Tous les 4 ans, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) – organe de coopération entre les 28 pays membres de l’OCDE centré sur l’énergie – réalise une revue de la politique énergétique de chacun de ses pays membres. Le rapport concernant la France publié ce matin se montre très décevant et même inquiétant. Les experts associatifs pointent les défauts du processus de concertation sur la forme et le manque d’analyse critique de la revue sur le fond. Le processus d’élaboration du rapport comprend plusieurs phases de débat et de concertation entre les représentants des ministères des pays membres et le Secrétariat de l’AIE. Les autres acteurs concernés sont en principe eux aussi associés à la démarche. Contrairement à ce qui se fait dans les autres pays, le Ministère du développement durable (MEEDDM), en l’occurrence la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), a refusé d’inclure les acteurs associatifs français de l’énergie et de l’environnement (si ce n’est ponctuellement la Fondation Nicolas Hulot) dans le programme de réunions consultatives.
Ce faisant, la DGEC a privé l’équipe de revue de toute possibilité de discussion directe avec des représentants de la société civile dont la connaissance et l’expertise – notamment en terme d’énergie durable – ont pourtant été largement reconnus durant tout le processus d’élaboration du Grenelle de l’environnement. L’ambitieuse future réglementation thermique RT 2012, dont se félicite l’AIE, est par exemple le fruit des propositions des associations. Rappelons que le dialogue avec la société civile fait intégralement partie des engagements des pays membres de l’OCDE, ce qu’ont bien compris de nombreux pays membres qui ont pleinement intégré les associations dans le processus de concertation1.
Le processus de Grenelle avait été marqué par l’exclusion d’entrée du nucléaire – pourtant placé au centre de la politique énergétique française depuis 1973 – du champ des discussions. Si cette séparation artificielle a sans doute favorisé les avancées de la concertation sur les autres volets de la politique énergétique, elle ne saurait demeurer dans la mise en oeuvre concrète des orientations correspondantes. Les projections officielles « post-Grenelle » du gouvernement français prévoient explicitement, à la fois de stabiliser la consommation d’électricité et de développer la part de la production électrique d’origine renouvelable tout en assurant le maintien voire l’augmentation de la capacité de production nucléaire.
Pour « boucler » le scénario, le Gouvernement ne peut que parier sur une augmentation sans précédent des exportations d’électricité qui n’a aucune chance de se réaliser, ce qui ne peut en retour qu’entraver les progrès sur la demande ou les renouvelables sur un marché national saturé.
L’AIE ignore ou feint d’ignorer dans son analyse cette incompatibilité fondamentale entre les orientations nucléaires et les orientations du Grenelle. Au contraire, l’agence encourage la France dans la poursuite du développement du nucléaire, tant pour ses propres besoins que pour ceux de l’Europe voir du monde. La revue de l’AIE appuie ces conclusions sur une vision extrêmement optimiste conforme au discours du gouvernement mais en forte contradiction avec les faits de la situation du programme nucléaire français, qu’il s’agisse de transparence, de gestion des déchets ou de prévisions sur l’allongement de la durée de vie ou l’avènement de la « 4ème génération ».
De même, sur le plan économique, l’AIE valide le concept de « rente nucléaire » liée au coût de production actuel des réacteurs existants et suggère de consacrer celle-ci au développement de nouveaux projets nucléaires. Cette fameuse « rente » n’est en réalité que le résultat des avantages consentis depuis l’origine par l’Etat au programme nucléaire, et un écran de fumée pour cacher la réalité du fardeau notamment économique – qu’il représente déjà pour les générations futures.
la lecture de la revue de l’AIE, une question s’impose : quelle est son utilité? En effet, le manque d’analyse critique des discours, des travaux et des politiques de l’État est patent.
Deux exemples parmi une multitude :
1) La revue cite : « un programme sans précédent de rénovation des bâtiments anciens » (p.44). Le simple fait d’énoncer dans la loi un objectif de diminution de 38% de la consommation du parc ancien suffit-il à atteindre cet objectif ? Cela relèverait de la « prophétie auto réalisatrice » En effet, aucune mesure sur les bâtiments anciens, en particulier contraignante, ne permet aujourd’hui d’envisager d’atteindre la cible. C’est même l’un des plus grands échecs du Grenelle.
2) La revue reprend quasiment telles quelles les projections de consommation d’énergie jusqu’en 2030 réalisées en 2008 par la DGEC à la demande de l’AIE. Or ces projections réalisées dans la pure tradition du « laisser-faire » ont pour résultat de gonfler artificiellement l’impact des politiques publiques. Faut-il rappeler (regardons une seconde dans le rétroviseur) que les précédentes projections de l’AIE se sont révélées lourdement erronées, même sur de courtes périodes ? Les scénarios plus volontaristes développés lors du Grenelle de l’Environnement ou par l’association Négawatt auraient pu être analysés en contre-point.
Le CLER rappelle que contrairement aux recommandations sans conséquences de l’AIE (de nombreuses recommandations faites en 2004 n’ont pas été prises en compte par la France, et sont passées sous silence dans cette édition), le non-respect des directives européennes (3 x 20%) coûtera cher à la France (financièrement parlant). ce titre, l’AIE ne joue pas correctement son rôle de guide objectif et clairvoyant. Sa revue lisse et inconséquente ne fait aucunement ressentir l’urgence qu’elle pointe par ailleurs avec un ton alarmiste, exhortant les Etats à « sortir du tout pétrole ». la décharge de l’AIE, l’organisation a dû travailler bon gré mal gré avec des oeillères, faute d’avoir pu consulter l’ensemble des acteurs de l’énergie. Après l’environnement qui commence à bien faire et le reflux des thématiques écologiques amorcé depuis la fin du Grenelle, ce retour à des pratiques d’un autre âge en termes de gouvernance et de dialogue a de quoi inquiéter sur la capacité de l’État à faire face aux défis énergétiques et climatiques nationaux, européens et planétaires.
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