Selon une étude de la direction du Trésor, le patrimoine des Français, composé à 60% d’immobilier, a vu sa valeur doubler en dix ans grâce notamment à la hausse des prix des bâtiments. La valeur immobilière nette des français s’élève donc à plus de 5.000 milliards d’Euro ce qui représente un actif inédit qui, ajouté au patrimoine public, vient plus que favorablement contrebalancer le passif de notre dette publique s’élevant, à la même date, à 1.500 milliards d’Euro selon les critères de Maastricht. Or, nous traversons depuis peu une inflexion majeure dans l’appréciation patrimoniale des actifs immobiliers : hors des zones où le déficit immobilier est criant, les logements énergivores (notamment ceux bâtis avant le choc pétrolier, appelés à être rénovés) sont amenés à subir une décote pouvant être conséquente :
- chez les particuliers, l’étiquetage énergétique obligatoire lié à toute transaction immobilière depuis le début de l’année 2011 fait déjà naitre des attitudes d’achat différenciées pour des biens mitoyens en fonction de leurs mérites énergétiques,
- chez les professionnels, les dépréciations (ou à contrario les survaleurs) liées aux performances énergétiques d’un bâtiment intègrent déjà les pratiques comptables. Les stratégies de gestion et de croissance en sont impactées au même titre que les bilans des entreprises et des foncières.
De fait, ne pas rendre les bâtiments plus vertueux énergétiquement, c’est perdre en liquidité locative, durcir le financement immobilier et détruire une partie importante de la valeur patrimoniale susmentionnée à hauteur de 30 % pour l’essentiel du parc immobilier et jusqu’à 50% pour les bâtiments les plus énergivores. A long terme ? Non, à très court-terme au titre de la RT 2012 et à moyen-terme au titre de la RT 2020. En termes d’investissements immobiliers, 2020 se prépare dès maintenant car il s’agît, à date, de rendre les bâtiments à énergie positive (BEPOS) et donc de viser une appréciation de l’actif immobilier national. La fixation d’objectifs via les réglementations thermiques et la loi Grenelle 2 sont des décisions courageuses qui permettent aux acteurs économiques du bâtiment et de l’énergie de travailler sur un business long, d’investir dans le capital humain et de créer un savoir-faire exportable. Cette décision française est déjà reconnue par d’autres pays comme un exemple à suivre. Intégrer la production d’énergie solaire dans l’enveloppe du bâtiment (BIPV pour Building Integrated Photovoltaics) est certainement l’outil le plus intéressant à ce jour pour la composante « production d’énergie » dans le bâtiment, toutes les pistes de réduction des consommations énergétiques ayant naturellement dû être étudiées et mises en oeuvre au préalable.
Le BIPV à la française
L’intégration du photovoltaïque architectural dans le bâtiment est un sujet hybride. Il correspond à un investissement sur le long-terme visant à se doter de bâtiments architecturaux, intelligents et efficients énergétiquement. Or, notre pays regorge d’atouts pour s’exprimer dans ce segment, qui permet de se différencier, de développer un réel savoir-faire et de créer une valeur ajoutée exportable :
- La France sait s’illustrer, grâce à son histoire et la qualité de son architecture et de ses architectes, sur des conceptions ambitieuses et à haute valeur ajoutée architecturale (référentiels de l’EcoConstruction, LEED, BREEAM, HQE). A partir de nos contraintes spatiales et de notre culture, nos conceptions audacieuses et élégantes sont enviées,
- Le savoir-faire en termes de conception de produits hybrides est déjà existant chez nos industriels : verrières (de divers coloris, épaisseurs, formes), garde-corps, brise-soleils, tuiles, membranes, occultants, murs-rideaux, parois, façades, bardages, allèges, corniches, dalles, couvertures zinc, aluminium, etc.,
- La R&D française est historiquement performante et travaille sur les couches minces et demain des technologies solaires organiques ou les cellules à pigment photosensible (technologie DSC, Dy Sensitized Solar Cells, ) et sait ouvrir d’autres applications (faible poids, matériaux flexibles, production d’énergie dans un environnement faiblement ensoleillé, intégration de couleurs, élaborations de colles ou systèmes de fixations, )
- Certains produits du clos et couvert intègrent d’ores et déjà d’autres considérations que la production d’énergie électrique solaire : isolation écologique, étanchéité, parement, production d’eau chaude solaire, autoconsommation, association à des leds, amélioration acoustique, de résistance ou de sécurité,
- Les entreprises de bâtiment savent mettre en oeuvre et maintenir des ouvrages élaborés grâce au savoir-faire de nos compagnons dans un contexte réglementaire exigeant (responsabilité civile professionnelle et décennale notamment),
- Les bureaux d’études sont ingénieux car nos formations sont de bon niveau tant dans le bâtiment que dans l’énergie, tant en conception des produits que des solutions de mise en oeuvre,
- Les entreprises savent développer le service et la maintenance, préventive comme corrective, des installations, avec les conséquences positives que cela revêt en terme d’emploi local et nondélocalisable,
- Les contractants français maitrisent historiquement les cadres juridiques de type concessif (P3, P4, maintenant PPP ou CPE) permettant de déconsolider les investissements les plus lourds auprès d’exploitants expérimentés tel que cela a été fait dans l’environnement, les infrastructures ou l’énergie.
