Personnage incontournable du monde des énergies renouvelables en France, Jean-Louis Bal vient d’être réélu le 24 octobre dernier pour trois ans à la direction du SER. Il vient également d’être nommé par Jean-Yves Le Drian, nouveau fédérateur à l’export pour les énergies renouvelables. Deux actualités fortes qui nous invitent à faire un focus, avec Jean-Louis Bal, sur l’état des lieux du solaire en France !  Â
Plein Soleil : Quelle sera votre feuille de route en ce qui concerne l’énergie solaire, PV et thermique, pour ces trois années à venir ? Quels sont les objectifs solaires à atteindre dans la lutte contre les changements climatiques ?
Jean-Louis Bal : En ce qui concerne l’énergie solaire, la feuille de route du SER est de confirmer les objectifs de la PPE encore à venir et d’accompagner l’accélération de la filière, pour l’électricité comme pour la chaleur, afin que la France s’inscrive enfin dans la dynamique mondiale. Nous avions milité lors des travaux de révision de la PPE pour que l’énergie photovoltaïque atteigne un parc de 42 GW en France en 2028. Le Gouvernement semble nous avoir entendus mais cela doit encore être confirmé. De plus, il ne faut pas perdre de vue que nos voisins allemands sont déjà à plus de 48 GW aujourd’hui : nous avons plus de 10 ans de retard !
Ensuite il faut garder à l’esprit les enjeux de l’énergie solaire : l’énergie photovoltaïque permet de diversifier le mix électrique de la France Continentale sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre, voire en les diminuant. Selon RTE, le développement récent des EnR, solaire et éolien, a permis de fermer 13 GW de centrales fonctionnant aux énergies fossiles et doit jouer un rôle important afin de maintenir un mix électrique décarboné et de contribuer à la diversification de notre mix électrique. Pour ce faire, l’énergie photovoltaïque est l’une des énergies renouvelables les plus compétitives et jouera nécessairement un rôle de premier plan ces prochaines années en France comme elle le fait déjà dans le Monde depuis plusieurs années. Nous travaillerons sur différents axes afin de faciliter le développement du solaire photovoltaïque, et notamment sur le cadre économique en proposant une réforme de l’IFER pour le PV ainsi qu’un ajustement à la hausse du seuil en dessous duquel les projets peuvent bénéficier du guichet ouvert.
Dans les territoires ultramarins, le photovoltaïque doit permettre, outre de décarboner le mix électrique, d’abaisser le coût de production global de l’électricité. En Martinique ou à Mayotte par exemple, ce mix repose à plus de 90% sur les énergies fossiles ! Pour que « l’Accord de Paris » prenne tout son sens, la France doit être exemplaire et aller au bout de sa démarche : les territoires ultramarins devront viser l’autonomie énergétique à 2030 inscrite dans la loi relative à la Transition énergétique pour la croissance verte, ce qui implique que les prochaines révisions des PPE soient ambitieuses dans ces territoires. Et dans cette optique, l’énergie photovoltaïque, dont les coûts ont fortement décru comme ceux du stockage, est une pierre angulaire de la transition énergétique outre-mer.
PS : Quid de la chaleur solaire ?
JLB : En matière de lutte contre le changement climatique, la chaleur solaire doit retrouver ses lettres de noblesse dans le secteur résidentiel, avec une réglementation énergétique ambitieuse. Quant à la chaleur solaire industrielle, celle-ci émerge, avec des acteurs motivés, et les mécanismes de soutien mis en œuvre par l’ADEME commencent à porter leurs fruits. Nous poursuivons le dialogue avec l’ADEME pour parfaire ces mécanismes.
« Il y a de la place pour tout le monde »
 PS : Nous assistons depuis quelques mois à un mouvement de consolidation et de concentration du secteur des développeurs avec notamment le rachat de PME françaises du PV par des grands groupes énergéticiens. Quel est votre sentiment sur le sujet ?
