Au cÅ“ur de l’été, le syndicat Enerplan a organisé un colloque à la thématique d’actualité : «Faciliter l’intégration du photovoltaïque à grande échelle dans le réseau électrique français», à l’heure justement de la publication des Schémas Régionaux de Raccordement au Réseau des Energies Renouvelables, les fameux S3RENR. Depuis quelques mois, de nombreux opérateurs photovoltaïques sont confrontés à des hausses de coûts de raccordement qui vont jusqu’à condamner certaines projets. Les premiers S3RENR censés régler les problèmes semblent au contraire ajouter à la confusion et limiter le développement de cette énergie décentralisée. Enquête sur l’accueil contrasté fait au photovoltaïque sur les réseaux et sur sa montée en puissance contrariée !
Depuis des décennies, le réseau électrique français a obéi à une logique ultra centralisée autour de moyens de production de très grande puissance – centrales nucléaires, centrales gaz, grands barrages – qui venaient alimenter l’ensemble des consommateurs, particuliers ou professionnels. Cette dernière décennie, avec l’avènement des énergies renouvelables, et notamment du solaire photovoltaïque, le réseau doit désormais intégrer une multitude d’unités de production décentralisées, de quelques kWc à plusieurs dizaines de MWc, réparties sur tout le territoire. Le réseau doit donc s’adapter à cette nouvelle donne. Jusqu’à maintenant, la cohabitation entre « petits producteurs » d’électricité photovoltaïques et gestionnaires de réseaux s’est plutôt bien déroulée en France. Il faut dire que pour l’heure avec 4GW raccordés (40 GW en Allemagne), et excepté quelques points névralgiques comme dans le Gabardan, au cÅ“ur de la forêt des Landes où EDF EN a déployé une centrale de 67 MW sur 317 hectares, le réseau français n’est pas, à proprement parler, sursaturé d’électrons verts solaires. A tel point même, que pour la décennie qui vient et au vu des projections concernant les puissances futures raccordées, les gestionnaires du réseau français n’ont pas vraiment de soucis à se faire, selon une très sérieuse étude menée par la société HP. Pourtant, et cela relève de l’évidence, c’est dès aujourd’hui que tout le monde de l’énergie doit se mettre autour d’une table pour anticiper l’avenir dans une approche de long-terme de ces problématiques de raccordement. Tel était le but du colloque du syndicat Enerplan organisé au cÅ“ur de l’été 2013 sur le thème : «Faciliter l’intégration du photovoltaïque à grande échelle dans le réseau électrique français».
Anticipation, mutualisation, réservation
Pour mieux comprendre cette problématique du renforcement réseau, il faut revenir aux balbutiements des raccordements, à la fin des années 2000. A cette époque, les futurs producteurs qui faisaient leur demande de raccordement recevaient d’ERDF une proposition technique et financière (PTF). Tant que le réseau local était en capacité d’absorber la charge, le coût du raccordement relevait du symbolique et se cantonnait souvent aux frais générés par un peu de VRD, quelques mètres de câbles et les compteurs, notamment pour les installations en basse tension de moins de 250 kVA. Pour les puissances supérieures, le passage en HTA imposait souvent un redimensionnement du transformateur qui était intégralement payé par le premier porteur de projet à se présenter sur le site. Ou pas, selon le coût de raccordement annoncé. Ces coûts de raccordement pouvaient en effet être rédhibitoires suivant les distances des postes sources ou les renforcements à prévoir. Avec la montée en puissance du solaire photovoltaïque, de nombreux opérateurs se sont donc retrouvés avec la mention « Potentiel nul sur poste source » sur leur demande de raccordement. Cette mention est devenue synonyme de coût de raccordement totalement exorbitant pour le porteur de projet concerné qui désirait poursuivre son aventure photovoltaïque, lui donnant l’impression que les producteurs sont là pour payer le renforcement du réseau. Il n’avait alors souvent pour seule solution que de laisser tomber son entreprise. « D’autant que le renforcement des réseaux de transport est synonyme de délais totalement dissuasifs pour les producteurs par rapport à leurs projets » confirme Jean-Philippe Bonnet, Directeur du département Accès au réseau et Offre de service chez RTE. Mais ça, c’était avant. Avant la mise en place des Schémas Régionaux de Raccordement au Réseau des Energies Renouvelables (S3RENR) basés sur les Schémas Régionaux Climat Air Energie (SRCAE) qui fixent au préalable les potentiels de MW photovoltaïque à développer. « Ces schémas de raccordement ont pour but de faciliter le développement des EnR en planifiant les évolutions du réseau nécessaires à leur raccordement. Ils permettent d’ériger des règles d’anticipation et de mutualisation avec à la clé une notion de réservation. Ils font état de la capacité de raccorder à des endroits précis où RTE et ERDF vont investir. En fait, les S3RENR apporte une réponse à la mention « Potentiel nul sur poste source » poursuit Jean-Philippe Bonnet.
