Interview/Yann Laurent -Recom Solar : « Le temps d’une relocalisation de la production industrielle européenne du PV est venue »

Après un lourd investissement et la mise en service d’une nouvelle ligne de production en décembre 2019, l’usine d’encapsulation de panneaux solaires PV Recom-Sillia de Lannion est une des plus grandes et des plus modernes d’Europe. Entièrement automatisée, elle est capable de produire jusque 350 MWc de modules par an, avec un tact de ligne de 28 secondes. 8 points de contrôles jalonnent la chaîne, et garantissent une fiabilité exceptionnelle des produits pendant 25 ans. Elle emploie en ce moment 41 salariés. Un nombre qui devrait passer à 70 fin 2021. On fait le point avec son directeur du développement : Yann Laurent !

Plein Soleil : A l’heure où la relocalisation d’un pan d’industrie solaire en Europe fait débat, qu’est-ce qui pousse justement Recom-Sillia à investir en France où vous allez devenir leader ?

Yann Laurent : La France a encore été élue récemment la nation Européenne la plus attractive pour les investisseurs. C’est un pays formidable avec des exceptions culturelles bien connues, comme le fromage, et les grands crus, et aussi, et on le sait moins, son savoir-faire en matière d’industrie photovoltaïque, la France est une pionnière historique, et ses grands énergéticiens sont des leaders mondiaux. Nous souhaitions nous inscrire dans cet environnement. Le marché photovoltaïque français est très exigeant. Les contraintes des appels d’offres, notamment sur les bilans carbones de modules sont uniques au monde. Nous nous sommes engagés sur les voies d’une production photovoltaïque de haute qualité environnementale, l’usine est certifiée ISO14001, nous sélectionnons soigneusement nos composants. Nous avons acquis, avec nos partenaires, un savoir-faire mondialement reconnu. Recom est devenu tier 1 (voir encadré) ces derniers mois, et l’usine de Lannion est un jalon important qui a permis d’accéder à ce titre. Choisir la France n’a pas été anodin, nous possédons et construisons d’autres sites de productions dans le monde, mais c’est en France que nous avons domicilié le siège de Recom Solar.

Une capacité technique de plus de 1GW

PS : Quelle sera votre capacité de production de modules en France ?

YL : L’usine de Lannion a une capacité de production de 300 à 350 MWc, les dernières générations de cellules ont des rendements qui vont jusqu’à 24%, nous comptons augmenter progressivement notre production, de 100 MWc en 2020, à 200MWc en 2021, et à terme, atteindre les pleines capacités de l’usine.

 

PS : Qu’en est-il au niveau global européen ? Où sont vos autres sites de production ? Quid de votre projet de 700 MW en Arménie ?

 

YL : RECOM compte sur des partenariats historiques en Asie, cela également pour le développement de produits et la future génération de modules. RECOM a fait l’acquisition d’une capacité technique de plus que 1GW. L’implantation de cette capacité est en étude, dont 700MW en Arménie. Le monde photovoltaïque change rapidement et dépend toujours des décisions politiques qui peuvent avantager le développement des usines dans des pays qui sont capable de créer un climat favorable pour les producteurs des panneaux et non seulement pour des installateurs et exploitants des projets.

 

Le potentiel énorme des emplois induits 

 

PS : Votre augmentation de capacité sera synonyme de création d’emplois. Combien pensez-vous créer d’emplois nouveaux sur Lannion ?

YL : Nous sommes une quarantaine de salariés à Lannion. Nous espérons pouvoir créer 30 emplois supplémentaires d’ici fin 2021. Outre les emplois en interne au groupe, cette production est un moteur de création d’emploi significatif,  dans l’ingénierie, l’électricité, le bâtiment, la logistique, l’urbanisme. Pour citer un petit exemple, nous avons analysé l’impact du lancement d’une offre essentiellement résidentielle, avec pour but d’équiper 10 000 foyers, pour un coût à 12 c€/kWh, soit 30% à 40% moins cher que ce coûte l’électricité venue du réseau. Pour des systèmes de 3 kWc, il faut généralement deux installateurs qui posent de tels systèmes en 1 journée, 10 000 toitures, représentent 20 000 journées travaillées, soit sur un an,  160 installateurs à taux plein, 270 commerciaux,  100 ingénieurs, 20 logisticiens, 100 délégués à l’urbanisme…10 000 kit représentent à peine 10% de notre capacité annuelle, mais c’est déjà prêt de 650 emplois, la France prévoit dans la PPE une accélération avec prêt de 2 à 3GWc/an, c’est dix fois les capacités de l’usine, et c’est environ 70 000 à 100 000 emplois à venir.