JLB : L’énergie solaire reste une énergie diffuse et bien répartie, accessible à tous, professionnels comme particuliers. Elle a également plusieurs facettes, avec de grands projets très capitalistiques, mais aussi des projets sur tout type de toiture, des hangars industriels aux maisons individuelles. En partant de ce constat, on doit réfléchir par segment de marché. Concernant les projets au sol qui représenteront une part importante des objectifs de développement, il est normal que les entreprises cherchent à accroître leur capacité à mobiliser des capitaux.
Mais les entreprises de taille intermédiaire et de petite taille ont toujours une carte à jouer et ne disparaîtront pas, selon moi, du paysage photovoltaïque français pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que l’accélération attendue de la filière est telle qu’il y a de la place pour tout le monde. Ensuite, parce que si les grandes entreprises jugent moins prioritaires les projets en toiture au-dessous d’un certain seuil, nous en aurons également besoin pour atteindre les objectifs fixés par la PPE. J’observe, par ailleurs, que la créativité de notre secteur est loin de s’éteindre et que de nouvelles entreprises apparaissent régulièrement.
PS : Comment se porte aujourd’hui la filière industrielle française du PV ?  Quel est l’état des lieux des troupes, de Sillia, Voltec, Photowatt, Reden Solar en passant par Akuo avec ses tuiles ou Armor avec son film organique ? Combien d’emplois la filière industrielle pèse-t-elle ?
JLB : Certaines tirent leur épingle du jeu dans les appels d’offres classiques, d’autres se développent sur des segments beaucoup plus ciblés, et d’autres sont en phase de développement industriel. A mon sens, cet état des lieux prouve la diversité et la capacité d’innovation des industriels français du photovoltaïque qu’il nous faut continuer à encourager. Je constate également en lisant les analyses de la CRE que le critère du bilan carbone a un effet positif sur les industriels français. Nous ne devons pas abandonner l’objectif de poursuivre et renforcer la structuration d’une filière industrielle sur notre territoire. Même si la filière industrielle française ne représente encore qu’un millier d’emplois, le contexte et les spécificités des entreprises françaises devraient favoriser sa croissance. Je rappelle que la filière, dans son ensemble, représente près de 8 000 emplois.
PS : Un industriel chinois vient également d’entrer au capital de SunPower. Qu’est-ce que cela vous inspire ?Â
JLB : Que la France et, plus largement, l’Europe, puisqu’il s’agit d’un seul et même marché, devraient s’inspirer de la volonté d’autres zones du monde de jouer un rôle majeur sur l’échiquier mondial de l’énergie photovoltaïque et être plus offensives, en particulier en matière d’industrie.
« C’est le moment d’investir »
PS : Lors d’EU PVSEC à Marseille, Florence Lambert a évoqué « de vraies ruptures techno sur le plan des rendements du solaire photovoltaïque dans le monde avec des avancées qui pourraient redistribuer les cartes de l’industrie PV mondiale ». La France est-elle mesure de se positionner pour renforcer son industrie PV ?  Â
JLB : La France dispose de nombreux atouts et le contexte actuel est en réalité très favorable. Tout d’abord, la recherche en France est très dynamique, avec plusieurs instituts de référence mondiale pour le photovoltaïque, l’INES, l’IPVF et le CNRS, qui peuvent ensuite permettre aux industries d’innover.
Ensuite, la France est en train d’organiser un marché qui atteindra après 2023 entre 3 et 4 GW par an et ce sur plusieurs années. Le marché européen devrait également s’amplifier et croître de 15 à 20 GW annuels. Cela positionne notre pays parmi les plus ambitieux aujourd’hui en Europe. L’industrie dispose donc d’une visibilité pour se développer, ce que doit confirmer la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie. De plus, nous sommes dans un contexte économique extrêmement favorable, les taux d’intérêt sont au plus bas et les investisseurs doivent trouver des opportunités attractives. C’est le moment d’investir et quoi de mieux pour cela qu’un marché avec une perspective de croissance aussi belle ?
