A l’heure où l’ensemble de la filière française du photovoltaïque vit des heures sombres dans l’attente de la future loi sur la transition énergétique, Schneider Electric, le géant français du matériel électrique, se lance pour sa part à bride abattue sur ce marché, avec une vision stratégique qui dépasse, et de loin, les seules frontières de l’Hexagone pour un groupe présent dans plus de cent pays dans le monde. Le point avec Laurent Bataille, président de la Business Unit Solar de Schneider Electric !
Plein Soleil : A quelle époque la société Schneider Electric a-t-elle commencé à s’intéresser au solaire ?
Laurent Bataille : Schneider Electric a fait valoir un intérêt pour le photovoltaïque vers 2007, lorsque le marche s’est développé sous l’impulsion de pays comme l’Espagne, l’Allemagne et la France. C’est à ce moment là que nous sommes réellement passés au stade industriel autour de deux axes : le développement d’une gamme d’onduleurs solaires destinée essentiellement au marché du résidentiel et le rachat de la société canadienne d’onduleurs Xantrex durant l’année 2008 pour répondre plus spécifiquement au marché des installations de grande taille (projets de fermes solaires,). Dès lors, le groupe s’est installé de plain-pied dans la chaîne de conversion du solaire photovoltaïque.
La R&D des solutions solaires réalisée à Grenoble
PS : Depuis vous avez développé votre gamme d’onduleurs Conext avec à la clé une relocalisation de certaines acticités. Quelle part de votre activité est-elle justement réalisée en France ?
LB : Nous avons depuis lors développé une gamme plus performante encore pour le résidentiel et pour le petit tertiaire en triphasé, la gamme Conext. Compte tenu des exigences en termes de prix sur ce secteur concurrentiel, la supply chain pour les petits comme pour les gros onduleurs est située en Asie. Notre centre principal de fabrication d’onduleurs se trouve en Inde, plus exactement à Bangalore dans un des tous meilleurs sites mondiaux du groupe installé sur un campus de plusieurs milliers de personnes. Cette situation représente un avantage évident pour nous puisque la grande majorité des composants électroniques des onduleurs sont fabriqués par des fournisseurs basés en Asie. Notre stratégie industrielle repose sur une approche globale du marché solaire avec une fabrication centralisée au plus près des fournisseurs de composants électroniques et une adaptation finale des produits et équipements dans des « hubs » régionaux, en France pour l’Europe et aux Etats-Unis pour la zone Amériques. C’est un schéma industriel efficace en coûts et réactif pour nos clients.
Vous évoquiez une localisation en France. Nous disposons en effet dans la région de Grenoble d’un centre de R&D très important pour nous et pour notre activité solaire, au sein duquel travaillent des dizaines de chercheurs. Ils effectuent, entre autres choses, des recherches sur l’intégration des onduleurs dans des cabines de protection appelées « PV boxes », visant à améliorer de façon significative l’efficacité et la fiabilité de la chaine de conversion électrique. Ils développent également des logiciels de monitoring et de contrôle (SCADA) pour assurer le pilotage fin des installations solaires de grande taille : ces logiciels deviennent de plus en plus critiques pour assurer la bonne intégration de la production solaire par nature intermittente – dans le réseau.
Nous avons également deux autres centres de recherches, l’un à Vancouver au Canada et l’autre toujours à Bangalore en Inde. Pour notre activité de chaîne de conversion solaire, plus de 10% du chiffre d’affaires est dédié à la R&D. Une donnée fondamentale dans un marché d’innovation !
PS : Pensez-vous que ce marché est en train de glisser des mains de PME ou d’ETI vers les grands groupes internationaux comme le vôtre ? En gros l’heure de la consolidation serait-elle venue ?
LB : Vous savez ce marché du solaire, qui est en pleine « crise de croissance », est en train de vivre des changements géographiques majeurs sur fond de globalisation. Ce ne sont plus des acteurs locaux qui sont les plus à même de remporter des projets à la fois en France, en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis. L’heure est venue de pousser l’industrialisation de ce métier pour promouvoir la compétitivité du solaire dans le monde entier. Il s’agit d’une nécessité dans le cadre du développement d’un marché de masse. Et il y a clairement des places à prendre. Schneider Electric est sur les rangs.
« Nous participons à la professionnalisation de cette industrie »
PS : Justement, quels sont vos objectifs à court, moyen et long terme sur ce marché du PV mondial en pleine effervescence ?
LB : En 2012, Schneider était n°4 mondial par les revenus dans le métier de la chaine de conversion électrique pour le solaire. Dans les années à venir, nous visons une place de leader, en glanant des parts de marché lors de la phase actuelle de transformation et d’internationalisation du solaire.
Il faut dire que nous participons à la professionnalisation de cette industrie en apportant une vraie différenciation dans nos process qualité. A l’heure actuelle, le marché du photovoltaïque est encore en voie de maturation avec des perceptions pas toujours très claires de la clientèle sur la différence de qualité ou de durée de vie des produits. Sur ce dernier point, il existe par exemple des écarts importants entre des composants de type « industrial grade » et ceux de type « consumer grade». Nous faisons le pari de la qualité. Par exemple, pour la gamme Conext, nous effectuons des tests appelés MEOST (Multiple Environnemental Over Stress Testing), autour de cycles très exigeants simultanément en termes de températures (-30, +70°C), de niveaux d’humidité et de vibrations. Dans le même d’ordre d’idée, nous sommes parmi les seuls à tester nos PV Box aux contraintes environnementales en utilisant les moyens d’essais dédiés normalement aux trains.
