Compte-tenu du rythme et de l’ampleur de l’effort à fournir dans la lutte contre le réchauffement climatique, il devient indispensable de prendre en compte dès maintenant son impact sur l’économie. La Première ministre a confié à Jean Pisani-Ferry une mission d’évaluation des impacts macroéconomiques de la transition écologique, dont France Stratégie assure le secrétariat et qui bénéficie de l’appui de l’Inspection générale des finances. Le rapport de synthèse qui vient d’être publié vise à améliorer la compréhension des impacts macro-économiques de la transition climatique, en sorte que les décisions qui vont devoir être prises soient « le mieux informées possible ». Focus sur les renouvelables !
L’Union européenne accuse cependant un retard préoccupant dans la production des équipements de la transition climatique. L’Agence Internationale de l’énergie a récemment dressé un panorama mondial des technologies vertes. Celui-ci fait apparaître une domination sans partage de la Chine dans la production des panneaux photovoltaïques et des batteries, et une position très forte dans l’éolien (qui reflète aussi une forte demande intérieure). Cette domination est encore plus marquée si l’on tient compte des projets annoncés en vue d’une mise en service d’ici 2030, puisque 80 % à 90 % d’entre eux concernent la Chine.
40 % du déploiement annuel sur le marché intérieur d’une technologie devrait être servi par les producteurs de l’Union
Dans des technologies où les effets d’expérience et d’échelle jouent beaucoup, le retard de l’UE est préoccupant, d’autant que la transition risque de fragiliser un certain nombre de points forts traditionnels de l’industrie européenne (véhicules à moteur thermique, industrie aérospatiale, biens intermédiaires carbonés) dont la demande est appelée à baisser au fur et à mesure des progrès de la transition. En l’absence de hausse de la part de l’UE dans la production des biens « verts », le risque d’une désindustrialisation serait donc substantiel. C’est pourquoi la mutation doit s’accompagner d’une progression européenne dans la production de ces biens, au moins de certains d’entre eux. 1 À l’exception des électrolyseurs (pour la production d’hydrogène), pour lesquels la part de la Chine est de 25 % environ. L’Union européenne en a conscience. Pour accompagner la transformation de son économie, la Commission a récemment annoncé, en complément du Pacte Vert, un programme industriel (Green Deal Industrial Plan, février 2023) qui se décline en une stratégie de politique industrielle (Net Zero Industry Act, mars 2023), une réglementation sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act, mars 2023) et une proposition de réforme du marché de l’électricité. L’ambition affichée est en particulier de faire en sorte que dans un ensemble de technologies vertes suffisamment matures, essentielles à la décarbonation et pour lesquelles l’Europe est aujourd’hui dépendante, notamment de la Chine, de l’ordre de 40 % du déploiement annuel sur le marché intérieur soit servi par les producteurs de l’Union.
Incertitudes dans le solaire
À cette fin, la Commission propose une série d’initiatives en matière réglementaire (unification des standards, bacs à sable réglementaires), dans le contrôle des aides d’État (assouplissement ciblé et temporaire pour faciliter la transition) et dans l’accès aux financements européens (transferts spécifiques de la facilité de relance et de résilience, prêts et investissements de la BEI, garanties InvestEU, Fonds d’innovation). Elle a reçu mandat de formuler d’ici l’été 2023 des propositions en vue de la création d’un Fonds souverain européen. Elle met aussi l’accent sur le déficit de compétences et les moyens d’y répondre. L’objectif de 40 % est-il réaliste ? La situation est très contrastée. En matière de photovoltaïque et de batteries, la Chine a établi une position dominante au niveau mondial. Le potentiel de rattrapage est réel dans les batteries, nettement plus incertain dans le solaire. Dans l’éolien, l’Europe reste à la pointe de l’innovation et peut convertir cet avantage en atout industriel si elle résout son problème de capacité de production. En matière de pompes à chaleur, elle est également un leader de l’innovation, mais l’industrie est fragmentée et le solde extérieur s’est fortement dégradé. Pour la production d’hydrogène par l’électrolyse, enfin, l’Europe est technologiquement fragile et le déploiement de solutions industrielles est actuellement handicapé par le niveau élevé du prix de l’électricité. L’objectif d’un taux d’autosuffisance de 40 % est clairement atteignable ou dépassable dans certains secteurs, il est en revanche hors de portée dans d’autres.
Les changements de système énergétique induisent des révolutions industrielles
La première révolution industrielle est indissociable de l’avènement de l’âge du charbon. Encore marginal au début du XIXe siècle (mais déjà dominant au Royaume-Uni), le charbon va conquérir le monde en moins de six décennies : il atteint 5 % du marché mondial de l’énergie primaire en 1840, 10 % en 1855, et 50 % quarante-cinq ans plus tard, en 1900. Son âge d’or est cependant bref car il est bientôt supplanté par les hydrocarbures. Énergie caractéristique de la deuxième révolution industrielle, celle des voitures et des avions, les hydrocarbures atteignent la barre des 5 % en 1915, franchissent le seuil de 10 % dans les années 1920, et dépassent les 50 % dès les années 1970. C’est donc sensiblement au même rythme que s’est déroulée la conquête du marché mondial par ces deux énergies fossiles. Les énergies renouvelables – y compris les plus anciennes, comme l’hydroélectricité – représentent aujourd’hui 13,5 % de l’offre mondiale d’énergie primaire, en hausse sensible depuis le début des années 2000. Dans un scénario de neutralité climatique en 2050, elles devraient, selon l’Agence internationale de l’énergie (2022), franchir dès 2030 la barre des 30 % de l’offre mondiale d’énergie primaire. Même dans un scénario où le mix énergétique continuerait à reposer en partie sur les combustibles fossiles, elles devraient être archi-dominantes au milieu du siècle. La décarbonation est plus abrupte que les transitions passées parce qu’elle est effectivement plus rapide, mais aussi du fait que les énergies décarbonées, au premier rang desquelles l’éolien et le photovoltaïque, doivent venir non s’ajouter, mais se substituer aux énergies carbonées. Cette nouvelle mutation entraînera elle aussi une transformation profonde du système économique. Électrification à large échelle, décarbonation de l’industrie, révolution dans les mobilités, bouleversement des modes de vie : les conséquences seront fortes. Mais trois différences distingueront cette révolution industrielle de celles du passé : son rythme, fortement accéléré en comparaison de l’évolution historique observée pour le charbon ou les hydrocarbures ; son étendue, puisqu’à peu près tous les pays vont y prendre part, même si ce n’est pas exactement du même pas ; et, surtout, le fait qu’elle est et restera pilotée par les politiques publiques, plutôt que l’impulsion vienne de la technologie et de la seule dynamique conquérante du capitalisme.