Ancien président de l’Ademe et actuel conseiller aux négociations sur le climat avec les pays africains, Pierre Radanne est un expert du développement des énergies renouvelables dans le monde. Il analyse pour Plein Soleil la fulgurante percée planétaire du solaire photovoltaïque. Sur fond de lutte contre le réchauffement climatique portée par la COP 21 et la future COP 22 de Marrakech !
Plein soleil : L’énergie solaire connaît une croissance mondiale exponentielle. Quelles sont selon vous les raisons objectives de cette progression ?
Piere Radanne : J’en vois trois qui sont de nature différente et qui agissent de façons simultanées. Une filière nouvelle comme le photovoltaïque, dont l’effet a été découvert au 19ème siècle, nécessite un temps long de maturation industrielle. Il ne faut pas sous-estimer cette temporalité. Dans les années 1970, après le choc pétrolier, il a connu un embryon de maturité industrielle dans un marché encore limité. Dans les années 2000, tiré par les Allemands et aujourd’hui par les Chinois, le photovoltaïque a pleinement atteint sa maturité industrielle avec pour conséquence une énorme baisse des prix. Voilà la première raison de son attractivité.
PS : Quelles sont les deux autres ?
PR : La deuxième me semble de bon sens. Le solaire photovoltaïque est une filière de production électrique qui n’a pas d’opposant. A part quelques ABF mal lunés, tout le monde aime le photovoltaïque. Il s’agit là d’un facteur non négligeable qui facilite les décisions d’investissement d’un point de vue politique, s’entend. Le troisième facteur relève de l’énorme inquiétude du changement climatique lié au désamour grandissant quant aux combustibles fossiles. L’effet COP 21 de Paris 21 n’aurait d’ailleurs pas eu un tel retentissement mondial si le solaire photovoltaïque n’en était pas à ce point de maturité.
Le solaire est sur l’étagère
PS : Que voulez-vous dire par là ?
PR : En 1973 lors du choc pétrolier, lorsque les pays ont voulu rompre leur dépendance au pétrole qui avait atteint un prix fou, ils se sont tournés vers l’énergie qui était disponible et pour beaucoup de pays industrialisés et notamment la France, cela a été le nucléaire. Certains ont déchanté depuis. Aujourd’hui, le réchauffement climatique pose la question de la sortie des combustibles fossiles. Et bien le solaire est sur l’étagère, prêt à l’emploi. C’est vers lui que l’on se tourne. On en installe 40 GW par an soit l’équivalent de près de trente réacteurs nucléaires. Le solaire a désormais largement dépassé le nucléaire pour ce qui est des capacités de mise en service annuelles. Il est devenu une vraie filière industrielle. Vous savez, j’aime bien citer cette phrase du Cheikh Yamani, ancien ministre saoudien du pétrole. Il disait que l’on n’avait pas quitté l’âge de pierre par pénurie de silex. Aujourd’hui, c’est la maturité des alternatives renouvelables qui va nous permettre un changement du système actuel basé sur les fossiles. L’ancien ne meurt pas si rien de nouveau ne naît.
PS : Quelles peuvent être les limites de cette mutation ?
PR : Si ce mouvement vers le solaire n’a concerné que les pays industrialisés dans les années 70-80, aujourd’hui le décollage est mondial. C’est parti. Nous connaissons par exemple un boom des renouvelables en Afrique. Grâce à ses ressources, le continent a de quoi satisfaire tous ses besoins énergétiques avec les EnR décentralisées et ceci sans passer par l’étape centrales et combustibles fossiles. Vous savez en Afrique, on dénombre deux fois plus de téléphones portables que de gens raccordés au réseau. Nombreux sont ceux qui vont recharger leurs portables chez leur voisin. Les besoins d’électricité sont énormes. Mais attention, rien n’est simple. L’effondrement du prix des combustibles fossiles, alors que nous étions nombreux à spéculer sur une augmentation soutenue, a rebattu les cartes. A tel point que le président du Sénégal, Macky Sall, a évoqué dernièrement la construction d’une centrale à charbon pour son pays autour de vives discussions.
Le développement du solaire demeure lié à sa compétitivité
PS : Mais pourtant l’énergie solaire est aujourd’hui compétitive dans ce pays?
PR : C’est à la fois vrai et faux. C’est vrai, car une fois construit, le solaire, avec ses faibles coûts de fonctionnement, est compétitif dans la durée. Mais il faut payer l’investissement de départ. Et là le solaire est cher. Macky Sall dit d’ailleurs qu’il veut bien installer du solaire si on lui paie la différence de coût avec une centrale à charbon. Le débat est posé. C’est la question du transfert des 100 milliards de dollars vers les pays en voie de développement pour lutter contre le changement climatique. La question du développement du solaire demeure liée à la question de sa compétitivité.
PS : La question se pose-t-elle aussi en Europe qui après avoir été moteur se retrouve à la traîne ?
PR : C’est aussi vrai en Europe avec l’arrêt des tarifs d’achat sous la pression de la commission européenne très marquée par le principe de la concurrence. Ici aussi, il va falloir démontrer de façon claire que le kWh PV devient moins cher que les autres kWh dans un contexte de surcapacité électrique. Le solaire ne fera sa place que par sa propre compétitivité. Pour le nucléaire, c’est plié.
Emissions négatives en 2050
PS : Que pensez-vous de l’évolution vers plus d’autoconsommation solaire ?
PR : Cette évolution me semble relever de l’évidence. Elle va permettre d’alléger les réseaux et donc la charge collective en évitant la construction de capacité de transport supplémentaire. Il sera également possible d’alimenter ses voisins au sein des smart grids et des smart cities. Toutes les technologies digitales qui permettent un pilotage fin des EnR, par essence fluctuantes, participeront à l’élaboration d’un système électrique stable. On connaît d’ailleurs les grands contours du système du futur. Pour assurer la continuité de la fourniture au-delà des aléas, il va se développer des bouclages via un gaz de plus en plus renouvelable issu de la fermentation des déchets. C’est la méthanation ou le Power to gas. Pendant les périodes d’excès de production solaire, il sera possible par électrolyse de produire du méthane à partir du dihydrogène et du CO2. C’est la réaction de Paul Sabatier. Stockable, le méthane produit sera en capacité d’équilibrer le réseau.
PS : De quoi rendre réaliste le scénario 100% renouvelable en 2050 porté par l’Ademe ?
PR : Peut-être pas en 2050 mais quelques années plus tard sûrement. Vous savez pour le GIEC, dans l’esprit de la COP21, c’est zéro fossile après 2050. L’humanité devra produire moins de CO2 que ce que la nature en produit, histoire de purger notre atmosphère et enfin faire baisser les températures. Dans cette logique d’émissions négatives prônées par le GIEC, le solaire aura toute sa part.