec une vision de long terme sans jamais avoir aucune velléité d’abandonner le projet » espère Luc Tournaire. Nanti de fonds propres fortement consolidés, la société Tournaire a investi 6 millions d’euros sur la ligne de production (4 millions d’euros) et les à -côtés (2 millions d’euros pour le stock, la formation, la trésorerie etc.) Généreuses, les banques ont ouvert une ligne de crédit en leasing avec un premier loyer à 50% du montant de l’investissement. Autant avoir les reins solides pour affronter de telles conditions ! Pour l’heure et depuis trois mois, l’unité de production tourne au ralenti avec une seule équipe de douze personnes en production et six personnes à l’administratif. De quoi sortir 360 panneaux de l’usine ! En fonction du marché, l’effectif devrait doubler l’année prochaine avec l’apport d’une nouvelle ligne. Un nouveau bâtiment de stockage de 1600 m² devrait également voir le jour en face du bâtiment existant. A terme et dans trois ans, l’entreprise table sur 75 emplois pérennisés. Une ambition d’ores et déjà contrariée ?
Courage et témérité !
Un mot tout de même de l’unité de production qui a fait l’objet d’une visite studieuse au cours de l’inauguration. Comme toutes celles du groupe, cette ligne de fabrication est intégralement développée et assemblée par SAP Solar, filiale de Helios Energy Europe. Elle bénéficie de toute l’expérience acquise sur les installations de Helios Energy Europe, Heliene Canada et Helios USA. Son degré d’automatisation de 80% assure une grande régularité des paramètres de production, et par là même une grande stabilité du process. Les produits fabriqués présentent ainsi un bon niveau de qualité et une fiabilité éprouvée sur les autres sites. Le système de supervision de la ligne fournit en temps réel toutes les données relatives à la production et au process de fabrication. Le stockage de l’ensemble de ces informations permet une traçabilité unitaire complète des paramètres de production et des résultats de test de chacun des modules fabriqués. Le site industriel de Tournaire Solaire Energie est bien sûr conçu pour produire tous les modules de 60 et 72 cellules de la gamme Heliene. La flexibilité des moyens de production permettra également de fabriquer dans le futur les nouveaux modules de 96 cellules (400 Wc, dimensions 2 m x 1.35 m) dont le développement est en cours. « Par ailleurs, pour garantir à ses clients le bon recyclage des modules en fin de vie, Tournaire Solaire Energie est membre de CERES, une association qui anime une filière de collecte et de recyclage des modules photovoltaïques » conclut Luc Tournaire. Comme pour montrer combien ce projet a été particulièrement bien ficelé et respectueux d’une forme d’éthique environnementale. « Vous avez été courageux d’investir de la sorte quand on connaît les difficultés d’entreprendre » a insisté monsieur le maire. Et si Gilbert Pibou, sans lui faire offense, connaissait plus avant la problématique de la conjoncture photovoltaïque mondiale, ce n’est pas le courage qu’il aurait évoqué mais au moins la témérité !
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