A la sortie Béziers Ouest de l’autoroute A9, à quelque cent kilomètres de la frontière espagnole qui voit passer tous les jours plus de 10 000 camions, un parking Truck Etape d’une dizaine hectares a été recouvert de 23 760 modules photovoltaïques perchés entre cinq et neuf mètres de haut. Une sorte de cathédrale solaire high tech de 4,5 MWc qui protège les camions du soleil et de la pluie et qui produira jusqu’à 5 512 MWh/an. Visite d’un site solaire d’exception dont le chantier a été réalisé sous très haute tension en quelques mois à peine. Détails !
Jean-Marc Bouchet (photo), PDG de la société JMB Energie aime les projets solaires qui ont du sens, qui répondent à une logique énergétique utile. « Je veux savoir dire pourquoi j’ai fait du solaire ici, sur ce parking en bord d’autoroute. Si les conditions n’avaient pas été là , je ne le faisais pas. Une condition sine qua non pour durer dans nos métiers » assure le chef d’entreprise aux convictions bien affirmées. La centrale solaire qui abrite désormais le Truck Etape de Béziers Ouest répond ainsi tout à fait à des critères irréfragables et à cette quête de sens obstinée. « La centrale a été conçue sur une zone d’ores et déjà anthropisée et industrialisée où les besoins électriques de proximité existent. Elle répond qui plus est à la demande prégnante des chauffeurs routiers désireux de se protéger du soleil brulant de l’été et des pluies cévenoles de l’automne » abonde le chef d’entreprise. La centrale a été inaugurée le 9 novembre 2011.
« La brutalité du moratoire »
Au commencement était donc une aire de parking sécurisée d’une dizaine d’hectares mise à disposition des camions par les ASF, filiale de Vinci. Cette aire dotée de caméras de vidéo-surveillance et d’équipements sanitaires a vu le jour en 2006 et compte 350 emplacements. Elle est très prisée des chauffeurs routiers en recherche d’un peu de confort mais également de sécurité, étant de plus en plus victimes de vandalisme voire d’agressions. Très vite JMB Energie verra là un spot idéal pour monter des ombrières de parking, une de ses spécialités il faut dire. JMB Energie a en effet monté plusieurs parcs d’ombrières de puissances comprises entre 500 kWc et 1,2 MWc dans le secteur des véhicules de loisirs pour abriter caravanes et camping-car dans l’Hérault et les Pyrénées-Orientales. Cependant, ce projet là était d’une toute autre mesure, un véritable pari que s’est empressé de relever avec excitation Jean-Marc Bouchet. L’homme aime les défis (voir portrait). Après moult réunions avec les ASF et la sous-préfecture pour une obtention du permis de construire en bonne et due forme, le Truck Etape solaire verra donc le jour. Nanti d’une PTF basée sur un tarif intégré à soixante centimes d’euros, JMB Energie n’éprouve alors aucun problème à trouver les financements. Côté structure des ombrières, la société GagnePark s’est imposée comme le partenaire technique idoine aux compétences avérées. Cependant, le montage de ce dossier s’avère lourd et contraignant. Il s’est étalé sur deux ans. Début décembre 2010, les travaux n’avaient pas encore commencé. Avant le double coup de tonnerre : l’annonce du moratoire et la mise en place de délais drastique de raccordement sur les projets en cours. La date limite de raccordement est alors fixée au 9 septembre et pas que sur ce seul chantier. Sur beaucoup d’autres également. « Autant j’ai longtemps été d’accord sur une baisse des tarifs qui était même pour nous question de survie. Autant je n’ai pas supporté la brutalité et la rétroactivité qui nous ont été infligées avec ce moratoire. J’en fais un constat amer » assène Jean-Marc Bouchet.
80 millions d’euros de travaux engagés
A partir du 9 décembre, les banques ont commencé à devenir beaucoup moins conciliantes avec JMB Energie, jusqu’à revenir sur des engagements passés. »Il a fallu rediscuter les accords de financement déjà signé. C’est simple en décembre, nous avions 80 millions d’euros de travaux engagés sur des financements fermes. En quelques jours, tout le monde faisait marche arrière. Mi-décembre, j’ai même tout mis sur la table avec mes collaborateurs avec deux options : On lance les chantiers ou on arrête tout. On a opté pour la première solution » se souvient le chef d’entreprise qui a très mal dormi durant les six premiers mois de l’année 2011. « Vous rendez-vous compte que nous avons réalisé le premier tirage du premier crédit le 31 mars 2011. Nous avons tenu trois mois tout seul avec une trésorerie plus que tendue. Pour nos deux parcs solaires de 5MW chacun de La Palme dans l’Aude, nous avons eu le premier déblocage du crédit le 15 juin 2011 pour un raccordement le 26 juin 2011. De la pure folie ! » poursuit-il.
