L’insularité induit une forte dépendance en matière d’approvisionnement énergétique. Même si le mix électrique de la Corse se caractérise par un taux très important d’énergies renouvelables (EnR), l’île reste dépendante des approvisionnements extérieurs pour près de 87% de sa consommation totale d’énergie primaire en 2014 avec les carburants pour les transports, gaz de pétrole liquéfié pour le chauffage notamment, combustibles pour la production d’électricité, importation d’électricité via les interconnexions avec l’Italie et la Sardaigne). Cependant les choses bougent. Et notamment en matière de solaire photovoltaïque d’ores et déjà soumis au seuil de déconnexion de 30% ! C’est ainsi que les appels d’offres CRE qui concernent la Corse donnent naissance à des centrales solaires avec stockage à forte valeur ajoutée. Le consortium Schneider Electric Saft a ainsi remporté deux projets développés, construits, et financés par le groupe Langa. Ces deux installations (1 MWc chacune) de production d’énergie photovoltaïque qui associent un système de stockage par batteries lithium-ion seront raccordées au réseau d’ici la fin de l’année pour 1 300 MWh d’électricité produite et injectée annuellement. Engie avec Corsica Sole s’est mis au diapason avec une centrale de 4,4 MWc avec stockage géré par un système intelligent Profil’ER capable de prévoir et de garantir la production. L’Université Corse n’est pas en reste et a développé en partenariat le projet Myrte de stockage d’hydrogène, véritable référence internationale et développe une nouvelle plate-forme autour de systèmes de stockage pluriel et innovant comme les volants d’inertie ou les micro-steps. Sans oublier les entreprises qui à l’instar de Soleco, sont devenues des références bien au-delà de leur territoire insulaire. Laboratoire à ciel ouvert dans le domaine des énergies renouvelables, la Corse est terre d’innovation énergétique. Petite escapade au cÅ“ur d’un territoire méditerranéen enclin à la modernité renouvelable !
Le solaire au soutien, du réseau électrique Corse
En matière d’électricité la Corse est alimentée par trois biais : l’interconnexion avec la Sardaigne appelée SARCO ainsi que celle avec l’Italie SARCOI pour un peu plus de 30%, les combustibles fossiles pour 35 à 40% – voir la cheminée crachant ses fumées jaunes qui accueille les touristes à l’aéroport d’Ajaccio – et enfin les énergies renouvelables pour 30% dont un bon trois quart d’hydraulique et près de 6% pour le parc photovoltaïque. La Corse fait donc partie de ce que l’on appelle une zone non interconnectée (ZNI). A charge pour elle de veiller à ce que l’offre et la demande d’électricité soient en permanence en phase sur un territoire maillé de nombreux villages parfois au fond de routes en cul de sac. Explications !
Sept heures du matin, 8 octobre 2015. Petit déjeuner dans la salle à manger d’un hôtel à Borgo à quelques encablures de Bastia. Coupure d’électricité soudaine. La réceptionniste m’indique que cela n’est pas rare. Au cours de l’été dernier, une coupure est venue perturber un dîner ave une centaine de personnes à servir. Chaos dans les cuisines ! Pire en ce jour du 8 octobre, une nouvelle coupure d’une plus grande ampleur encore privera de courant 60 000 abonnés de l’île, une bonne partie de l’après-midi. Un épisode vécu, sur le terrain, qui rend compte concrètement de l’instabilité du réseau électrique Corse.
L’équilibre du réseau électrique corse passe par le stockage des EnR
Petit détour par l’Ademe locale pour en savoir plus sur le contexte électrique de l’île de Beauté et de son historique qui a pris un tour nouveau après la crise énergétique du long et froid hiver 2005. Gravé encore dans toutes les mémoires, cet épisode n’est pas resté sans conséquence. Après ce terrible avatar énergétique aux lourdes répercussions, l’Assemblée de Corse a adopté un Plan énergétique 2005-2025 avec pour objectif de bâtir un système garantissant à la fois la sécurité de l’approvisionnement de l’île et la qualité de l’environnement insulaire. En matière d’énergie, qui dit qualité de l’environnement, dit forcément énergie renouvelables ! Le problème avec les énergies renouvelables dans les ZNI réside dans leur variabilité. C’est pourquoi dans les énergies renouvelables électriques sont soumises à un plafond de 30% d’intégration au réseau. « Un arrêté ministériel autorise en effet le gestionnaire du réseau public d’électricité à déconnecter toute centrale solaire s’il constate que la somme des puissances actives injectées par de telles installations atteint 30% de la puissance active totale transitant sur le réseau. En Corse ce seuil est déjà atteint. L’opérateur public EDF SEI est ainsi en capacité de déconnecter les dernières centrales solaires qui seraient installées la règle ne s’applique pas aux centrales déjà installées – hors petites unités en résidentiel » précise Christophe Grand, ingénieur Ademe à Ajaccio. Aujourd’hui, la CRE propose donc des solutions avec stockage qui permet de mettre de côté les surplus de production, aux heures très ensoleillées, et ne les restituant au réseau aux heures de grisaille, où la production est moindre.