Enfin, l’Europe prend également conscience, petit à petit, comme le montre l’étude de faisabilité en cours sur un ecolabel européen pour le PV, que le prix ne fait pas tout. Nous espérons dans cette optique que le bilan carbone français fera des émules chez nos voisins. Il ne faut pas s’engager dans une course au moins-disant perdue d’avance, il faut viser le mieux-disant… tout en restant tout de même compétitif ! Et dans cette veine, l’industrie française peut à la fois faire valoir son expérience en matière de production de modules bas carbone, mais également miser sur son mix électrique peu carboné.
PS : La transition énergétique, c’est aussi la transition numérique et digitale. Vu du Syndicat, où se situent les acteurs français en la matière entre smart grid et blockchain ?Â
JLB : Les entreprises françaises sont déjà actives sur ces sujets. L’offre française en matière de réseaux intelligents est déjà bien structurée, des solutions sont étudiées par les gestionnaires de réseau pour des offres de raccordement intelligentes. Les solutions de demain sont donc déjà à portée de main et il n’y a pas de doute pour que les acteurs français soient en pointe sur le digital.
Ceci étant, les smart grids et la blockchain sont des moyens, pas des objectifs en soi et, surtout, ils émergeront sur la base d’un marché significatif. Pour voir se développer davantage les acteurs français, il faut créer les conditions de leur émergence… Sur l’autoconsommation collective par exemple, la France est restée au milieu du gué en limitant de manière excessive son périmètre à la basse tension.
« Un marché à l’export de plus de 300 milliards de dollars »
PS : En tant que nouveau fédérateur à l’export pour les énergies renouvelables – vous venez d’être nommé par Jean-Yves Le Drian, quelle va être votre mission ? Quel est le potentiel des acteurs français à l’International ?
JLB : Le SER a initié dès 2013 une action de promotion des entreprises françaises des EnR sur la scène internationale qui s’est traduite par de nombreuses missions collectives dans des pays comme la Tunisie, la Zambie, l’Île Maurice ou l’Indonésie, par des partenariats avec l’IRENA ou l’Alliance Solaire Internationale avec le portage de la contrepartie privée de l’Alliance. Sur la structuration de la filière française à l’export, le SER a initié, avec les partenaires institutionnels français, la création de Clubs Energies Renouvelables sur les zones Afrique de l’Est-Océan Indien, Moyen-Orient et Indonésie. Sur le volet « Accès à l’énergie », qui représente un marché à très fort potentiel pour nos entreprises, nous avons lancé en partenariat avec l’ADEME un Groupe de Travail national pluri-acteurs (secteur privé, ONG, bailleurs de fonds, institutionnels, régions) qui a pour objectif de créer l’équipe de France sur cette thématique, vitale pour l’Afrique. Le travail d’identification de l’offre française menée dans le cadre de ce GT viendra compléter la cartographie lancée lors du One Planet Summit de 2017 qui recense les réalisations françaises à l’international : https://www.savoirfairefrancais-enr.fr/
La France regorge de pépites dans les énergies renouvelables qui ont fondé leur croissance sur l’Export, un marché pesant plus de 300 milliards de dollars. La qualité des projets, leur caractère innovant et l’approche holistique, incluant des axes comme le renforcement de capacité, les volets sociaux et environnementaux, le contenu local, sont autant d’éléments différenciant par rapport à la concurrence. Nous avons néanmoins besoin de faire connaître ces atouts et d’appréhender les marchés ensemble, institutionnels, bailleurs, secteur privé. Cette nomination de Fédérateur des énergies renouvelables par le ministre, Jean-Yves Le Drian, n’est pas seulement un honneur, elle conforte le SER dans son action internationale. Je remettrai, dans les prochains mois, au ministre une feuille de route visant à préciser les objectifs sectoriels et géographiques. Je pense en particulier à l’Afrique dont « l’avenir est dans les énergies renouvelables » selon le Président de la Banque Africaine de Développement, Akinwumi Adesina. Mon action de fédérateur devra s’inscrire dans le cadre de l’Alliance Solaire Internationale (ISA), de l’Initiative Africaine pour les EnR (AREI) et du plan de la BAD « Desert to Power ». Elle devra s’articuler avec le volet Export du CSF Nouveaux Systèmes énergétiques pour démultiplier les actions et non les doublonner.