Une confiance inébranlable des banques en l’homme
Comment est-ce possible ? Grâce à un fonds de réserve de 10 millions d’euros, une confiance inébranlable des banquiers dans l’homme et enfin une belle abnégation pour convaincre les fournisseurs. « J’ai tout mis sur la table et j’ai expliqué à nos fournisseurs qu’il fallait nous aider avec des délais et des différés de paiement passant de quarante-cinq à soixante jours voire davantage. Nous avons réalisé des acrobaties improbables » plaide-t-il. Heureusement, l’ami banquier de vingt ans s’est battu pour Jean-Marc Bouchet en proposant la moins mauvaise solution de compromis à savoir la réalisation d’un tiers des chantiers et l’acquisition de 100% du matériel avant déblocage des fonds. La banque ne portait plus alors que le risque du montage sur chantier. « C’est dans ces conditions que nous avons construit plus de la moitié de nos trente-une centrales installées en cette année 2011 pour un investissement total de 150 millions d’euros. Pari tenu, pari gagné ! On a relevé le défi et tenu tous les délais. Même si j’ai mal dormi, j’ai pris mon pied. Aujourd’hui, on peut dire que la boîte est sauvée » souffle un Jean-Marc Bouchet enfin détendu.
Des structures pré-montées en atelier et grutées sur chantier
Au cÅ“ur de la tempête, il y avait donc ce chantier d’ombrières géantes, le plus complexe de tous car le plus innovant, le plus démesuré. Le site devait par ailleurs demeurer ouvert pendant le chantier, chantier à réaliser donc tranche par tranche. Heureusement, la société GagnePark (voir encadré) s’est mise au diapason du challenge à relever, avec technicité et application. L’idée était de monter le maximum de structures le plus en amont possible au sein de l’usine du Puy en Velay en Auvergne. « Nous avons préparé en atelier des grands champs solaires modulaires de 15 x 3,20 mètres de trente-six panneaux chacun. Nous les avons transportés par camions hors gabarit jusqu’au site avant de les monter par grutage in situ. Cela nous a permis de travailler en toute sécurité avec des ouvriers bien installés dans des nacelles et pas en équilibre en hauteur » affirme Guillaume Déjean, directeur général de Gagnepark. Le chantier n’a connu qu’une seule journée d’intempéries. La chance a donc été bienveillante sous l’égide d’un Hélios compatissant. Rayon de soleil bienvenu dans la turpide des tourments administratifs et financiers qui ont émaillé le projet ! Côté fixation des structures au sol, l’enrobé n’a pas été repris. « Pour maintenir cette belle voilure dont certaines hauteurs culminent à neuf mètres avec des porte-à -faux qui vont jusqu’à douze mètres, il a fallu planter des pieux de 460 mm à plus de six mètres sous terre. Dans la région, la tramontane et la neige ne permettent aucune approximation. Les critères de résistance sont drastiques » admet Guirec Dufour, l’un des ingénieurs en charge du projet.
L’autoroute du soleil
Sur l’installation en elle-même que dire ? Les modules UP Solar sont d’origine chinoise. Ils sont au nombre de 23 760 étendus sur 30 300 m². Ils permettront de produire la bagatelle de 5512 MWh/an soit l’équivalent de la consommation domestique de 3445 habitants, chiffre qui correspond aux âmes qui peuplent la commune de Vendres qui accueille ce Truck Etape. En termes de CO2, la centrale permettra d’économisez le rejet de 2756 tonnes équivalent CO2 chaque année. Une véritable valeur ajoutée environnementale ! Seul petit bémol, la proximité d’une carrière qui envoie quelques poussières au gré du vent sur les panneaux. Le nettoyage trop aléatoire n’a pas été prévu. Il coûterait jusqu’à 10 000 euros la séance. Un peu cher ! Les poussières seront donc balayées par la pluie aidée en cela par l’inclinaison substantielle des ombrières. La perte a été estimée autour de 1 à 1,5%. Pas de quoi se passer d’un équipement écologique plébiscité de toute part pour lequel l’A9 prend des airs d’A6. Vous savez l’autoroute du soleil !
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