RSE : l’essor de l’achat direct au producteur d’énergie verte

Face au changement climatique, les entreprises se mobilisent. Parmi les initiatives qu’elles prennent, l’achat direct au producteur d’énergie verte, ou Power Purchase Agreement (PPA), se développe, dans un contexte d’inflation des prix de l’énergie traditionnelle et de réglementation RSE croissante. Dans son nouvel Observatoire des transitions énergétiques, De Gaulle Fleurance fait le point sur le sujet en France et dans une dizaine de pays, grâce aux contributions exceptionnelles de cabinets d’avocats étrangers : Siqueira Castro (Brésil), Brigard Urrutia (Colombie), Plesner (Danemark), Rokas Law Firm (Grèce), AZB Partners (Inde), Lexel (Madagascar), SCPA LBTI AND PARTNERS (Niger), Shakespeare Martineau (Royaume-Uni), KMU Law Office (Turquie).

De la même manière que l’achat direct de fruits et légumes aux agriculteurs s’est développé auprès des particuliers, nous observons un engouement de la part des entreprises pour l’achat direct aux producteurs d’énergie verte. Initié aux Etats-Unis au début des années 2010, ce dispositif a séduit les entreprises. Conclu pour une durée de 3 à 30 ans, il permet de bénéficier de tarifs négociés, généralement fixes sur la durée, de verdir le bilan d’une entreprise, de sécuriser le modèle économique du producteur d’énergie et d’accélérer la transition écologique.

D’après une étude de Transparency Market Research, le taux de croissance moyen des PPA est estimé à 39 % par an d’ici à 2031, avec une valeur prévisionnelle du marché à 399,2 milliards de dollars dans le monde. L’énergie solaire représente 51,9 % de ces achats directs, avant l’énergie éolienne et d’autres sources d’énergie renouvelable. L’Asie-Pacifique, l’Inde et la Chine en tête, est en première place avec une part de marché de 48 %, devant l’Europe (23 %) et l’Amérique du Nord (16 %) en 2021.

La raison d’un tel succès ? L’accroissement de la réglementation RSE, avec, par exemple, la mise en application à partir de 2024 de la directive CSRD élargissant le périmètre des entreprises concernées par les obligations de reporting extra-financier. Et le prix de plus en plus compétitif des énergies renouvelables, le solaire pouvant avoir un coût jusqu’à 10 fois moins élevé que le nucléaire. Focus sur quelques dispositifs réglementaires en place encourageant le développement de ces achats directs au producteur d’énergie verte.

Brésil

Le cadre réglementaire évolue favorablement au développement des PPA. Les conditions requises pour qu’un consommateur puisse opérer directement sur le marché non réglementé de l’énergie et contracter des PPA sont progressivement assouplies par le gouvernement. Aujourd’hui, seuls les acteurs qui ont une consommation mensuelle moyenne d’au moins 500 kW ont accès à ce marché non réglementé. Ceux qui ne rempliraient pas cette condition peuvent toutefois se regrouper et intervenir sur ce marché à condition de n’acheter que de l’énergie renouvelable. Un nombre croissant de projets sont également financés par des opérations structurées de manière à bénéficier des aides financières prévues pour les dispositifs d’autoconsommation (c’est-à-dire dans le cas où le consommateur est également actionnaire ou propriétaire de la centrale électrique).

Colombie

Aujourd’hui, près de 70 % de l’électricité colombienne est d’origine hydroélectrique. Cette source est soumise à des risques climatiques croissants, comme le “phénomène El Niño” qui provoque l’assèchement des réservoirs des centrales hydroélectriques qui ne peuvent alors plus produire ou seulement à des prix très élevés. Dans ce cas, les centrales thermiques, dont les prix sont aussi élevés, doivent prendre le relai. Par conséquent, la diversification des sources de production, telles que l’énergie solaire, éolienne ou géothermique, est plébiscitée et profite à l’ensemble du marché. Plusieurs avantages fiscaux encouragent la production d’énergie renouvelable : déduction du revenu imposable de 50 % de l’investissement consenti en leur faveur sur une période de 15 ans, exonération de la TVA pour les équipements dédiés, exonération des droits de douane pour le matériel importé… Une réforme, en cours de discussion, devrait considérablement faciliter le développement des PPA. Les consommateurs vont pouvoir directement négocier et signer des contrats avec les producteurs sans passer par l’intermédiaire des fournisseurs. Enfin, la prochaine mise en Å“uvre du marché réglementé des crédits carbone va stimuler le développement des PPA, en exigeant des entreprises de compenser chaque tonne de gaz à effet de serre avec ces crédits.

