Par Daniel Lincot, Directeur de recherche émérite au CNRS à l’Institut Photovoltaïque d’Île de France (IPVF), Membre de l’Académie des technologies, Prix Edmond Becquerel 2024
Comparer la course au rendement des cellules et modules photovoltaïque et la compétition entre les voiliers et équipes du Vendée globe peut surprendre pour un article visant à faire le point sur les avancées des recherches sur les cellules solaires. Pourtant les deux domaines présentent pas mal de similitudes. Dans les deux cas la source d’énergie est l’énergie solaire, passant par l’intermédiaire du vent pour le voilier.
Le Vendée globe est ainsi une course à l’énergie solaire. La cellule solaire photovoltaïque, elle, se « branche » directement sur les photons du soleil. Mais le parallélisme ne s’arrête pas là . Le rendement d’une cellule photovoltaïque représente le rapport entre la puissance électrique produite et la puissance lumineuse reçue par celle-ci en plein soleil, 1000 Watts par mètre carré au niveau du sol (W/m2). Ainsi une puissance électrique de 200 W conduit à un rendement de 200/1000 soit 0,2, que l’on exprime plutôt en %, soit 20% dans ce cas. Pour le Vendée Globe, la grandeur de référence est le temps du vainqueur, soit 64 jours pour Charlie Dalin cette année pour une distance parcourue de 50 000 km. En 1989, lors de la première édition la durée du parcours était de 109 jours avec Titouan Lamazou. Entre ces deux époques, la vitesse moyenne est passée de 17 km/h à 29 km/h soit 70% de progression. Il s’agit d’une progression phénoménale due à des innovations scientifiques et technologiques permanentes, sans oublier la passion, le courage même, des marins et de leurs équipes, et les financements associés.
Et les pérovskites d’entrer dans la danse
La similitude avec l’évolution des rendements photovoltaïques record est frappante comme le montre la figure 1. Elle est adaptée de la dernière version actualisée d’une fresque célèbre, éditée par le NREL aux Etats Unis, que je compare aussi souvent aux jeux olympiques du photovoltaïque, chaque filière représentant en quelque sorte les différentes disciplines. Sur la gauche nous avons extrait les filières les plus représentatives en nous limitant à la fenêtre 1989-2025 comme pour le Vendée Globe : celle correspondant à la filière silicium qui représente près de 95 % du marché (en bleu), celle correspondant à la filière émergente du domaine, la filière couches minces pérovskite, née en 2009 et qui a aujourd’hui pratiquement rattrapé en terme de rendement le silicium (27,3 % contre 27,6) et la filière des records toutes catégories qui s’approche de la barre symbolique des 50 %, loin des applications concrètes mais qui ouvre la voie des très hauts rendements. La coïncidence veut que la progression de celle-ci est aussi de 70% entre 1989 et aujourd’hui !
Pour les applications concrètes, la progression de la filière silicium seule est plus limitée car celle-ci s’approche de son rendement théorique de 29 % environ, ce qui est un véritable exploit. Les dernières estimations montrent que les technologies actuelles (hétérojonction, Topcon, contacts arrière interdigités) pourraient dépasser les 28 %. Cette limite théorique peut être portée à 43% grâce à l’association avec un autre matériau déposé sur le silicium et fonctionnant en tandem. Et c’est là que les pérovskites sont entrées dans la danse, le hasard fait que leurs propriétés sont justement bien adaptées à celles du silicium, ouvrant un champ de recherche nouveau dans lequel se sont lancé tous les laboratoires du monde. Le résultat ne s’est pas fait attendre avec un rendement record de 34,6% qui dépasse largement la limite du silicium seul.
Les pérovskites sont les foils du silicium !