 

PS : Prioriserez-vous les AO CRE ou le marché du résidentiel ?

YL : Nous sommes évidemment concernés par les deux marchés, les critères des appels d’offres CRE ont évolué, et les contraintes de bilans carbones, ont malheureusement vu leurs valeurs baisser de 30 à 18%, favorisant donc la production asiatique à bas coût, nous n’avons pas eu d’autres choix, dans ces conditions d’introduire dernièrement une gamme asiatique avec certifications bas carbones, de 550 à 600 kg eq CO², avec des prix très agressifs, et avec lesquels nous comptons conquérir une part de marché significative aux appels d’offres CRE. Cependant, notre gamme Française est entre 450 et 500kg eq CO². Nous sommes donc en mesure d’adresser l’ensemble des acteurs, et nous pensons qu’à terme, même si le coût est sensiblement plus élevé, le bénéfice environnemental et une qualité de produit français l’emportera. Nous déplorons l’impact de ce changement de notation, il ne reste plus que les AO ombrières photovoltaïques où les notes concernant les bilans carbones restent à 30%. Mais nous espérons que la CRE et les Ministères concernés changeront de point de vue, et tireront la filière vers l’excellence et la création d’emplois en France, plutôt que privilégier une baisse continue des coûts, ce qui sous-entend une provenance des modules incertaines, et des méthodes de production et de qualités approximatives.

 

Des offres réservées au résidentiel et aux coopératives lancées le 21 juin

 

PS : Et plus précisément sur le résidentiel ?

YL : Concernant le secteur résidentiel, c’est un secteur vers lequel nous nous tournons, en effet, si la parité réseau ne fait plus débat, car elle est acquise du coté des énergéticiens, nous pensons qu’il est temps d’adresser un message fort, et aux coopératives citoyennes, et aux simples citoyens, car, il est largement possible d’atténuer les charges énergétiques d’un foyer avec du solaire photovoltaïque, et une production locale. C’est un levier puissant, tant en terme social, en protégeant les citoyens des hausses des prix de l’énergie et de la précarité énergétique. Nous lancerons, le 21 juin, plusieurs offres exclusivement réservées aux particuliers, et aux coopératives, avec une gamme de kit de 1 à 9 kWc.

PS : Parlez nous un peu de vos nouveaux produits. Qu’est-ce qui caractérise le mieux, selon vous, les produits Recom-Sillia ?

YL : La qualité de notre production est reconnue depuis plusieurs années, par l’ensemble de la profession. Nos modules ont été élus en 2018 à Intersolar, les meilleurs d’Europe. L’une des caractéristiques majeures est aussi la haute qualité environnementale de notre production. Nos modules ont les bilans carbones les plus bas du marché et ceci par le fait de notre sélection des composants et des performances de notre chaine de fabrication.

Les évolutions technologiques continuent à un rythme soutenu. Nous venons de lancer un module tri-cut, dont le rendement est de 24%, avec des coefficients de températures significativement plus performants. L’hétérojonction reste, bien sûr, dans notre plan de développement, et nous prévoyons une progressive introduction de cette technologie d’ici 2022. C’est très prometteur en termes de rendement et d’efficacité énergétique. Nous devons encore travailler sur les coûts et mettons beaucoup d’espoir dans un changement d’échelle des industriels de ce secteur.

 

PS : Comment vous positionnez-vous sur le bilan carbone notamment sur la problématique du sourcing des cellules ?