De plus, la nature de la demande a évolué :
- Le client veut un projet personnalisé car son bâtiment est unique
c’est une opportunité pour l’ingénierie technique et le design architectural,
- Les projets exigent des garanties sur la performance et la disponibilité. C’est ce que formulent les exploitants, les assureurs et les organismes financiers. C’est l’esprit du Grenelle 2
c’est une opportunité pour les entreprises de construction qui peuvent ainsi prester du service et de la maintenance
c’est une garantie de qualité et de pérennité des ouvrages car les intérêts sont alignés entre la conception, la réalisation et l’exploitation,
c’est une opportunité pour le marché de la déconstruction et du recyclage,
c’est une nécessité pour les entreprises d’être qualifiées et formées, pour les industriels d’être vertueux quand à la durabilité et la recyclabilité des produits,
- Le transfert des responsabilités de la maitrise d’ouvrage vers les contractants et les industriels est la loi, également dans le lot photovoltaïque, tant dans la nature de l’ouvrage (clos-couvert, élément architectural) que dans sa destination (produire de l’énergie)
c’est une opportunité pour former des profils d’excellence en conception/construction des
produits comme en maintenance ainsi que des compagnons pour la juste mise en oeuvre,
- Le bâtiment devient un contenant technologique permettant de faire évoluer les contenus
c’est une opportunité pour y interfacer la gestion technique du bâtiment et raisonner sur lesmart-grid, sur les usages énergétiques intérieurs et extérieurs (recharge), au-delà de la performance énergétique.
Tous ces éléments concourent à remonter l’employabilité vers l’amont c’est-à -dire vers l’ingénierie et à la rendre spécifique, donc à très forte valeur ajoutée. Cette opportunité est inédite.
Les axes à travailler
L’aspect hybride de ce segment, créateur de croissance, nécessite de travailler en groupes ou grappes d’entreprises entre l’amont et l’aval du secteur, entre les divers corps d’états techniques, entre les fabricants de matériels, les contractants, les métiers du bâtiment, de l’énergie et la R&D.
A ce jour, nombre d’initiatives ont déjà vu le jour et témoignent, tant sur l’amont que sur l’aval de la filière, dans les entreprises de conception comme de réalisation ou d’exploitation, de créations d’emplois nets et pérennes. En effet, ces emplois ne sont pas liés à la rentabilité du projet photovoltaïque seul mais sont corrélés à une ambition architecturale et durable, un désir d’innovation et de valorisation globale du bâtiment. Aussi, il n’est besoin que d’une reconnaissance de ce segment BIPV et d’un cadre lisible et réaffirmé pour se rassembler.
Conclusion
Certains d’entre nous peuvent regretter de ne pas avoir eu la chance de vivre la naissance d’une de ces aventures industrielles qu’ont été l’aéronautique, la construction d’ouvrages d’arts majeurs ou encore le nucléaire et leur corollaires en termes de création d’emploi, d’essaimage technologique et de création de valeur à l’export. L’intégré-bâti architectural ou « BIPV à la française » nous offre, toutes proportions gardées, l’opportunité de créer une aventure technique et humaine autour d’un secteur novateur et exportable. L’enjeu, intéressant, est de pouvoir développer une spécificité mondiale, sur la base d’atouts de notre pays : une approche culturelle, économique et écologique du bâtiment grâce à notre ingénierie et nos savoir-faire. Ce segment existe déjà et il correspond à une attente mondiale. Partout, des développements de BIPV architectural, des réalisations élégantes ou des tours à énergie positive commencent à être visibles. Selon une étude récente de Frost & Sullivan, le marché européen du BIPV a généré 1 297 millions d’euros de revenus en 2009 et devrait atteindre 2 698 millions d’euros dès 2016.
Les positions de leaders sont en germe mais bien présentes dans les entreprises et initiatives françaises, publiques comme privées. Cette croissance sera soutenue par le doublement prévu de la rénovation énergétique des bâtiments. L’enjeu est la création d’emploi à haute valeur ajoutée (recherche appliquée, ingénierie) grâce à l’établissement d’un leadership français sur le segment du bâtiment à haute valeur performantielle et environnementale.
Ayons l’audace de saisir cette opportunité. Maintenant.
Germain Gouranton & Jean-Louis Esteves
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