Et Total de devenir TotalEnergies suite à la dernière Assemblée Générale du groupe fin mai 2021. TotalEnergies, ce nouveau nom lancé à grand renfort de campagnes publicitaires tous azimuts, rappelle des souvenirs aux pionniers français des énergies renouvelables. En 1983, sous l’initiative de Roland Barthez, Total créait une filiale qui portait déjà le même nom, une filiale éponyme tournée vers l’énergie solaire photovoltaïque, notamment en sites isolés sur l’ensemble de la planète, dans les DOM-TOM mais aussi dans les pays en développement comme l’on disait naguère avec une volonté humanitaire affirmée et des résultats spectaculaires pour les populations les plus démunies. L’aventure a duré plus de vingt ans sans que la direction de Total ne s’y intéresse vraiment. De là à dire que le nouveau nom ne laisse rien augurer de l’avenir des énergies renouvelables, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Tant il est vrai que le monde a changé et que le solaire, compétitif et rentable, est aujourd’hui en capacité de séduire les actionnaires. Et même si d’aucuns en appellent à la méfiance…Â
« Voir Total prendre aujourd’hui le nom de TotalEnergies est un brin cocasse pour moi quand on connaît l’histoire. Pendant plus de vingt ans, la filiale éponyme que nous avions créée en 1983, n’a reçu que peu de soutien du grand groupe pétrolier international. Nous étions marginalisés. Et pourtant, nous étions devenus le premier systémier solaire mondial. Cela a tristement fini » reconnaît Roland Barthez, ingénieur pétri de convictions pour les renouvelables, qui a vécu dans l’ombre de la domination fossile durant deux décennies.
La cible : sites isolés dans les pays tiers et dans les DOM-TOM
Un peu d’histoire. Au début des années 1980 et après les deux chocs pétroliers des années 1970, Total lance quelques initiatives pour trouver des alternatives au tout fossile et peut-être aussi se donner bonne conscience. C’est ainsi que naît deux filiales appelée Total Energie Développement et Total Afrique. En 1982, Roland Barthez, cadré dirigeant Total Energie Développement est envoyé deux mois aux Etats-Unis, à El Paso au Texas, pour auditer une filiale américaine de Total, Photon Power, spécialisée dans les cellules au sulfure de cadmium. Peu convaincu par cette filière de couches minces, Roland Barthez jette plutôt son dévolu sur l’activité de systémier développé par quelques ingénieurs et techniciens américains de la société Photon Power. De retour en France, Roland Barthez fait une priorité de cette activité de systémier en développant des kits solaires avec des panneaux, des onduleurs et des batteries, parfois en hybridation avec des groupes électrogènes. Total Energie Développement et Total Afrique créent alors une filiale commune Total Energie avec une promesse de 20% du capital pour les cadres dirigeants. La boîte prend très vite son envol. Les cadres qui la composent sont des pionniers connus et reconnus de la filière solaire. Qu’ils s’appellent Guy Olivier, Hubert Bonneviot (malheureusement décédé depuis), Philippe Veyan, Hervé Latouche ou Gérard Moine, ils ont tous été d’indispensables rouages de cette aventure entrepreneuriale unique et humaniste. Le premier appel d’offres remporté par Total Energie était une alimentation en solaire d’un relai de téléphone au Kénya vecteur de développement rural. La société essaimera ainsi dans le monde entier ses systèmes solaires. En 1990, avec le rachat de l’entreprise Solelec, elle s’ouvre les marchés des DOM-TOM, Caraïbes et Réunion, des marchés très porteurs par le jeu de l’aide au développement de la France vers ses territoires. Total Energie devient un incontournable de la solarisation des sites isolés à travers le monde. En 1995, Roland Barthez crée un bureau d’études Transenergy piloté pendant de très longues années par Bassam Aouida pour épauler Total Energie et étoffer son potentiel d’ingénierie.
Le premier systémier-ensemblier mondial pour les sites isolés
En 1996, TotalEnergies change de nom et devient Tenesol. EDF entre au capital de l’entreprise. Pendant près de dix ans, Tenesol sera le spécialiste mondial, le premier systémier-ensemblier solaire de la planète pour les sites isolés. Pour être plus efficiente encore, l’entreprise s’est dotée de deux usines de fabrication de modules au Cap en Afrique du Sud et à Toulouse. « Nous avons implanté des dizaines de milliers de pompes solaires en Afrique, au Brésil ou en Asie, une partie en partenariat avec Photowatt. Nous avons participé activement aux travaux du Comité Inter Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel. Nous avons électrifié Mafate à La Réunion. Nous avons équipé des villages entiers en Indonésie de centrales solaires jusqu’à 400 kW couplées à des groupes électrogènes. TotalEnergies et puis Tenesol ont apporté de l’eau et de l’électricité dans des hôpitaux pour améliorer les conditions de santé, dans des écoles pour parfaire l’éducation des enfants. Autant de projets magnifiques à fort impact en termes social et humanitaire » se remémore l’équipe dirigeante. Et quid du raccordé réseau ? « Nous avions lancé l’idée de couvrir le toit de certaines stations services Total mais le groupe ne l’a pas accepté à l’époque. Nous étions incompris. C’était trop tôt pour eux et surtout extrêmement marginal » poursuit-il.
TotalEnergies n’a pas survécu à la logique financière des actionnaires après le rachat de SunPower
Actionnaire majoritaire, le groupe Total n’a finalement jamais fait trop de cas de sa pépite à énergie solaire. Sur le plan financier, Tenesol, la solaire, n’était qu’une goutte de 30 millions de francs de CA dans un océan de milliards de francs de l’activité pétrolière. Difficile d’exister dans ces circonstances. Et Roland Barthez d’y aller de son anecdote. « Nous comptions pour peu de choses. J’avais réalisé un ratio du CA du groupe avec celui de Total sur an, ce qui m’autorisait à demander un entretien à Thierry Desmaret, le patron de Total, de 2 minutes trente. Je lui ai transmis ma requête par courrier. Il m’a reçu plus de deux heures et a même accepté de venir nous rendre visite une demi-journée à La Tour de Salvany, à côté de Lyon, où nous étions installés. Il s’est montré très intéressé » confie Roland Barthez. Hasard ou pas, à partir des années 2000, Total s’est intéressé davantage à l’activité photovoltaïque. Jusqu’à racheter à prix fort l’américain SunPower, fabricant de modules Premium. L’idée était de faire de Tenesol un outil de diffusion des panneaux SunPower avec un biais très commercial. Et les équipes du systémier de devenir vendeurs de panneaux ! Cela n’a pas matché. L’activité système s’est tarie jusqu’à disparaître. Roland Barthez a quitté le navire en 2006 pour créer… une entreprise nationale d’installation de modules, Photon Power Technologies, clin d’œil américain au passé et à l’histoire de Total Energie. Photon Power Technologies est devenue  aujourd’hui EDF ENR dirigée efficacement par Benjamin Declas, ancien cadre de Total Energie. La boucle est bouclée.
L’état d’esprit social et humanitaire, la philosophie de l’entreprise celle des commencements, n’a pas survécu à la logique financière des actionnaires après le rachat de SunPower. L’ancien Total Energie n’a été qu’une parenthèse pleine d’humanités et d’innovations solaires durables au sein d’un groupe tourné vers l’argent du fossile. Espérons que la nouvelle dénomination du groupe soit portée par de plus solides convictions, pour que le nouveau TotalEnergies soit plus qu’un coup marketing ! Et Roland Barthez de conclure comme il a commencé : « Une cocasserie de l’histoire ! ».