Millener et mobilité électrique, la tentation du stockage décentralisé
Le stockage est donc une composante essentielle à l’utilisation des énergies renouvelables en Corse. EDF SEI a même voulu l’expérimenter auprès des particuliers avec son programme Millener également opérationnel en Guadeloupe et à La Réunion. « Une quarantaine de systèmes photovoltaïques pilotes a été installée avec l’objectif de mutualiser l’utilisation des batteries pour les cas d’urgence lors des coupures et pour le lissage au niveau du réseau. Quelques dysfonctionnements, des problèmes de maintenance nous ont contraints, et la décision a été dure à prendre, de retirer ce matériel pour des raisons logiques de sécurité. La question qui se pose est de savoir si le modèle le plus décentralisé est, ou pas, le plus pertinent » souligne Laure Lambrot, chargée de mission Smart Grids chez EDF Corse qui travaille également depuis quelques années sur le projet Viasole, l’électromobilité intelligente sur l’île. Cette dernière pourrait être une pièce importante de l’équilibre du réseau. Un prototype est en place au siège d’EDF SEI à Ajaccio. « Nous développons le volet communicant avec le système électrique via des algorithmes de fonctionnement. La borne interroge le réseau pour savoir si ce le moment de charger le véhicule. Nous optimisons » précise Laure Lambrot. La société Corsica Sole, la même société qui a investi dans le smart grid solaire d’Alata réalisé par Engie, est en train de développer un projet de déploiement de bornes de recharge solaire, des sortes de parasols dotés de 150 m² de modules photovoltaïques pour accélérer l’électromobilité dans l’île. En effet aujourd’hui, une voiture électrique en Corse roule au fuel des centrales thermiques.
Un plan de relance pour le solaire thermique en Corse
Quid du solaire thermique en Corse, vecteur lui aussi de stabilité ? Sur la chaleur, l’Ademe a la main notamment grâce au fonds chaleur. « Les objectifs en Corse sont ambitieux avec notamment une cible à 260 000 m² de capteurs à horizon 2050 soit environ 1 m² par capteur. Il faut se bouger » reconnaît Véronique Reix, directrice régionale de l’Ademe en Corse. Et l’Ademe se bouge. Elle a fait réaliser des audits par le bureau d’études Tecsol pour faire un bilan qualitatif et quantitatif de l’existant. Le résultat est assez satisfaisant. L’Ademe a également organisé une journée d’échanges au printemps 2015 pour mettre en place un plan de relance du solaire thermique auprès d’un public cible dans le monde du tourisme (campings, hôtels), de la santé ou du social (bailleurs). Tout cela autour d’un contrat de plan Etat-Région, où quand l’Ademe met un euro sur la table, la Communauté Territoriale Corse en fait autant. « Nous avons tous les outils pour dégainer. L’Ademe veut bien être moteur, mais nous manquons de moyens humains. Vous rendez-vous compte avec seulement deux ingénieurs énergie pour l’ensemble de la Corse. L’argent est là , mais il n’a pas que l’argent. Nous avons besoin d’animateurs pour donner l’impulsion. Nous déplorons aussi un peu le manque d’exemplarité des collectivités qui sont à la traîne sur ces sujets » tranche la directrice Région de l’Ademe. Et Véronique Reix de faire un rêve : « Sur ce territoire baigné de soleil, ce n’est pas aux bailleurs sociaux, aux directeurs d’hôtels ou de campings de s’occuper du solaire thermique. Ce n’est pas leur job d’organiser du suivi, de la maintenance. Ce serait plutôt à un opérateur qui oeuvrerait de la conception à la réalisation et qui vendrait des kWh chaleur dans une collaboration d’acteurs » conclut-elle. En Corse, l’énergie solaire, apparaît comme vecteur d’indépendance et d’autonomie, deux notions qui résonnent aux oreilles du peuple Corse épris de liberté.
Encadré
Synthèse des réalisations solaires sur la période de la PPE propre à la Corse
En ce qui concerne la Corse, le projet de programmation pluriannuel de l’énergie établit les conditions permettant entre 2016 et 2023, par rapport à l’existant en 2015 :
o en favorisant le développement du solaire thermique à hauteur de +20 GWh
o en mettant en service d’ici 2023 :
PV et éolien avec stockage : + 30 MW
PV sans stockage : + 20 MW
Solaire thermodynamique : +12 MW
o en développant des infrastructures de recharge pour les véhicules électriques adaptée aux contraintes du territoire en visant en 2023 un parc de 700 bornes de recharge alimentées à partir d’électricité d’origine renouvelable.