Le délai d’un an accordé aux lauréats du CRE 1 est diversement apprécié par les opérateurs photovoltaïques. Certains y voient un signe positif et un ballon d’oxygène salutaire pour finir de mener à bien les projets en cours soumis, en autres, aux aléas des financements. D’autres plus agacés stigmatisent pour leur part un dysfonctionnement dans le fonctionnement de l’appel d’offres avec distorsion de concurrence à la clé. Une différence de traitement sur fonds d’absence de transparence qui a même amené le syndicat Enerplan à faire la demande d’un retrait pur et simple de cette décision de prorogation. Enquête !
Jean Pellet, directeur général adjoint de Juwi EnR, SAS française qui compte 70 salariés, ne décolère pas. Il n’accepte pas que la Direction Générale Energie Climat (DGEC) ait octroyé une prorogation du délai de réalisation des installations lauréates de l’appel d’offres PV > 250 kWc, dit CRE1. Le cahier des charges de l’appel d’offre prévoyait en effet que les installations soient mises en service dans un délai de 24 mois à compter de la notification de la décision, avec un délai supplémentaire éventuel pour tenir compte des travaux de raccordement par le gestionnaire de réseau qui dépasseraient 24 mois. Aujourd’hui, le délai est passé à 36 mois induisant de facto la suppression de la sanction automatique prévue dans le cahier des charges. « C’est vrai, nous l’avons mauvaise. La DGEC, sans discussion préalable avec les syndicats a jugé qu’une prolongation du délai de réalisation était nécessaire pour les projets lauréats de cet appel d’offres CRE1. Cela doit nous interpeler par rapport au sérieux des appels d’offres et aux conséquences sans distinction entre ceux-qui en auraient fait éventuellement la demande et ceux qui ont respecté le délai de 24 mois comme nous l’avons fait. Ce délai d’un an représente un avantage non légitime. Certains vont avoir de meilleurs tarifs au Wc sur les modules, ils ont tout loisir de spéculer. A ce titre, le manque de transparence de la DGEC est très regrettable. Elle donne là une très mauvaise image du fonctionnement des appels d’offres. Vivement fin aôut que l’on tire un premier bilan de cet appel et pour connaître enfin les volumes à traiter qui demeurent en suspens ! » s’insurge Jean Pellet.
Les bons élèves sont sanctionnés
Pour ce dirigeant, suite à cette décision, le choix même des lauréats s’en trouve délégitimé. Le délai de réalisation de l’installation sur lequel s’engageaient les candidats, en application de plusieurs dispositions du cahier des charges de l’appel d’offres, n’était-il pas évalué dans la procédure de sélection pour retenir les lauréats ? « Les pénalités, subséquentes au dépassement du délai, étaient d’ailleurs sensées affecter lourdement la durée du contrat d’achat en la réduisant du double de la durée de dépassement du délai initial » poursuit-il (voir encadré). La remise en cause de l’application d’une sanction « automatique » du fait de la prolongation accordée par la DGEC, serait par nature inéquitable pour les lauréats. De fait, la prolongation accordée à tous, avantage en réalité les seuls lauréats défaillants au détriment des lauréats ayant exécuté leurs obligations dans le délai imparti, et induit par ailleurs une distorsion de concurrence vis-à -vis des candidats évincés en raison du critère du délai de réalisation. Le syndicat Enerplan s’est emparé du problème : « Il est très regrettable que la DGEC n’ait engagée aucune discussion ni concertation avec les syndicats du secteur sur un point de dérogation aussi sensible qui met en péril la viabilité de l’appel d’offre. Cela interpelle nos membres et notre syndicat, à la fois sur la clarté de l’exécution équitable de cet appel d’offres et sur les motivations qui ont prévalu pour décider de favoriser des candidats défaillants à tenir le délai contractuel, ainsi que sur le respect de ce critère de délai de mise en service pour les autres appels d’offres en cours et à venir (« CRE 2 » et « CRE 3 ») ». Les équipes de Jean Pellet qui ont d’ailleurs rendu des copies très packagées avec permis de construire obtenu en bonne et due forme