Des quotes-parts variables suivant les régions
Reste qu’avec les S3RENR, l’ensemble des producteurs vont désormais devoir mettre la main à la poche. Même ceux qui se raccordent sur des capacités déjà existantes. Et Jean-Philippe Bonnet d’user d’une métaphore : « Une mutuelle santé, on la paye même lorsque l’on n’est pas malade. C’est un nouveau réflexe à avoir » renchérit-il. Ainsi, dans chaque région, une quote-part financière évaluée par un aréopage d’experts dont bien sûr les ingénieurs de RTE et d’ERDF a pu voir le jour. Sept régions ont aujourd’hui validé leur S3RENR. Et autant dire que de fortes disparités existent entre les territoires sur le plan de cette fameuse quote-part. Cette dernière est à payer par chaque producteur qui dispose d’une installation de plus de 36 kVA. Elle sera proportionnelle aux kVA installés. La fourchette est large de zéro euro le MW en Alsace à 69 900 euros le MW en Midi-Pyrénées, l’une des toutes premières régions à avoir pu disposer de son S3RENR. La Picardie affiche 58 600 euros le MW, une somme substantielle là aussi. Pour l’Auvergne et la Champagne Ardennes, la quote-part flirte avec les 50 000 euros le MW et pour La Bourgogne et la Région Centre, elle s’établit autour des 20 000 euros le MW. A ce jour, tous les autres S3RENR sont en cours d’élaboration. Alors comment expliquer une telle différence entre l’Alsace et Midi-Pyrénées ? Les explications sont à la fois géographiques et techniques. La Région Midi-Pyrénées est une grande région – elle compte huit départements – et s’est fixé un niveau d’ambition élevé en termes de renouvelable dans son SRCAE (1805 MW de solaire). Il faut dire que les gisements sont importants. La région est également acculée aux Pyrénées qui accueillent déjà des centrales hydroélectriques. Le réseau amont est saturé. L’essentiel de la production est transporté vers Toulouse. A contrario, l’Alsace est une petite région qui ne compte que deux départements. Les objectifs solaires y sont mesurés (471 MW). Le réseau n’est absolument pas saturé et la possibilité de dissiper l’électricité est beaucoup plus large.
Un indispensable besoin de souplesse
« Il est clair que les S3RENR représentent une avancée qui peut-être susceptible de favoriser le développement des énergies renouvelables en Midi-Pyrénées, et ce même si le montant élevé de la quote-part bloque des projets. Cependant, auparavant, nous étions dans une impasse totale après seulement l’installation d’un premier producteur. L’obstacle du raccordement au réseau devenait très vite infranchissable pour les suivants » reconnaît Frédéric Berly, chef de la division Energie de la DREAL de la Région Midi-Pyrénées. François Blanquet directeur du pôle réseau chez ERDF estime en tous les cas que ce nouveau principe se révèle beaucoup plus équitable que le précédent, avec une vision moyen terme à horizon dix ans qui permet de placer le développement des énergies renouvelables en perspective. Non sans souligner les difficultés inhérentes à un tel exercice. « Personne n’a la science infuse. Où seront les parcs dans dix ans ? Faudra-t-il brider un producteur et réduire sa demande à la puissance réservée. Comment réaliser un parc de 15 MW quand la puissance réservée n’est que de 12 MW ? Il est clair qu’il faudra arriver à trouver de la flexibilité pour équilibrer en MW les S3RENR » affirme François Blanquet. Avant le départ de Delphine Batho, un groupe éponyme – groupe Batho – planchait justement sur ces problématiques. Depuis le changement de ministre, les réflexions sur le sujet sont plutôt en sommeil. Le temps de relancer la nouvelle équipe ministérielle ! En Midi-Pyrénées, Frédéric Berly est en train de traiter les premières demandes de raccordement post-schémas et se trouve confronté à ce constat. Il confirme : « Il va falloir intégrer de la souplesse dans le processus. La contrainte administrative ne doit pas prendre le pas sur la contrainte technique. Faut-il d’ores et déjà mettre en place un mécanisme de rééquilibrage différé ou permettre une révision des schémas ? « interroge l’ingénieur toulousain.