France

Il existe deux modèles de soutien au développement des énergies renouvelables en France : le mécanisme d’obligation d’achat et les contrats de complément de rémunération. Seuls les petits projets énergétiques peuvent bénéficier du mécanisme d’obligation d’achat. L’obligation d’achat est un mécanisme par lequel EDF s’engage à acheter l’électricité produite par les producteurs à un prix fixe et sur une longue période (15 ans en moyenne). Le contrat de complément de rémunération est un mécanisme par lequel l’Etat verse une prime ex post qui complète le revenu des producteurs à la suite de la vente de leur énergie sur le marché. Contrairement à l’effet produit dans d’autres pays comme le Royaume-Uni, le mécanisme du complément de rémunération constitue un frein au développement des PPA dans la mesure où les producteurs qui en bénéficient en France ne peuvent pas vendre leur électricité via un PPA – à défaut de pouvoir vendre les garanties d’origine associées à l’électricité produite. Par ailleurs, une nouvelle contrainte réglementaire pourrait ralentir le développement de l’achat direct à un producteur d’énergie verte : à compter du 1er juillet 2023, les producteurs devront détenir une autorisation d’achat pour revente s’ils souhaitent conclure des PPA. Le mécanisme de l’Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique (ARENH), qui plafonne le prix d’un volume de production d’électricité d’origine nucléaire à 42 euros le MWh, s’éteignant au 31 décembre 2025, les acteurs du marché pourraient voir leur intérêt croître pour les PPA. La fin de l’ARENH devrait en effet renchérir le coût de l’électricité pour les entreprises et la rapprocher de son coût réel, estimé à près de 60 euros le MWh (soit une augmentation d’environ 40 % !). Dans ce contexte, le recours aux PPA et à l’énergie renouvelable pourrait constituer une solution efficace pour maitriser la facture.

Grèce

Un fonds, le Recovery and Resilience Fund, a été créé par la Grèce et l’UE et permet à la Banque de Grèce de financer des projets d’énergies renouvelables, lesquels peuvent vendre leur électricité via des PPA. En Grèce également, l’Etat réfléchit à la création d’une plateforme de vente spécifique aux PPA, permettant la conclusion de contrats entre les producteurs et les consommateurs.

Inde

Le gouvernement indien propose de nombreuses mesures d’incitation pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Bien que ces incitations ne soient pas spécifiquement formulées pour les PPA, elles rendent la production et le transport d’énergie renouvelable économiques. En voici quelques exemples : obligation pour les entreprises d’acheter une quantité minimale d’énergie renouvelable en pourcentage de leur consommation totale d’énergie ; guichet unique pour l’obtention de permis, d’avantages fiscaux, etc ; exonération des frais de transport pour l’énergie renouvelable ; corridors d’énergie verte dans chaque Etat qui achemine de l’énergie renouvelable et rend la distribution et l’achat d’énergie renouvelable moins coûteux ; priorité donnée aux énergies renouvelables par rapport aux énergies non renouvelables lors de la programmation de la transmission de l’énergie…. La tendance du marché est donc très favorable aux PPA. Le prix de l’énergie renouvelable en Inde a atteint la parité avec le prix de l’énergie non renouvelable. Et les entreprises adoptent des politiques ESG qui encouragent l’utilisation de l’énergie renouvelable, soit conformément au cadre réglementaire en place, soit via des initiatives volontaires. A noter : le développement de l’autoconsommation individuelle et collective, répondant à une demande croissante des acteurs et bénéficiant également du soutien de l’Etat. Enfin, le gouvernement indien a pris plusieurs initiatives pour promouvoir la fabrication et l’utilisation des Systèmes de stockage d’énergie par batterie (BESS). Il s’agit notamment de lier la fabrication des BESS au système d’incitations lié à la production d’énergie verte. Grâce à l’utilisation croissante des BESS, les entreprises pourront stocker l’énergie renouvelable pour l’utiliser pendant les heures de pointe ou lors des arrêts de production.