et financement dans les starting-blocks lors du CRE2 sont reparties bredouille. « Nous présentons des projets très matures avec une réalisation programmée sur le court terme pour justement respecter les délais. Tout ceci a un coût. Dans ce système, on a vraiment l’impression que les bons élèves sont sanctionnés. J’ajouterai que tout MW non construit dans les temps aujourd’hui en France est une catastrophe pour le filière française qui a besoin de projets pour survivre » souligne le directeur adjoint de Juwi qui conserve dans ces cartons des projets bien ficelé à redéposer pour le CRE3. Les opérateurs ne peuvent pas sans cesse demander de la visibilité et se satisfaire d’un appel d’offre qi bafoue toutes les règles au détriment justement de la visibilité. Il y a là un paradoxe difficile à appréhender pour certains. In fine pour Enerplan, la décision en cause est de nature à faire échec au dispositif réglementaire prévu en cas de constat d’un désistement ou d’une défaillance d’un candidat retenu à l’issue de l’appel d’offres. L’existence d’un désistement ou d’une défaillance pouvant justifier du choix d’un ou de nouveaux candidats après accord de ces derniers, ou le lancement d’un nouvel appel d’offres (art 14 décret n°2002-1434 du 4 décembre 2002). « Ne comprenant pas les motivations de ce report, ni sa validité et compte tenu de notre analyse et du risque avéré de rupture d’égalité entre candidats et lauréats à l’appel d’offres, nous sollicitons le retrait de la décision prorogeant le délai de réalisation ». La position d’Enerplan a ainsi été explicitée dans une lettre envoyée à la DGEC qui pour l’heure tarde à réagir.
Ce délai est une bonne nouvelle, un signal positif
Cette initiative d’Enerplan ne fait cependant pas l’unanimité au sein de la profession. D’aucuns voient ainsi dans ce délai accordé l’un des premier véritables rares signes positifs à l’égard de la filière depuis des mois. Ce délai d’un an permet enfin de donner un peu d’air à des opérateurs qui ne comptent plus les chausses trappes qu’ils subissent depuis plusieurs années et qui gangrènent leur activité au jour le jour. Erick Gay, le patron de Valeco s’est ainsi ouvertement réjoui de ce délai qui va lui permettre de lâcher un peu de lest sur sa trésorerie « Il faut savoir qu’aujourd’hui, j’autofinance tous mes projets solaires jusqu’à leur mise en service. Les banques ne libèrent l’argent qu’après. Les fonds propres souffrent. J’ai plus de 15 millions d’euros dehors. Bercy a également décidé de ne plus rembourser la TVA sur travaux au fil de l’eau mais là encore uniquement à la mise en service. J’ai ainsi neuf mois de retard de remboursement TVA sur mes chantiers solaires et éoliens. Si l’on ajoute à cela la remise en cause de l’amortissement dérogatoire de 100% de l’investissement sur une centrale solaire dès la première année, vous comprendrez que ce délai d’un an sonne enfin comme une bonne nouvelle et nous fait beaucoup de bien » estime Erick Gay. Pour de nombreux opérateurs en effet les dates butoirs imposées sont « bêtes et méchantes » surtout lorsque l’on connaît la complexité administrative qui prévaut dans l’Hexagone. La présence d’un papillon endémique dans une garrigue peut plomber un projet pour des mois. « Je trouve ce délai très raisonnable et arrangeant. Condamner des projets et de les voir partir à la poubelle est un non, surtout au vu des sommes mises en jeu. Ce délai est une façon de crédibiliser la filière. Ne perdons pas de vue que l’objectif de ces appels d’offres n’est autre que de développer le photovoltaïque en France et de lui donner une part plus importante. Grâce à cette prorogation des projets restent en course et sont remis sur le marché pour être rachetés. Cessons de perdre du temps à ces chicayas » s’agace un entrepreneur du secteur qui souligne également la plus-value sociale de ce délai d’un an. « Quand les développeurs n’ont que quelques semaines pour réaliser les chantiers, les ouvriers finissent par courir toute la journée avec des panneaux sur le dos, subissant des charges de travail énormes et des horaires à rallonge pour rentrer dans les clous ».
