Fraîchement nommé au comité exécutif du groupe ENGIE en tant que Directeur Général adjoint, en charge de la Recherche & Technologie et de l’Innovation, Thierry Lepercq, fondateur de la société Solairedirect acquise par Engie en septembre dernier livre à Plein Soleil et au blog de Tecsol ses premières impressions. Pour lui pas de doute, le solaire va tout casser dans les mois et les années à venir et Engie sera l’un des leaders mondiaux de cette mutation. Interview cash du nouveau monsieur solaire d’Engie qui murmure à l’oreille d’Isabelle Kocher !
Plein soleil : Qu’est-ce qui a changé chez Solairedirect depuis l’acquisition par Engie ?
Thierry Lepercq : On peut dire deux choses. De manière organique, Solairedirect demeure une entreprise entrepreneuriale dont les collaborateurs sont actionnaires et gérée par son équipe de fondateurs. Le MIP (Management Incentive Plan) basé sur des critères de MW sous-tend que l’entité juridique ne peut être dissoute jusqu’en 2020. La deuxième chose est qu’il n’y avait pas vraiment de solaire dans le groupe, à part La Compagnie du Vent et quelques entités. Sur l’exercice calendaire 2016, Solairedirect avait prévu un trend de 400 MW qui a connu une accélération pour approcher les 600 MW. Cette accélération touche tous les continents avec près de 1000 MW de projets groupés en dix mois : 250 MW au Brésil, 45 MW au Pérou, 50 MW en France, 140 MW en Inde plus 75 MW via les appels d’offres, ainsi que d’autres projets en Egypte ou Sénégal.
« Une industrialisation des process à l’extrême »
PS : Quel est l’apport de Solairedirect dans le groupe Engie ?
TL : Ce groupe qui compte 155 000 salariés a opté, pour être compétitif dans le solaire sur le modèle de Solairedirect qui a poussé l’industrialisation des process à l’extrême. Nous venons de réaliser une journée fournisseur avec cent cinquante personnes venus du monde entier. Ils ont écouté nos perspectives. Ils ont trouvé incroyable notre façon d’intégrer la chaîne de valeurs mais aussi de mobiliser les fonds de pensions via des plateformes de minimum 250 MW. Nous parvenons à disposer de financement très compétitif. Nous nous finançons à des niveaux très bas.
PS : Pourquoi et comment avez-vous réussi à développer et à structurer ainsi vos plateformes financières ?
TL : Nous partons d’un historique de 10 ans au cours duquel nous avons levé plus d’un milliard d’euros. Aujourd’hui, quelle est la situation ? Les financeurs reconnaissent les investissements solaires en tant qu’annuités ou obligations. Ils ont compris que c’était quelque chose de très peu risqué. La production est régulière dans le temps, la technologie est prévisible, les contrats de vingt à vingt-cinq sont stables à l’instar du cash flow. Réduire les coûts de financement en réduisant les risques, telle est la première règle. La deuxième passe par les volumes. Quand on parle avec des fonds qui gèrent des milliards de dollars, il faut travailler sur des plateformes de grande taille. En Inde le minimum, c’est 500 MW. Nous ne travaillons pas sur des projets à 10 millions mais bien sur des plateformes à 200 ou 300 millions financés uniquement par des investissements en capital.
« Solairedirect est reconnue au plus haut niveau chez le premier énergéticien mondial »
PS : L’entrée dans Engie a-t-il changé quelque chose au fonctionnement de Solairedirect ?
TL : Un petit peu dans le contrôle des décisions, un peu plus d’efforts de reporting. Mais reste que dans ce contexte, Solairedirect poursuit son développement avec une équipe inchangée et toujours plus motivée. Tout cela ne nous empêche pas de gagner des projets et même d’accélérer. C’est une très belle histoire.
PS : Vous venez d’entrer au Comité Exécutif d’Engie. Votre sentiment ?
TL : Cette intronisation a une forte portée symbolique. Ma nomination montre que la dimension entrepreneuriale est reconnue dans Engie, premier énergéticien mondial. Annoncer cela à la Défense devant 2000 personnes est un signe de vive reconnaissance.
PS : Quelle sera votre mission ?
TL : Nous allons mettre en place quelque chose de très puissant avec le basculement vers la transition énergétique. Aujourd’hui, le système énergétique global est malade avec des prix de gros de l’énergie qui dégringolent et des utilities en difficulté. Dans ce contexte, le secteur de la production renouvelable éolien terrestre et solaire notamment est devenu hyper compétitif avec des coûts de 30 dollars le MWh au Maroc par exemple. En gros, le solaire est en train de tout casser. L’analyse de fond montre qu’il s’agit d’une énergie rapidement et facilement déployable, dans de gros volumes et basée sur une ressource infinie. Elle bouleverse tous les paradigmes.
« Ces nouvelles prestations de services bouleversent les énergéticiens »
PS : Pour vous, le solaire dispose d’un potentiel de développement infini. Comment justement matérialiser ce nouveau paradigme ?
TL : Il est vrai que pour l’heure, nous sommes encore plus dans le financier que dans le physique. Mais nous entrons dans le monde des Entechs avec des opportunités technologiques incroyables pour transcender les nouveaux business models qui apparaissent. La technologie d’énergie décentralisée photovoltaïque est transversale avec le digital : gestion de la demande, stockage, Internet des objets qui est capital, big data, cybersécurité, peer to peer avec des producteurs d’électricité capable de vendre à son voisin, sans oublier la mobilité électrique. L’ensemble de ces nouvelles prestations de services bouleversent les énergéticiens. Dans ce contexte, tout investissement dans la production d’électricité classique de type fossile devient une décision financière risquée.
PS : Quelle est la stratégie du groupe Engie en la matière ?
TL : Tout d’abord, il faut dire que tout cette stratégie audacieuse a été conçue et mise en Å“uvre par Isabelle Kocher, qui a pleinement pris les rênes d’Engie le 3 mai dernier. Cette nouvelle vision passe par un désengagement progressif des énergies les plus carbonées. La stratégie du groupe est désormais axée sur le développement des énergies renouvelables et des services aval. Je reprends ainsi la Recherche et Technologie, une structure de six cents personnes dotée d’un fonds de capital risque et d’une cellule Innovation/Incubation. Il y a aussi la Digital Factory lancée par Yves le Gelard, le DSI (Directeur des Systèmes d’Information). Engie ne veut pas être suiveur mais leader dans un monde où l’on va retrouver des entreprises comme Google ou Tesla qui viennent d’ailleurs et qui vont réinventer un modèle qui était basé sur les réseaux centralisés. Engie a des ambitions fortes dans ce monde de l’énergie où une énergie solaire quasiment gratuite peut désormais être déployée à grande échelle. Cet Engie Fab, installée dans une approche entrepreneuriale au sein d’un grand groupe, obéira à une logique d’ouverture au monde des start-ups et des nouveaux marchés afin de lancer le business model à grande échelle qui utilise les énergies renouvelables compétitives et variables. Engie va y consacrer des ressources importantes avec la volonté de devenir un leader dans ces technologies innovantes. Engie se donne les moyens de ces ambitions dans cette révolution énergétique.