Quid des smart-grids et de l’autoconsommation ?
A peine nés et déjà controversés, tel semble se dessiner le destin des S3RENR qui n’ont pour effet que « de multiplier les contraintes et au final de pas servir à grand-chose » se lamente Aranud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement. « Il faut moderniser tout cela » ajoute-t-il. Christophe Thomas (Solairedirect) qui intervient sur le sujet pour le Syndicat Enerplan n’y va pas par quatre chemins : « Autant le décret ne nous a pas fait peur, autant l’application et la mise en Å“uvre des S3RENR nous plonge dans la déception. Cette planification à dix ans pour quelque chose qui change chaque année nous semble mort-née. La concertation en région s’est limitée dans un cadre « juge et partie ». Les capacités réservées sont considérées comme des plafonds avec de terribles effets de bride et, cela va de pair, une confiscation des capacités disponibles. Par ailleurs, les investissements sont souvent imposés aux opérateurs photovoltaïques. Les juristes de l’administration ont décidé d’en faire des outils inopérants, un véritable carcan. Les préfets vont râler. C’est une nouvelle barrière au raccordement » déplore Christophe Thomas qui donne des pistes pour améliorer tout cela (encadré). Dans les régions qui planchent sur leur S3RENR, l’heure est donc à la vigilance. En Poitou-Charentes, Karine Lambert, chef de service maîtrise de l’énergie et énergies renouvelables au Conseil Régional est aux aguets. «Nos objectifs sont importants (1450 MW en 2020). Je ne veux que le S3RENR de Poitou-Charentes dérape sur la manière d’appréhender les énergies renouvelables. Il doit être question de smart-grids, les fameux réseaux intelligents, mais aussi d’autoconsommation. Nous devons y intégrer la vision d’une autre approche, demain, pour atteindre notre but de devenir un territoire à énergie positive ». Et autant dire que sur ce plan, les S3RENR manquent pour l’heure, en tous les cas, de pertinence.
Encadré
Les S3REnR : Des modalités à améliorer
Trois pistes ont été retenues pour tenter d’améliorer ces très perfectibles S3RENR
Par une évolution de la méthode d’élaboration, grâce à :
une démarche plus concertée, plus collégiale, plus homogène
une élaboration plus transparente et avec davantage de contrôle et de contradiction technique et économique
un périmètre de prospective plus large, veillant et anticipant les évolutions en matière de smart-grids
une information actualisée sur les capacités du réseau, régulière, claire et synchrone
une évaluation annuelle et une vérification de la pertinence des hypothèses initiales
Par une évolution de la planification des capacités réservées, grâce à :
une localisation pragmatique des capacités réservées au regard des projets
une attribution plus souple des capacités réservées et non-réservées au niveau d’un poste source, dans la limite des capacités disponibles
une « sur-réservation » de capacités temporaire et limitée en puissance, et couplée à un processus de rééquilibrage ou de révision, si cela implique de modifier la quote-part
un respect des objectifs du SRCAE par un suivi des puissances raccordées au réseau
Par une évolution du financement des investissements, grâce à :
une concertation plus grande sur les choix d’investissements
une clarification sur les investissements hors EnR sur les réseaux et sur la répartition financière des investissements
une participation financière au prorata de la capacité réservée nouvellement créée sur le poste-source
une mutualisation plus juste et plus équitable en distinguant la capacité réservée nouvellement créée « banale » ou « exceptionnelle » (au titre de l’aménagement énergétique du territoire) en recherchant le dénominateur commun le plus pertinent
Encadré
Quel est le coût de la quote-part par région ?
o Alsace : 0 €/MW
o Auvergne : 48,4 k€/MW
o Bourgogne : 21,86 k€/MW
o Centre : 20 k€/MW
o Champagne Ardennes : 49,26 k€/MW
o Midi-Pyrénées : 69,9 k€/MW
o Picardie : 58,6 k€/MW