Bruno Cassin, président de la société ELVIA PCB spécialisée dans les circuits imprimés est devenu un peu par hasard un industriel du photovoltaïque. L’usine Sagem de Lannion qu’il reprend à l’été 2007 part en fumée le 24 septembre suivant avec à la clé une grosse perte d’activités. Et un avenir incertain alors que le temps presse Bruno Cassin trouvera un relais de croissance avec la création d’une activité d’assemblage de modules photovoltaïques ! C’est ainsi qu’est née Sillia Energie en 2008. Une nouvelle aventure passionnante qui se révèle aujourd’hui semée d’embûches et de chausse-trappes alors même qu’une nouvelle ligne d’assemblage vient de se mettre en branle !
Sillia Energie ! Un nom qui sonne juste, entre une référence au silicium et une touche de féminité. La femme étant l’avenir de l’homme comme dit le poète, Sillia Energie porterait donc en elle une petite part de l’avenir énergétique de l’humanité toute entière. Le solaire comme l’une des sources de développement futur de la planète. Un truisme !
« Il s’en est fallu d’un cheveu que je fabrique des cellules »
Au commencement et avant de vouer son culte à Hélios, Sillia Energie est née d’Héphaïstos, dieu grec du feu. En effet, lorsque Bruno Cassin président d’ELVIA PCB (Printed Circuit Boards) achète l’usine Sagem de Lannion le 1er juillet 2007, il ignore que trois mois plus tard un incendie accidentel ravagerait ce site de production de circuits imprimés nus dédiés à l’aéronautique, le cÅ“ur de métier d’ELVIA PCB. L’usine est requalifiée en mai 2008 mais dans le laps de temps, elle accuse une forte perte d’activités. Bruno Cassin se met alors en quête d’une activité nouvelle avec le souci prégnant de ne pas licencier son personnel, sa priorité des priorités. Lors d’un déplacement en Allemagne en visite auprès de ses fournisseurs allemands de machines outils, il découvre l’univers du photovoltaïque au sujet duquel il avoue qu’il n’y connaissait rien. « Nous étions en 2008. J’ai découvert que le marché allemand était en plein boom. En France, cela commençait également à bouger un peu. Le contexte était bon. J’ai foncé et je me suis lancé en m’appuyant essentiellement sur le savoir-faire germanique et des produits de qualité à savoir les cellules Q-Cells » se remémore le chef d’entreprise Avec sa ligne de 20 MW, Sillia Energie devient la troisième entreprise française de modules photovoltaïques après Photowatt et Tenesol. Dès 2008, l’idée de panneaux « Made in France » répondait à une attente forte. Elle tempérait également l’agacement du ministre Jean-Louis Borloo et des pouvoirs publics de voir la CSPE financer des panneaux étrangers. Sillia Energie arbore ainsi fièrement sur son logo un drapeau tricolore, sa marque de fabrique. « Il ne fait aucun sens de créer une filière photovoltaïque si personne n’est capable, à un moment ou à un autre, d’intégrer la chaîne de valeurs, de participer à la production » assène le chef d’entreprise. Lorsqu’on lui fait remarquer que la valorisation se situe davantage en amont et notamment sur les cellules, il dégaine : « Il s’en est fallu d’un cheveu que je fabrique des cellules. Avec ma spécialité de circuits imprimés nus, j’aurais dû naturellement faire de la cellule. Mais hélas, je manquais de temps, je n’avais pas le choix pour sauver les emplois » déplore-t-il. Dès 2009, Sillia Energie se lance donc dans le module. Le premier panneau sort de l’usine le 31 mai 2009. Le démarrage de l’activité est concluant. Sur six mois, 5 MW sortiront des lignes. En 2010, 18 MW seront produits sur une capacité de 25 MW au total pour un chiffre d’affaires de 28 millions d’euros. « Nous allons alors être assailli de demandes, notamment pour des fermes au sol. Nous sommes retenus dans de nombreux projets à hauteur de 50 MW, toujours en B to B, via un fonctionnement classique autour de partenariats » confie Bruno Cassin.
« Investir pour optimiser les coûts »
Dans cette dynamique de début 2010, la production s’emballe et l’idée de réduire les coûts via un réinvestissement dans l’outil fait son chemin. En juillet 2010, Sillia Energie lance le projet d’une nouvelle ligne de production de 25 MW, soit un total de 50MW, qui est arrivée in situ en février 2011, en plein moratoire. Comme un symbole ! « Nicolas Sarkozy voulait une filière industrielle. Nous avons fait confiance à ces gens-là qui avait programmé que lorsqu’un euro serait donné au nucléaire, un euro serait octroyé aux renouvelables » déplore-t-il. Avec cet investissement, Sillia Energie a donc optimisé les coûts de main d’Å“uvre, souvent rédhibitoires en France, grâce un outil de montage parmi les plus automatisées d’Europe. « Sur cette nouvelle ligne, nous mobilisons deux fois moins de personnel que sur l’ancienne ligne tout en demeurant Premium dans notre approche. En effet, nous ne voulons en aucun cas dériver de notre déontologie de départ. Ce nouvel investissement est un facteur majeur de réduction des coûts. Le niveau de compétitivité d’un fabricant européen est à ce prix » affirme le PDG breton qui a tout de même investi entre sept et huit millions d’euros dans l’aventure. Si la ligne le plus récente, ultra automatisée lui permet de baisser les coûts, l’ancienne ligne plus manuelle a l’avantage de pouvoir adapter la production aux demandes plus exotiques de la clientèle. « Il nous est aisé de dématérialiser les standards et de passer de modules à cinquante-quatre cellules à des modules de trente-huit, et ceci, sans créer trop de désordre dans cette ligne. C’est cela aussi notre valeur ajoutée » se réjouit Bruno Cassin.
