Juridique/Les levées de fonds dans le secteur solaire : enjeux et tendances actuels

Par Sylvie Perrin et Jordan Le Gallo – Cabinet De Gaulle Fleurance

 C’est officiel ! Selon le rapport World Energy Investment 2023 de l’Agence Internationale de l’Energie, le montant des investissements dans l’énergie solaire devrait dépasser celui des investissements dans la production pétrolière en 2023, pour atteindre 382 milliards de dollars US. Décryptage !

 

L’attrait grandissant des investisseurs pour les énergies renouvelables et notamment l’énergie solaire provient d’une combinaison de facteurs : l’urgence environnementale de la transition des combustibles fossiles vers des sources renouvelables entrainant un renforcement des obligations et incitations en matière ESG, une forte volatilité des prix relatifs aux combustibles fossiles résultant de la guerre en Ukraine, ainsi que le perfectionnement des technologies. En ces temps de crises successives tant sanitaires, environnementales, économiques que politiques, l’énergie solaire est devenue une valeur refuge pour les investisseurs qui souhaitent sécuriser leurs sources de financements en amont et leurs investissements en aval tout en limitant les remous liés à certains facteurs exogènes perturbateurs. Une conjonction favorable pour les porteurs de projets solaires qui souhaitent lever des fonds pour porter leurs coûts massifs de déploiement.

 

Réaliser une levée de fonds et bien choisir ses partenaires

 

Les infrastructures des projets solaires (centrale photovoltaïque et centrale solaire thermique) sont des actifs dont il convient de maîtriser les spécificités. Les objectifs de durabilité poursuivis dans leur développement en font intrinsèquement des projets de long terme s’étalant sur plusieurs dizaines d’années nécessitant une réelle expertise industrielle pour les développer, les construire et les exploiter dans la durée. Il est primordial pour l’investisseur de savoir avant tout choisir le bon partenaire avec l’expertise industrielle adéquate mais également de comprendre le marché de l’énergie et les caractéristiques du secteur pour apprécier les spécificités de la rentabilité de ces projets.

 

Parallèlement, l’industriel doit pouvoir identifier l’investisseur qui sera le plus à même de répondre à ses besoins. Si les projets solaires intéressent un panel toujours plus diversifié d’investisseurs privés et institutionnels, ces derniers ont une maturité sur cette classe d’actifs, des objectifs, ainsi que des conditions d’investissement et de sortie différents.

De prime abord, les fonds d’infrastructures apparaissent comme les partenaires privilégiés pour le développement de projets solaires, compte tenu de leur expérience sectorielle reconnue, la solidité de leur historique de performance et leur vision moyen-long terme. En pratique, la rentabilité sera recherchée au moment de l’exploitation du projet, c’est-à-dire lors de la vente de l’électricité produite.

Les institutionnels, tels que la Caisse des Dépôts et des Consignations, les banques, les assureurs voire les fonds de pension, sont également particulièrement dynamiques pour investir dans des projets durables, sur la base d’une assise financière et une solidité structurelle.

Les fonds de private equity comme les fonds de venture capital, growth capital, dont la vocation première est de financer des entreprises émergentes, entendent diversifier leurs investissements notamment dans les infrastructures renouvelables. Malgré une expérience sectorielle encore en développement, ces derniers sont recherchés par les industriels dont le projet vise à construire un projet solaire puis à le céder, sans envisager de porter son exploitation. Autrement dit, ici la rentabilité est recherchée, non pas au moment de l’exploitation du projet, mais sur son développement afin de dégager une rentabilité à plus court-terme.

Dans tous les cas, le partenariat entre producteur d’énergie solaire et investisseur se concrétise par la rédaction d’une documentation juridique de préférence équilibrée, créatrice de valeurs pour toutes les parties, identifiant et sécurisant les risques de développement et, le cas échéant, d’exploitation des projets.

 

Construire un montage juridique sécurisé

 

Dans une perspective de protéger leur investissement et limiter les risques, le montage juridique entourant les projets solaires est le plus couramment le suivant : chaque actif solaire est la propriété d’une société de projet (aussi appelée SPV ou AssetCo), laquelle est détenue par le sponsor ou par une société holding intermédiaire (HoldCo), dont le rôle est d’assurer la structuration financière des besoins propres à chaque projet de son portefeuille. En parallèle, la HoldCo pourra également détenir des titres d’une société chargée du développement, de la construction et de l’exploitation des projets (ou DevCo). Il n’est pas rare que les fonctions de cette DevCo soient réparties entre la HoldCo et l’AssetCo.

Dans tous les cas, il est impératif de déterminer en amont la structuration envisagée, laquelle dépendra des objectifs notamment financiers recherchés par l’investisseur et le sponsor.

 

Points clés à négocier

 

Il est impératif de discuter et définir clairement les aspects juridiques entourant la levée de fonds. Cette négociation va notamment se cristalliser autour de deux questions : (i) comment conserver les personnes clés du projet et (ii) quand et comment partager la création de valeur ?

Premièrement, les projets solaires requérant une expertise industrielle pour leur construction et leur développement, les investisseurs financiers vont s’assurer que les experts (ou personnes clés) restent attachés audit projet jusqu’à son terme. Pour cela, plusieurs mécanismes peuvent être mis en place, dont les deux principaux sont respectivement (a) la stipulation dans la documentation contractuelle de clauses d’exclusivité et de non-concurrence restreignant la fuite des talents, ainsi que (b) la mise en place de plans d’intéressement valorisant ces derniers en leur permettant de recevoir une partie du partage de valeur en contrepartie, notamment, de leur présence au sein de la SPV pendant une période minimum donnée.

Deuxièmement, des mécanismes de partage de la performance sont mis en place tant pendant la période d’investissement (dont la durée peut varier selon la politique du partenaire financier agréé), qu’au moment de la sortie de l’investisseur, laquelle devra être circonscrite en déterminant par avance les événements qui la déclencheront. On pense par priorité aux mécanismes de cascade de paiement qui prévoient que les flux financiers résultant du projet seront par priorité distribués à l’investisseur jusqu’à l’obtention par ce dernier d’un certain taux de rendement interne préalablement agréé entre les parties, puis répartis entre les autres associés.

 

La levée de fonds est un moment primordial pour les sponsors de faire leur propre évaluation, de prendre conscience de leurs atouts et de leurs limites. S’entourer de conseils juridiques et financiers à même de comprendre le cadre financier, extra-financier (ESG), réglementaire, ainsi que les pratiques de marché est alors essentiel afin de consolider la valorisation dudit projet à travers le choix du partenaire financier le plus adapté, du montage juridique et des méthodes de partage de la valeur.

 

 

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