Photovoltaïque en Angleterre : Remake à la Française

Le solaire photovoltaïque ferait-il peur ? Serait-il victime des lobbies de l’énergie partout en Europe ? En France, le gouvernement de François Fillon a plombé la filière via un moratoire et des appels d’offres dirimants. En Angleterre, le gouvernement de David Cameron vient de subitement baisser les tarifs de 50% en pleine concertation sous la pression des « Big Six ». Des réductions de tarifs jugées « illégales » par la Cour Suprême d’Angleterre. Ambiance !

Il n’y a hélas pas qu’en France que les acteurs du solaire photovoltaïque connaissent le chaos d’un changement brutal de législation. Outre-Manche, le gouvernement de David Cameron n’y est pas allé par quatre chemins. En avril 2010, il avait mis en place un tarif d’achat structuré différemment qu’en France à savoir sans tarif bonifié à l’intégration et surtout évolutif en fonction des puissances installés. Ce tarif s’échelonait de 43,3 centimes de livre sterling le kWh pour des installations de moins de 4 kWc en rénovation à 8,5 centimes de livre le kWh pour des installations au-delà des 250 kWh. Résultat, sur un an, du 1er avril 2010 au 1er avril 2011, 108,3 MW auraient été installés en Angleterre. Cependant, pour faire face à la chute du prix des modules et remettre les tarifs en adéquation avec cette nouvelle donne, le gouvernement a lancé au début de l’automne 2011, une large consultation pour faire entrer les tarifs dans une deuxième phase. Le terme de cette consultation démocratique était prévu pour le 28 décembre 2011.

Les tarifs divisés par deux

Coup de théâtre ! Le 31 octobre 2011, en pleine consultation, le DECC (Departmentof Energy and Climate Change/ Département dédié à l’Energie et à la lutte contre le Changement Climatique), l’équivalent de notre ministère de l’écologie, annonce une division par deux des tarifs sur les puissances jusqu’à 50 kWc installés et une forte baisse pour les installations de 50 à 250 kW. Les tarifs demeurent inchangés à 8,5 centimes de livre le kWh pour les puissances supérieures à 250 kWc. « L’argument invoqué par le gouvernement était assez similaire à celui que l’on a entendu en France, à savoir : le marché se développe trop vite par rapport aux objectifs établis au préalable » confie Maxime Boiron, directeur du marketing de Solar Century. « Si la mesure était appliqué, l’Angleterre verrait le nombre de panneaux solaires installés chaque année, se réduire de 70 à 95% » avance un expert du sujet. Autant dire que l’annonce a fait l’effet d’une douche froide. Elle a aussi alimenté une bulle spéculative entre le 31 octobre et le 12 décembre 2011, date de mise en application des nouveaux tarifs. Voilà qui ne vous rappelle rien ! Pis. En Angleterre, les délais de raccordement sont plus courts qu’en France, les freins à la procédure moins nombreux. Les installateurs ont donc été assaillis de demandes dans un véritable rush. Dans le même temps, la société Solarcentury, l’association Friends of the Earth et la société Homesun ont décidé de mener une action en justice auprès de la Cour Suprême. Solarcentury soutient que le gouvernement avait besoin de passer par la procédure de consultation appropriée et que le changement des tarifs ne pouvait intervenir qu’à l’issue de cette procédure comme prévue par la loi. Des manifestations sont alors organisées à Londres pour sauvegarder les emplois générés par la filière solaire et faire pression auprès de l’opinion.

