Ancien secrétaire général de l’INES, Vincent Jacques le Seigneur a été débarqué sans ménagement de l’institution il y a quelques mois à peine. Avec un brin d’amertume. Il déplore qu’avec le temps la « start-up » des commencements soit devenue une citadelle qui peine à s’ouvrir au monde environnant. Témoin privilégié de cette évolution, il revient sur cette incroyable aventure humaine qu’a été la création de l’INES. 10 ans d’une vie
Sous le gouvernement Jospin (1997-2002), Vincent Jacques le Seigneur est conseiller de la ministre de l’Environnement, Dominique Voynet. Là , ils perdent une bataille. De celles qui créent des fêlures. « Lors de la définition de notre périmètre ministériel, nous avons failli. Par ignorance et naïveté, nous avons demandé l’aménagement du territoire pensant être en capacité de bouger les lignes et nous avons laissé les énergies renouvelables au ministère l’Industrie qui n’en a rien fait. Le développement des EnR en a été retardé d’autant», reconnaît-il. Une gabegie
L’INES comme un pari insensé
Fin 2005, alors qu’il a quitté la direction de l’IFEN, l’Institut Français de l’Environnement en charge des statistiques et de l’évaluation des politiques publiques dans ce secteur, Vincent Jacques le Seigneur prend conseil auprès de Michel Barnier qu’il a côtoyé par le passé, et qui lui évoque le projet d’un centre de recherche sur le solaire en Savoie. Banco ! Il saisit l’appel du pied et rencontre Jean-Pierre Vial, son successeur à tête du département aujourd’hui sénateur. Les rencontres s’enchainent. Début 2006, il prend la direction de l’association de préfiguration de l’INES. « C’était doublement gagnant : je trouvai là l’opportunité de continuer à travailler dans le secteur public et de surcroît au service d’une cause passionnante. Avec l’INES, nous allions donner un essor décisif à l’énergie solaire », confie Vincent Jacques le Seigneur. Il rejoint alors quelques chargés de mission dans de spartiates algecos à Savoie Technolac, sur les rives du lac du Bourget. Quelques formations existent déjà mais l’ambition est tout autre ; il s’agit de doter la France d’un centre de recherche sur le solaire de niveau international qui lui permette de rattraper son retard et de jeter les bases d’une véritable filière industrielle. Sous l’égide du CEA, une mission d’experts part faire le tour de l’Europe pour voir ce qui se fait ailleurs et dénicher les hypothétiques ruptures technologiques à explorer.
Couvrir l’ensemble de la chaîne de valeurs
Au retour de la mission, décision est prise de couvrir l’ensemble de la chaîne de valeurs, de la production du silicium jusqu’à l’intégration des modules en toiture en passant par les cellules, les modules, le stockage et les réseaux. Bonne pioche ! L’INES est sur les rails. Le 3 juillet 2006, le protocole d’accord portant création de l’INES est signé par le ministre en charge de la recherche, François Goulard, avec le Conseil Général de Savoie, la Région Rhône-Alpes, le CEA, le CNRS, le CSTB et l’Université de Savoie. « Il faut préciser que la décision franche de Jean Therme d’y aller, de lancer le CEA dans l’aventure a été décisive. Sans cela, l’INES ne serait pas ce qu’il est devenu. Il faut lui en rendre cet hommage », souligne Vincent Jacques le Seigneur. Fort de cette transversalité tous azimuts qui couvrait l’intégralité de la filière solaire, et d’une équipe de chercheurs et de techniciens hors pair, l’INES gagne vite en notoriété. « Partant de rien, nous avons progressivement été invités à tous les symposiums du secteur. L’INES s’est fait un nom », confirme-t-il. Sur ce terreau fertile, où des associations comme l’ASDER et HESPUL avaient depuis des années déjà tracé un sillon avec un professionnalisme reconnu bien au delà de leurs territoires respectifs, l’Institut National de l’Energie Solaire grossit à un rythme effréné. Et cela parce que les barons locaux de l’époque y croient dur comme fer avec l’infatigable Jean-Pierre Vial en figure de proue : l’INES, par son potentiel futur de renouvellement industriel, devait être en mesure de compenser la perte d’influence de l’économie du ski, l’or blanc de Savoie, susceptible de souffrir à l’avenir du réchauffement climatique. Pallier le mal en développant les remèdes, de quoi donner un sens à l’action politique !