AQPV : « Une bonne chose de démarquer les produits français »
Aujourd’hui, les modules Sillia Energie sont toujours assemblés avec des cellules Q-Cells mais pas exclusivement. Des fournisseurs taïwanais comme Gintech notamment viennent désormais alimenter les chaînes de production. Dès le départ, Sillia Energie a d’ailleurs mis l’accent sur la traçabilité et la transparence. « 35% de l’activité d’ELVIA PCB se situent dans l’aéronautique militaire où l’on dit ce que l’on fait et l’on fait ce que l’on dit. C’est comme cela que l’on séduit les assureurs et les financeurs de projets. Cette transparence nous la mettons également en pratique dans le solaire afin de garantir une qualité optimale » insiste-t-il. Et lorsque l’on évoque la qualité, Bruno Cassin se lance dans une évocation du label AQPV qu’il trouve séduisant. Il se réjouit que le gouvernement ait affiché la volonté de démarquer les produits français des produits d’importation en certifiant les modules assemblés en France et ceux dont les cellules sont d’origine France comme c’est le cas pour Photowatt en attendant les cellules de MPO. « Nos modules Sillia Energie sont aussi français que les modules Photowatt. Alors certes, si la cellule est le moteur des modules, il ne faut pas oublier le volant ou les pneus. Vous savez aujourd’hui la cellule pèse au deux tiers dans la valeur ajoutée de la production d’un module et l’assemblage un tiers. Mais cette proportion est en train de se rééquilibrer. La création de valeur est bel et bien là sans polémique aucune » confie-t-il. Bruno Cassin pense par ailleurs que, tôt ou tard, les acteurs de la filière photovoltaïque devront cesser la politique d’intégration tous azimuts que l’on connaît aujourd’hui. Il croit aux spécialistes. « Investir sur l’ensemble de la chaîne de valeur me semble difficile à tenir sur la durée. Il sera de plus en plus difficile pour les acteurs concernés d’assumer une intégration globale de la filière. C’est mon point de vue » assure-t-il.
Des craintes pour 2012
Alors quid du présent ? La métaphore est choc. Mais elle a le mérite de la clarté. « Il n’est pas évident de décoller dans un champ de mines. Je suis très en colère contre les politiciens qui défendent le nucléaire à tous crins et qui ont tué le solaire. Ces gens là ne respectent rien et sont irresponsables alors que nous avons des entreprises à faire tourner, des salaires à payer. Je ne supporte plus les anti-solaires» s’emporte-t-il. Bruno Cassin qui se dit en guerre sainte jette volontiers l’anathème sur cette logique nationale qui privilégie les gros acteurs. Il déplore ainsi le manque flagrant de solidarité des gros opérateurs français qui n’achètent jamais un panneau français même s’il note des signaux, certes encore bien faible, dans les problématiques de localisation. « Les grandes transhumances sont terminées. Il faut protéger l’Europe. Cela n’a plus de sens aujourd’hui d’installer un panneau chinois. Une certaine clientèle commence à s’intéresser vraiment à l’origine des modules » se persuade-t-il. En cet été 2011, la nouvelle ligne commence à sortir du module alors que l’ancienne tourne en pleine capacité à 25 MW. Un nouveau rythme s’installe. « Je demeure stoïque, je suis un pur industriel du module. Je ne fais ni structure d’intégration, ni onduleur. Je ne suis en aucun cas concurrent de mes clients. Pourquoi aller chercher des ennuis ailleurs ? Aujourd’hui, j’ai quelques ambitions sur l’export. Nous avons semé quelques graines – Sillia Energie réalise 25% à l’export (ndrl) au Maroc, dans le Maghreb et en Italie un pays qui a su prendre des mesures simples et sans hypocrisie. Reste que vendre des modules secs à l’export, il ne faut pas rêver. Je crains en revanche une chose : Que le marché français soit réellement bas en 2012 » estime Bruno Cassin qui estime que l’Etat réduit les quotas à des niveaux ridicules. « Avec 500 MW et le système d’appel d’offres mis en place, nous n’avons pas d’avenir industriel en France. Il nous faut 800 MW. Ce serait un bon chiffre et encore sans une EDF bananière » lâche-t-il un brin provocateur. Car aujourd’hui pour Sillia Energie, comme pour de nombreux acteurs de la filière industrielle française, l’heure est à la résistance, pour mieux rebondir par la suite. « Aujourd’hui, nous espérons juste survivre sous réserve qu’il n’y est pas de rupture technologique impromptue » conclut-il désabusé. En attendant peut-être les élections présidentielles, bien au-delà des promesses électorales ! Car des promesses, la profession a fini par savoir qu’elles n’engageaient que ceux qui les écoutent
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