Tribune/Julien Tchernia, président d’ekWateur
Emmanuel Macron a annoncé qu’il atteindra le chiffre de 50% d’énergie renouvelable d’ici la fin de son quinquennat. L’énergie, placée au cÅ“ur de l’économie et de la transition écologique, dont Nicolas Hulot est désormais en charge, devra donc occupé une place de choix dans l’agenda du nouveau gouvernement. Ce dernier devra faire face à de nombreux défis comme rattraper le retard d’EDF sur la décentralisation du modèle énergétique et sur les ressources alternatives, dépasser l’allégeance traditionnelle aux grands groupes, et emporter l’adhésion sociale sur ce projet.
De nouvelles perspectives pour EDF
La décentralisation, essentielle pour révolutionner le système énergétique français, implique un changement de paradigme économique : plutôt que de dépendre d’un acteur central, l’énergie devra être fournie par plusieurs structures, allant des centrales de production de toutes tailles au peer to peer. Un changement déjà amorcé depuis l’avènement des sources renouvelables d’énergie. Néanmoins, EDF est un producteur d’énergie avant d’en être un fournisseur, et reste attaché à la forte rentabilité du modèle de production centralisé. Le groupe n’a donc pas su anticiper ce bouleversement, ni saisir cette occasion pour se placer en tant qu’expert du démantèlement et de la décentralisation.
Et pour cause : d’une part, la décentralisation suppose d’adopter une vision à court et à moyen terme, vision stratégiquement difficile lorsqu’on sait que jusqu’en 1998, les dirigeants du groupe tels que Roger Gaspard ou Marcel Boiteux restaient plus de 15 ans à la tête de l’entreprise. D’autre part, les résistances culturelles ont la vie dure. Nos élites se sont longtemps entendu seriner que le nucléaire était « LA » solution par excellence pour l’indépendance énergétique et la lutte contre le changement climatique.
Fermer des centrales nucléaires sortirait brutalement EDF de sa zone de confort, avec un coût considérable pour le contribuable. Il faudrait ensuite trouver rapidement une autre source d’énergie, ce qui aurait été plus simple si l’entreprise avait déjà les capacités de production alternatives. EDF a tardé à envisager une transition énergétique massive. Pour rectifier le tir, l’entreprise doit devenir compétente en démantèlement : une réelle opportunité industrielle qui ferait reconnaître l’excellence française en la matière, comme ce fut le cas pour la transformation de combustible nucléaire usagé en MOX[1].
Convaincre l’opinion publique
Emmanuel Macron souhaite réduire de 50% la part du nucléaire d’ici 2025, conformément à la loi du 18 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (loi TECV). En revanche, il ne donne pas d’indications sur les moyens d’y parvenir. Ce projet suppose pourtant de nombreux prérequis[2] : redéfinir le mix énergétique, la part du nucléaire étant de 73% en 2016 ; prévoir la fermeture de vingt réacteurs, ce qui équivaut à cinq centrales (selon les hypothèses de prévision de consommation nominale de RTE) ; accélérer la construction des moyens de production verts, comme le photovoltaïque et l’éolien. Enfin, le plus important : il devra emporter l’adhésion sociale lors du déploiement de ces nouveaux moyens de production. Les nombreuses contestations envers le déploiement des compteurs Linky, qui pourtant impliquait un coût zéro, nous apportent deux enseignements : les citoyens se méfient de plus en plus des gros acteurs industriels ou étatiques, et s’opposent également aux changements, même à faible impact.
Accompagner les communes dans cette transition énergétique
Pour alimenter la France entière en énergie renouvelable, il faudrait couvrir d’éoliennes un quart du territoire[3], ce qui changerait le paysage de manière considérable. Il en va de même pour le photovoltaïque. De quoi se heurter à de fortes résistances ! En revanche, si l’on propose aux communes de construire leur propre écosystème énergétique, d’y être accompagnées et d’en tirer bénéfice, on peut espérer emporter l’adhésion de la société. C’est la condition sine qua non pour progresser vers une transition énergétique durable et profitable à tous.
Nous devons aller plus loin dans l’autonomisation énergétique des individus, en permettant aux particuliers de construire leur petit parc de production. Le solaire équipe de nombreux de foyers français[4], mais sa croissance reste faible. Les acteurs de l’énergie doivent proposer des services intégrés dans lesquels le client reprend la main et participe à la chaîne de l’énergie.
Dans l’immédiat, cette politique de moyen terme semblera aller à l’encontre des acteurs dominants du marché. C’est pourtant en imposant le changement que la France pourra prendre ce virage tout en développant une filière industrielle.
2025, c’est déjà demain. Le mot d’ordre pour le gouvernement sera l’implication. Impliquer les communes et les régions, à travers les incubateurs et les autorités communales, en fixant des échéances sur la production locale d’énergie renouvelable ; impliquer, motiver et fédérer les populations.
L’avenir du système énergétique français passera inévitablement par un modèle décentralisé. La technologie pour ce faire est à notre portée, et les mentalités y sont désormais préparées. L’émergence des smart grids et des petites centrales en est un signe évident. Il est temps d’envisager une transition massive, avant d’y être forcés par les circonstances !
[1] Combustible nucléaire produit à partir de combustible nucléaire usagé
[2] Etude commandée par ekWateur sur le système énergétique français à l’horizon 2025 et réponses apportées par les candidats. https://ekwateur.fr/documents/Rapport_TnP_ekWateur.pdf
[3] L’énergie durable : pas que du vent !, David J.C. MacKay, traduction française par l’AMIDES, éditions de boek. http://www.amides.fr/sewtha-cov4.html
[4] Baromètre 2016 : les Français et l’énergie renouvelable. http://www.qualit-enr.org/presse-communiques/enquete-francais-enr-2016
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