Une autre différenciation importante que nous apportons est la « bankabilité », c’est-a-dire la solidité financière de l’entreprise sur le long terme. Dans le solaire, un fournisseur doit être en capacité d’assurer la maintenance d’un onduleur central pendant vingt ans, mais aussi de pallier les problèmes d’obsolescence en retravaillant le design et en substituant parfois des composants. Nous signons des contrats de services pour des maintenances de long terme. Nous restons à demeure sur des grandes fermes au sol, opérationnels dans l’instant pour changer des équipements si nécessaire. Qui peut maintenir une telle offre pendant vingt ans ? Il est évident qu’un groupe industriel qui réalise 24 milliards d’euros de chiffres d’affaires apporte de la sérénité au client. C’est une question de crédibilité !
PS : Quel est votre modus operandi sur le terrain et quels sont les domaines de compétence de Schneider Electric ?
LB : Notre démarche industrielle très transversale se focalise sur trois axes : des nouvelles gammes de produits compétitives, de grandes capacités de service à la fois dans l’ingénierie et dans l’exécution de projets et enfin une force de vente spécialisée, très en phase avec les problématiques locales que ce soit au Chili, en Arabie Saoudite ou au Japon. Nous nous adaptons aux nouvelles géographies.
Par ailleurs, nous avons un double métier avec d’un côté la vente de produits monophasés avec capacité de stockage ou sans – pour le résidentiel, de petits triphasés pour le tertiaire ou des bâtiments industriels et commerciaux, et d’un autre côté la vente d’équipements pour grandes installations (projets « utility scale » sur de très grands bâtiments ou en fermes au sol). Nous livrons ainsi des chaînes électriques complètes à nos clients dans le monde entier en participant à l’exécution ou au design. Nous accompagnons d’ailleurs de nombreux acteurs français qui explorent diverses géographies dans leur ouverture commerciale à l’export ou qui travaillent sur de nouveaux métiers comme le développement de réseaux isolés ou le support à des réseaux fragilisés par l’intégration du renouvelable dans le mix énergétique. En fait, le métier de Schneider dans le solaire va de l’onduleur de 2.5kW jusqu’à la PV Box de vingt tonnes et à la connexion réseau en moyenne ou haute tension.
« Nous suivons avec intérêt les appels d’offres des régions Aquitaine et Poitou-Charentes sur l’autoconsommation »
PS : Vous louez votre capacité d’adaptation et votre support technique. Pourriez-vous donner un exemple concret ?
LB : Le thème de l’amélioration de l’intégration de l’énergie solaire dans la grille (ndrl : le réseau) devient critique. Nous travaillons à des adaptations spécifiques et aux moyens d’intégrer l’énergie solaire dans le réseau suivant les préconisations des gestionnaires de réseaux. A Porto-Rico, le gestionnaire de réseau local PREPA, inquiet de l’effet de l’intermittence sur des réseaux insulaires, impose des contraintes de vitesse dans la réduction de production d’énergie solaire, avec une pente de descente qui requiert des capacités de stockage. Pour la respecter, nous avons développé un software sophistiqué (système de SCADA) couplé à des briques de stockage. Voilà par exemple nos armes de différenciation par rapport à la concurrence !
PS : Un mot pour finir de l’autoconsommation. Vous intéressez-vous à cette technologie ?
LB : L’autoconsommation est un marché naissant au même titre que celui du stockage. Nous y croyons et nous disposons dès à présent de gammes de produits capables de servir des applications d’autoconsommation. Cependant, l’autoconsommation recouvre des réalités différentes.
L’autoconsommation, cela peut être une installation solaire sur un bâtiment commercial un supermarché – utilisant la génération PV pour couvrir son « base load », sans stockage et sans réinjection vers le réseau.
Elle peut également s’envisager avec des systèmes plus petits, résidentiels par exemple, couplés à des batteries pour décaler la production sur la pointe de consommation du soir. Nous avons ainsi du stockage sur des systèmes jusqu’à 100kw avec le Conext XW, un produit hybride capable de gérer des batteries, qui permet d’augmenter le taux d’autoconsommation. Aux Etats-Unis, les retours d’expérience sont excellents sur ce type de produit.
Nous aurons également bientôt du stockage sur des systèmes plus gros. D’ailleurs sur ce sujet de l’autoconsommation, nous suivons avec intérêt par exemple les appels d’offres des régions Aquitaine et Poitou-Charentes. Vous voyez bien que la France nous intéresse. Elle demeure un de nos marchés majeurs, à la fois pour le marché local et pour ses entreprises exportatrices. Nous y avons une très bonne couverture sur le métier projet auprès des opérateurs. Désormais, nous renforçons également notre activité produits avec la gamme Conext autour d’une force de vente déterminée à faire de Schneider Electric un prophète en son pays sur le marché du grand public.
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