Nécessité d’un dialogue constructif

Le 21 décembre 2011, la Cour Suprême d’Angleterre donne raison aux plaignants sur l’illégalité des réductions de tarifs instaurées inopinément par le gouvernement. Les plans de réduction des tarifs de soutien à la filière photovoltaïque en Angleterre, voulus par le gouvernement Cameron sont « illégaux », a déclaré la Cour Suprême d’Angleterre. Jeremy Leggett, président de Solarcentury a déclaré : « nous encourageons le secrétaire d’état à accepter le jugement très clair de la Cour Suprême, afin de ne pas plonger l’industrie dans une période d’incertitude, dans le cas d’un appel du gouvernement et au contraire, engager un dialogue constructif avec les industriels ». Le DECC a clairement enfreint les attentes légitimes des entreprises solaires et des clients estimant que les modifications des tarifs seraient faites de façon concertées avec la filière selon les procédures légales. Il a aussi omis de tenir compte des projets d’installation à plus long terme, qui sont devenus impossible à mettre en Å“uvre dans ce délai de six semaines.
« Solarcentury est satisfait de la décision bien entendu. La cour a empêché le gouvernement d’abuser de son pouvoir mais elle ne compense pas le fait que le DECC a créé le chaos au sein de la filière des énergies renouvelables dans son ensemble et pas uniquement celle du solaire. Solarcentury a été très réticent à engager cette procédure juridique mais le DECC ne nous a pas laissé le choix. Tout ceci aurait pu être évité si le DECC avait conduit une consultation digne de ce nom l’été dernier, comme il l’avait promis, et engagé un processus de dialogue constructif avec l’industrie solaire. Ceci, afin de construire une industrie solaire viable au Royaume Uni, sur le modèle de celui élaboré en Allemagne ».

Des décisions fantaisistes sous l’emprise des lobbies

Il a ajouté : « La raison d’être d’un tarif de rachat est de construire le marché. C’est similaire à un capital d’amorçage pour une activité, ce n’est pas une distribution gratuite. Le mécanisme de soutien doit être clair, et le désengagement progressif en fonction de règles prévisibles. C’est la seule façon d’utiliser ce type de soutien au marché et de construire un marché viable. Le DECC sait déjà cela et j’espère qu’ils comprennent maintenant que nous ne pouvons travailler sur un marché sujet à des décisions fantaisistes ou prenant effet à une date antérieure à celle prévue par la loi. Nous sommes toujours en attente, de la part du DECC, de la publication de la phase 2 du le mécanisme de tarifs de rachat».
Et l’Angleterre de baigner en plein paradoxe énergétique. Les conseillers indépendants du gouvernement ne cessent de répéter que l’économie doit se détourner des énergies fossiles de plus en plus chères telles que le gaz en investissant dans les énergies propres et sur les économies d’énergie. La campagne «Final Demand» de l’association Friends of the Earth exhorte le gouvernement à lancer une enquête auprès des entreprises énergétiques leaders du pays, les « Big Six », sur leur rôle dans le ralentissement du développement des énergies renouvelables, garant d’un accès à l’énergie plus abordable sur le long terme pour les populations. Mercredi 4 janvier dernier, le DECC a fait appel du jugement de la Cour Suprême dans cette affaire. « Il y a peu de chance que la Cour Suprême revienne sur sa décision » confirme Maxime Boiron. Verdict de l’appel attendu pour la mi-janvier avec un probable retour aux anciens tarifs jusqu’au 1er avril 2012 avant un désengagement progressif de l’Etat sur les tarifs dans le cadre cette fois d’une concertation en bonne et due forme. Pas sûr cependant que David Cameron soit prêt à faire de nouvelles concessions après cette décision de la Cour Suprême. A moins que God save the sun !

29 000 emplois menacés

Les propositions du gouvernement ont déjà eu un impact dévastateur. D’innombrables programmes déjà planifiés et incluant l’intégration d’énergies renouvelables ont été abandonnés et des milliers d’emplois sont menacés. Le mois dernier, un rapport commandé par l’association Friends of the Earth et l’alliance d’entreprises solaires, de consommateurs et d’associations environnementales, regroupée sous la campagne « Cut Don’t Kill », a révélé que les coupes de tarifs prématurées pourraient menacer plus de 29000 emplois sur le territoire anglais et un manque à gagner pour le trésor de plus de 230 millions de livres-sterling.

Cet article est publié dans Actualités. Ajouter aux favoris.

Les commentaires sont fermés