Royaume-Uni

Le régime des contrats de complément de rémunération (CfD) est le principal mécanisme gouvernemental de soutien à la production d’électricité à faible émission de carbone. Ces contrats sont gérés par la Low Carbon Contracts Company (LCCC), une société privée détenue à 100 % par le secrétaire d’État aux affaires, à l’énergie et à la stratégie industrielle. Ces contrats permettent aux producteurs éligibles de stabiliser leurs revenus à un niveau convenu à l’avance (prix d’exercice) pendant la durée du contrat (généralement 15 ans). Dans le cadre du CfD, les paiements peuvent aller du LCCC au producteur, et vice versa : lorsque le prix du marché de l’électricité produite par un générateur CfD est inférieur au prix d’exercice fixé dans le contrat, le LCCC verse des paiements au générateur CfD pour compenser la différence ; lorsque le prix de référence est supérieur au prix d’exercice, le générateur CfD verse des paiements au LCCC. Les CfD encouragent les investissements dans les énergies renouvelables en offrant aux développeurs éligibles une protection directe contre la volatilité des prix. Ils ont réduit le risque perçu associé à l’investissement dans les énergies renouvelables, rendant les projets plus attrayants pour les développeurs et les financiers. La stabilité offerte par ces mécanismes a favorisé la croissance du marché des PPA en offrant aux acheteurs et aux vendeurs un environnement sûr pour conclure des accords à long terme. Les mécanismes d’aide publique ont encouragé la diversification des acheteurs de PPA sur le marché. Alors que les services publics traditionnels et les fournisseurs agréés ont toujours été les principaux acheteurs, la disponibilité de mécanismes de soutien a attiré de nouveaux participants. Des entreprises, des organismes du secteur public et d’autres entités cherchant à atteindre des objectifs de développement durable sont entrés sur le marché des PPA pour se procurer de l’énergie renouvelable. Cette diversification a élargi le bassin de preneurs potentiels et contribué à la croissance du marché. Les mécanismes de soutien public ont facilité le développement de projets d’énergie renouvelable à grande échelle, ce qui a entraîné une réduction significative du coût nivelé de l’électricité (LCOE) pour les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables sont ainsi devenues de plus en plus compétitives par rapport aux formes conventionnelles de production d’électricité, ce qui a favorisé leur adoption par le marché et attiré davantage d’acheteurs sur le marché des PPA.

Turquie

La Turquie a mis en place un mécanisme de soutien aux ressources énergétiques renouvelables (« YEKDEM »). Un prix de soutien fixe par kWh a été déterminé pour chaque source d’énergie verte pendant 10 ans. Outre les tarifs de rachat, la loi sur les énergies renouvelables prévoit des incitations tarifaires supplémentaires pour les producteurs agréés qui utilisent dans leurs installations au moins 55 % de composants mécaniques et électromécaniques fabriqués dans le pays. Parmi les autres dispositifs mis en place pour favoriser le développement de l’énergie renouvelable, figure la réduction de 85 % des coûts de permis, de loyer et autres coûts liés à l’obtention des droits d’accès et d’utilisation des terrains appartenant à l’État pendant une période de 10 ans. Ces installations sont également exemptées du paiement de la taxe sur le développement des villages forestiers et de la taxe sur le reboisement et le contrôle de l’érosion des sols. Les producteurs d’énergie verte bénéficient d’une priorité de raccordement au réseau. Et leurs frais de demande de licence préalable ne s’élèvent qu’à 10 % des frais de licence demandés pour les énergies non renouvelables. Pendant une période de huit ans, ils sont exemptés de frais annuels de licence. Les projets d’énergie renouvelable peuvent être développés dans des zones protégées telles que les parcs nationaux, les parcs naturels, les zones de protection naturelle, les forêts protégées et les sites de développement de la faune et de la flore, à condition d’obtenir les autorisations nécessaires auprès des autorités compétentes.

Toutes ces dispositions ont créé un nouveau marché très dynamique des énergies renouvelables qui intéressent aussi bien les producteurs que les consommateurs et les investisseurs nationaux mais aussi étrangers. « Chez De Gaulle Fleurance, nous accompagnons les entreprises dans leurs transitions », rappellent Sylvie Perrin, Béatrice Boisnier et Racha Wylde, respectivement associée, juriste et avocate chez De Gaulle Fleurance. « Avec l’édition 2023 de notre Observatoire, nous avons souhaité mettre en évidence une tendance qui va se renforcer dans les années qui viennent : l’explosion de l’achat direct au producteur d’énergie verte. Entre les exigences ESG qui se renforcent, l’inflation des prix de l’énergie et l’arrêt imminent de l’Arenh qui va renchérir le coût de l’électricité traditionnelle, les entreprises ont une opportunité unique, avec les PPA, d’anticiper ces évolutions majeures et de contribuer à un monde plus durable tout en maitrisant mieux leurs dépenses. »

Encadré

Chiffres clés

+ 39 %. C’est la progression annuelle du marché mondial des PPA d’ici 2031.

10. Les coûts de production de l’énergie solaire peuvent être jusqu’à 10 fois moindres que ceux de l’énergie nucléaire.

2024. C’est la date à partir de laquelle la directive CSRD va entrer en vigueur, élargissant les obligations de reporting extra-financier à 55 000 entreprises européennes et, indirectement, à l’ensemble de leurs fournisseurs.

 

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