La comparaison avec l’introduction des foils sur les voiliers du Vendée Globe est également savoureuse. Ils ont fait leur apparition en 2016, peu y croyait et pourtant en 2024, les quinze premiers bateaux en étaient équipés, abaissant de 20 jours environ la durée de la course par rapport au voiliers traditionnels équipés de dérives, comme le soulignait Jean Le Cam à son arrivée**. Ainsi, les pérovskites sont les foils du silicium ! La combinaison des deux portant l’augmentation de rendement à 56 % sur la période 1989-2024 (courbe jaune). L’obtention des très hauts rendements est aussi associée à la superposition de plusieurs matériaux (à base de « III-V » du type GaAs), de quatre à six, on parle alors de multijonctions, qui sont autant de foils additionnels, dont pourrait un jour aussi se greffer sur les cellules silicium, ou se parer les cellules pérovskites elles-mêmes et devenir une alternative entièrement en couches minces pour le photovoltaïque.
Ce qui est également frappant sur la fresque du NREL, c’est que, comme pour les skippers du Vendée Globe, les équipes et laboratoires à l’origine des records sont également répertoriés comme le montre le zoom présenté à droite dans la zone du silicium. Une version interactive de la fresque vient d’ailleurs d’être publiée où en cliquant sur une valeur, l’origine et les données numériques des performances sont indiquées. Malheureusement force est de constater que les équipes françaises y sont peu présentes, contrairement au Vendée Globe qui fait carton plein. Pour une filière donnée on constate cependant que les détenteurs des records passent d’un pays à l’autre, ce qui traduit la dimension internationale de la compétition et permet également de juger de la dynamique de la recherche au niveau mondial. La recherche européenne est bien présente au niveau des records, en particulier en Allemagne par le biais de grands instituts comme le Fraunhofer ISE à Freiburg ou HZB à Berlin dans le domaine des pérovskites et des multijonctions, avec également des laboratoires de pointe dans d’autres pays (France, Royaume Uni, Belgique, Suède…).
La montée en puissance de la Chine
Cependant il faut souligner la montée en puissance de la Chine, illustrée par l’apparition des laboratoires chinois. Le cas de Longi est particulièrement significatif qui détient aujourd’hui les records pour le silicium et les tandems pérovskite. Contrairement aux laboratoires européens, la recherche est menée au sein d’une entreprise, leader mondial pour la fabrication de cellules et modules, qui consacre ainsi des moyens considérables pour la recherche pouvant surclasser ses concurrents. Il est urgent que l’Europe se dote également d’une industrie de fabrication pour exploiter les résultats de ses recherches de rupture. Justement dans le cas du Vendée Globe, la course s’appuie sur un secteur industriel en pointe et très populaire dans notre pays : la voile !
Note : *Pour être tout à fait rigoureux, dans le cas de la voile, nous avons considéré la valeur moyenne de la vitesse qui tient compte des ralentissements (le fameux « pot au noir »), tandis que les rendements photovoltaïques sont des rendements records obtenus sous condition optimale. Il faudrait plus les comparer à la vitesse de pointe des bateaux sous des conditions standardisées (en 24 h, le record est de 47,5 km/h, valeur pratiquement identique au record PV !, le record instantané pourrait approcher les 100 km/h) tandis que pour le solaire, il faudrait prendre le rendement moyen sur une année, soit 7% avec un facteur de charge de 15%.
** L’occasion aussi de souligner que les skippers sont eux-mêmes des « photovoltaïcien(ne)s » utilisant des technologies autonomes les plus avancées (comme pour le solar impulse), et participant même à l’innovation avec l’exemple de l’utilisation de modules solaires flexibles ultra léger Solar Cloth System par Jean Le Cam pour un Vendée Globe. Ces modules sont fabriquées par Alain Janet à Mandelieu la Napoule et ont commencé à fleurir sur certaines voiles de bateaux de plaisance.
Références
-https://fr.wikipedia.org/wiki/Vend%C3%A9e_Globe
-Fresque interactive des rendements photovoltaïques : Interactive Best Research-Cell Efficiency Chart | Photovoltaic Research | NREL
-Réédition du livre de la leçon inaugurale « Energie solaire photovoltaïque et transition énergétique », Daniel Lincot, éditions du Collège de France (Novembre 2024)