L’INES géré comme une start-up
Doté d’un directoire avec à sa tête un scientifique pointu du CEA, Jean-Pierre Joly, et un secrétaire général plus transversal, Vincent Jacques le Seigneur, l’INES a vite trouvé sa légitimité et son efficacité, sur le fond comme sur la forme. « Au début de l’aventure et par sa méthode de gouvernance en commando, l’INES était un peu géré comme une start-up. Tout se réglait au sein d’un petit comité composé de trois hommes -Roger Fougères, alors vice-président de la Région Rhône-Alpes en charge de la recherche, Jean-Pierre Vial, Président de la Savoie, et Jean Therme, directeur de la recherche technologique du CEA, qui se retrouvaient pour dîner et prenaient des décisions sur un coin de table, sans passer par les improbables validations de ministères ou de comité Théodule. C’est comme cela que l’INES a pu croître à ce rythme», poursuit l’ancien secrétaire général. En dix ans, l’institut est passé d’une poignée de personnes à plus de 450 salariés travaillant sur plus de 20 000 m2 de bureaux et de labo, du jamais vu en France. Annuellement, les flux financiers des contrats générés avec ses partenaires atteignent quelque 60 millions d’euros avec une cinquantaine de brevets déposés. Ce qui positionne l’INES comme un des premiers instituts mondiaux en termes de dépôts de brevets sur l’énergie solaire. Un outil performant, une référence dont la France peut s’enorgueillir.
Un sentiment de gâchis
Oui mais voilà . Au fil des années, l’INES a, semble-t-il, galvaudé la fraîcheur et la dynamique des commencements, remplacées par des rigidités nouvelles, de celles qui cadenassent les plus belles initiatives. « Cela tient sans doute à l’absence de structure juridique, à la gouvernance trop refermée mais aussi à l’extrême verticalité de l’institut », analyse Vincent Jacques le Seigneur. En fait, le CEA est resté seul maître à bord, pour tout contrôler et plonger de facto l’institut dans un mutisme froid. Son éviction en est le symbole, lui qui était le garant de l’ouverture, il est devenu encombrant. « Qu’on veuille remplacer les hommes ne fait pas question mais c’est le projet qui est en cause », regrette en passionné éconduit particulièrement remonté. Aujourd’hui, il n’y a plus de secrétariat général à l’INES, tout un symbole. Et on peine à savoir sur quoi travaillent les chercheurs, quels sont leurs résultats, comment la filière et avec elle toute la collectivité bénéficient de leurs innovations. Et pour cause, l’INES n’a plus de porte-parole ni de communication à l’extérieur alors qu’il vit pour partie de fonds publics, notamment via l’Ademe et le grand emprunt PIA (Programme d’Investissement d’Avenir) avec le programme INES 2 qui représente 32 millions d’euros d’argent public. La réforme territoriale fait que les collectivités ont dû revoir leur positionnement et la Savoie est sortie du jeu. Les choix stratégiques ne semblent pas discutés en raison de l’absence de conseil scientifique à l’heure où la rapidité d’évolution du secteur est purement stratosphérique. Tous les six mois, le monde du solaire connaît des bouleversements disruptifs, le digital en aiguillon de ces révolutions en accéléré.
L’autoconsommation va porter le marché
Et il est bien là le gâchis. L’INES devient une citadelle au moment où le solaire connaît une dissémination et une ouverture tous azimuts. « En 2006, on pouvait douter, aujourd’hui, ce qui se passe est incroyable, massif et irréversible. Nous entrons dans une ère inédite. Les nouvelles capacités de production font désormais majoritairement appel à des sources renouvelables et, en 2016, en puissance installée, le photovoltaïque (plus de 70 GW) a doublé l’éolien dans le monde. Les prix sont ultra compétitifs, très en dessous de l’électricité traditionnelle, notamment celle que produira l’EPR. L’autoconsommation désormais encouragée va faire que le marché sera porté par lui-même. L’énergie solaire va devenir l’énergie électrique la plus banale qui soit dans de multiples applications fixes ou mobiles, sur les toits, les balcons, les véhicules ou les vitres à travers des systèmes actifs. Partout en Europe, les offres d’électricité verte se multiplient. Et dans les pays en développement, à l’instar de la téléphonie mobile, le solaire hors réseau connaît un essor tout simplement stupéfiant. A mes étudiants de Science-Po, je dis allez-y, foncez, le photovoltaïque, c’est votre avenir », s’enthousiasme Vincent Jacques le Seigneur. Et pendant ce temps, l’INES semble comme entré en hibernation, retiré dans sa coquille. Qu’avons-nous fait de notre INES ?
Encadré
Vincent Jacques le Seigneur : portrait et itinéraire professionnel
Formé à Science-Po où il continue d’enseigner, Vincent Jacques le Seigneur, 59 ans, a consacré sa carrière à l’environnement d’abord en tant que journaliste et responsable de medias puis comme directeur général de l’IFEN (Institut Français de l’Environnement) en passant par un cabinet ministériel. Il est aujourd’hui président de la Fondation Energies pour le Monde qui, en 30 ans, a permis à plus d’un million d’hommes et de femmes, principalement en Afrique, de bénéficier de l’électricité hors réseau à partir de sources renouvelables. Il préside aussi aux destinées d’Observ’ER, l’Observatoire des énergies renouvelables, et il est administrateur de la coopérative Enercoop en Rhône Alpes.
NDLR : Contactée par la rédaction de Plein Soleil, la direction de l’INES n’a pas souhaité pour l’heure répondre à notre demande d’interview.