« On ne peut pas laisser passer cela »
Et il ne faudrait pas non plus éluder la partie R&D des projets, source de financement non négligeable pour des instituts comme l’INES et le CEA. « Le délai accordé par la DGEC est susceptible de retarder de nombreux programmes et leur mise en application. Certains programmes de R&D qui ont besoin de 100% des projets sont mêmes en stand-by à cause des retardataires. Certains sont inquiets de la tournure des événements » clame les opposants au délai. Les « pro » délais ont une autre vision de la chose. « Mieux vaut du retard que des défaillances pures et simples. Chaque projet qui passe à la trappe est un manque à gagner substantiel pour les organismes de recherche. L’Etat très fortement soumis à la pression des dérives des finances publiques peut-il se passer d’une telle manne ! » C’est aussi peut-être là qu’est à chercher les raisons d’un tel délai qui, on le voit, partage la profession mais soulève aussi des questions de fond quant au devenir de la filière. « Comment peut-on demander au ministère un quotta de 1000 MW par an, si nous ne sommes même pas capables de réaliser les 400 MW des appels d’offre dans les temps et s’en réjouir ? Ce délai donne de l’eau au moulin de nos détracteurs. Il en va de notre crédibilité, de notre capacité à être légitime et à réclamer tout ce qu’on l’on réclame à savoir de la visibilité et de la constance dans les décisions » souligne un opérateur qui estime que se donner les moyens de faire les travaux dans les temps induit des coûts plus élevés et des embauches de personnel supplémentaires avec à la clé des tarifs plus hauts et donc dirimants pour remporter les appels d’offre. « Peut-on accepter un marché où ce qui bluffent, qui prennent tous les risques finissent par être les grands bénéficiaires ? Il s’agit d’un marché qui n’est pas propre, pas sain. A ce tire, j’aimerais bien savoir si certains opérateurs défaillants de CRE1 ne sont-ils pas non plus les bénéficiaires de CRE2 ? On ne peut pas laisser passer cela » conclut Jean Pellet. Après la demande de retrait d’Enerplan, la balle est à présent dans le camp de la DGEC
Encadré
Le SER botte en touche
Contacté, le SER a indiqué ne pas avoir pris position sur cette question estimant n’avoir que peu de marge de manÅ“uvre.
Encadré
Délai de mise en service industrielle et durée du contrat
Le candidat s’engage à mettre en service l’installation dans le délai suivant :
- vingt quatre (24) mois à compter de la notification de la décision par la ministre si la durée des travaux de raccordement effectué par le gestionnaire de réseau est inférieure à vingt-deux (22) mois ;
- dans un délai de deux (2) mois à compter de la fin des travaux de raccordement par le gestionnaire de réseau si la durée de ceux-ci dépasse vingt deux (22) mois.
Le candidat s’engage par ailleurs à achever son installation dans un délai de vingt quatre (24) mois à compter de la notification de la décision par la ministre. La date d’achèvement de l’installation correspond à la date où le producteur soumet les rapports de vérification vierges de toute remarque délivrés par un organisme agréé pour la vérification initiale des installations électriques conformément aux dispositions prévues par l’arrêté du 22 décembre 2000 relatif aux conditions et aux modalités d’agrément des personnes ou organismes pour la vérification des installations électriques.
Le cas échéant, les délais mentionnés ci-dessus sont augmentés de la durée de traitement des contentieux administratifs effectués à l’encontre de l’autorisation d’urbanisme liée à l’installation lorsque ces contentieux ont pour effet de retarder la construction de l’installation ou sa mise en service.
Dans le cas d’installations nouvelles, le contrat d’achat d’électricité prend effet à la date de mise en service de l’installation pour une durée de vingt (20) ans. Dans le cas d’installations ayant déjà bénéficié des conditions tarifaires de l’arrêté du 4 mars 2011 précité, la durée de contrat est réduite du nombre de mois séparant la date de mise en service et la date de prise d’effet du contrat signé au titre du présent appel d’offres.
Le cas échéant, la durée du contrat d’achat est réduite du double de la durée de dépassement lorsque l’achèvement de l’installation n’intervient pas dans le délai mentionné ci-dessus. Le cas échéant, la durée du contrat d’achat est réduite du double de la durée de dépassement lorsque la mise en service de l’installation n’intervient pas dans le délai mentionné ci-dessus. Ces deux dispositions sont cumulatives : ainsi, si T1 désigne la durée de dépassement relative à l’achèvement de l’installation et T2 désigne la durée de dépassement relative à la mise en service de l’installation, la durée du contrat d’achat est réduite d’une durée égale à 2xT1+2x T2.