YL : Concernant les bilans carbones, nous avons acquis une rare et véritable expertise sur le sujet ces dernières années. Il y’a encore relativement peu de fabricants de wafers en Europe, mais nous nous appuyons sur ce réseau pour la production à plus haute exigence de qualité environnementale. Il nous semble évident que, passé la frontière de la parité réseau, et la course au rendement, les bilans carbones et ACV (Analyses du Cycle de Vie) sont des facteurs déterminants, notamment sur le marché Français ou l’électricité est largement décarbonnée. Il faut nécessairement que nous nous orientions vers une production de plus en plus vertueuse pour l’environnement. Encore une fois, cette tendance ne pourra se confirmer que par le biais d’une politique claire, en faveur de ces choix environnementaux, et les mécanismes de taxes carbones, nous semble une bonne piste pour valoriser les productions européenne. Il est urgent de mettre en place ces mécanismes contraignants, avec des niveaux de prix de taxe carbone significativement plus élevée pour rendre les solutions les plus vertueuses, les plus compétitives et permettre une réindustrialisation.

Vous savez, en 2007 un module européen coûtait environ 4,20 €/Wc tandis qu’un Asiatique un peu moins de 2,90 €/Wc. Dans les années 2010, nous étions à 1,80 € et les Asiatiques passaient à moins de 1€. Aujourd’hui la production européenne passe sous la barre des 0,30c€/Wc, tandis que l’asiatique tend vers les 0,23c€/Wc. Nous ne sommes plus qu’à 7 ou 8c€. Et la tendance se poursuit, ce qui incontestablement le signe que le temps d’une relocalisation de la production industrielle Européenne est venue.

 

Des modules toujours plus durables

 

PS : Question garanties produits ?

YL : Nos modules sont garantis 25 ans, avec une dégradation linéaire de 0,63% maximum par an. Ils bénéficient d’une assurance produit de 15 ans. Les nouvelles générations de modules sont beaucoup plus durables que ce qu’il se faisait il y a quelques années encore. Le PID, vieillissement prématuré des cellules, les micro-cracks, impuretés du silicium, et autres défauts sont des sujets où la R&D a apporté des solutions concrètes et efficaces ces dernières années. 0 Nous envisageons même prochainement de pousser nos garanties de 25 à  30 ans.

PS : Comment voyez-vous le marché solaire après la pause imposée de la crise sanitaire ? Le solaire a-t-il selon vous un rôle à jouer ?

YL : Le marché solaire n’a pas été impacté uniformément. Si les producteurs d’énergies ont été peu touchés par le Covid19 grâce aux mécanismes d’obligations d’achat, les développeurs l’ont été un peu plus, du fait du ralentissement du traitement des services d’urbanismes, qui ont gelé l’avancement de certains dossiers durant cette période. Des projets ont également été impactés au stade de la construction et ont pris du retard, dues aux restrictions de déplacement des équipes de poses, en termes d’approvisionnement de composants. Il y a eu certaines difficultés et retards, mais les choses semblent rentrer dans l’ordre. Dans tous les cas, le solaire photovoltaïque à un rôle très important pour l’avenir, l’IEA et de nombreuses agences gouvernementales ne cessent de le répéter, et l’industrie solaire, d’années en années, progresse à un rythme incroyable, défiant les prévisions des meilleurs experts. S’il est clair que le solaire à lui tout seul, ne répondra pas à l’ensemble des problèmes auxquels nous sommes confrontés, le changement climatique, la raréfaction des richesses, et le déclin de la production pétrolière, il reste un élément central, fondamental et incontournable qui adresse à ces questions des réponses pertinentes. Nous pouvons désormais produire de l’énergie localement, en masse, avec des technologies matures, sûres, fiables, et impactant peu l’environnement. La France est un des pays les plus conservateurs et résistant au changement dans le secteur énergétique. Mais la PPE, entérinée durant la période de confinement, est historique d’un point de vue des objectifs, et nous souhaitons devenir les moteurs de cette transition grâce à l’excellence de notre outil industriel Français.

 

Encadré

Définition de tier 1

Le tier 1 est une expression utilisée dans le secteur bancaire et financier faisant référence à une catégorie de fonds propres. Le tier 1 est constitué par les capitaux les plus stables et les plus solides détenus par les établissements financiers. La notion de tier 1 provient des accords de Bâle I. Le tier I doit d’ailleurs contenir au moins 4% du total des actifs selon les préconisations de Bâle I, même si de nombreux établissements financiers disposent d’un tier I plus important. Le tier I englobe généralement le capital social, ainsi que les résultats mis en réserve.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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