Ancien d’Alcatel et de SMA, Pascal Richard, président de CARBON, a l’industrie chevillée au corps depuis une vingtaine d’année. Rien d’étonnant donc de le voir initier un projet industriel d’envergure européenne au sein de la filière photovoltaïque dont il est un acteur majeur depuis quinze ans. CARBON, c’est le nom du projet qu’il porte, a pour ambition de créer en France une gigafactory intégrée verticalement – wafers, cellules, modules – de 15 GW, voire plus, en 2030. Un sacré défi à 1,5 milliards d’euros d’investissement pour la première usine de 5GW mise en service en 2025 et qui demande beaucoup d’humilité. Le point avec son initiateur !
Plein Soleil : Quelle est la genèse de ce projet de gigafactory ?
Pascal Richard : A la demande de la Région Rhône-Alpes, j’ai effectué une analyse qui a commencé il y a 1 an et demie sur la situation de PhotoWatt. J’ai rencontré de nombreuses personnes de la filière photovoltaïque avec lesquelles j’ai pu partager mon expertise. Il en ressort que lancer un projet photovoltaïque en Europe aujourd’hui requiert une véritable culture industrielle mais aussi une démarche entrepreneuriale centrée autour des débouchés commerciaux. Que veulent les clients ? Ils désirent des capacités via des effets d’échelle. C’est ce qui a guidé notre approche avec CARBON autour d’un mantra : répondre aux attentes du marché dans la bonne temporalité autour des bonnes dynamiques d’innovations. Loin de toute rupture avec les technologies asiatiques existantes.
Diffuser massivement l’énergie solaire en Europe et dans le monde
PS : L’idée n’est-elle pas de s’affranchir tout de même au plus vite de la dépendance aux acteurs asiatiques ?
PR : Je suis à Bruxelles en ce moment pour le développement de CARBON. Un mot revient souvent dans les couloirs du Parlement ou de la Commission : naïf. L’Europe ne veut plus être naïve. Notre industrie ne doit pas être inflexible, elle ne doit pas se priver des talents de chacun. Même au sein du projet CARBON et au-delà de nos partenariats avec des entreprises et des instituts européens, de nombreux équipements et matériaux viendront encore de Chine. Il faut accepter cette contradiction. Il faudra toujours s’approvisionner en verre, machine-outil ou silice. Nous subissons et subirons encore quelques temps une énorme dépendance avec la Chine. Récupérer nos savoir-faire prendra de longues années, qui plus est, dans un contexte critique. Il faut avoir l’humilité de savoir coopérer avec les compétences autour de nous.
PSÂ : Quelles sont les forces vives qui participent au projet CARBONÂ ?
PR : J’ai fondé CARBON avec Pierre-Emmanuel Martin. Nous sommes tous les deux actionnaires et j’en suis le président. CARBON est portée par un actionnariat indépendant et une équipe experte mêlant industriels et professionnels de l’énergie solaire photovoltaïque. Un des actionnaires fondateurs est une ETI française indépendant spécialisée dans la métallurgie qui compte une trentaine d’usine en France et en Europe et qui œuvre dans les secteurs de l’énergie, de la défense et de l’aéronautique. CARBON est un projet européen franco-centré. Dans un contexte de vives tensions sur les marchés de l’énergie, nous entendons apporter une source d’électricité propre, compétitive, accessible à tous et produite en France. Nous voulons accroître le potentiel d’innovation et de production en France pour diffuser massivement l’énergie solaire en Europe et dans le monde. Pour cela, nous voulons être le premier choix pour nos clients. Nous sommes convaincus que CARBON a le potentiel de changer la donne pour le photovoltaïque en France et en Europe notamment sur l’axe méditerranéen autour d’enjeux stratégiques et géopolitiques majeurs.
Traiter l’ensemble de la chaîne pour maîtriser les coûts
PSÂ : Que comprend exactement le projet CARBONÂ ?
PR : Il s’agit d’un projet intégré qui comporte trois corps de métiers différents qui vont du traitement chimique des lingots, wafers et cellules jusqu’à l’assemblage des modules. Il est indispensable de traiter l’ensemble de la chaîne pour nous permettre de maîtriser les coûts au plus près. Nous allons travailler en amont avec le chimiste allemand Wacker pour le silicium jusqu’à l’aval avec les développeurs, les intégrateurs et les EPC. Nous réfléchissons également à de probables acquisitions pour accélérer encore le déploiement de CARBON.
PS : Quid du volet financier ?
PR : Trois axes se dessinent. Nous pourrions, par exemple, nouer des partenariats stratégiques avec des industriels du verre ou de l’aluminium qui seraient susceptibles d’entrer au capital. Nous allons ensuite bien sûr solliciter des financements institutionnels, une approche primordiale dans le soutien à la négociation au vu des sommes assez colossales concernées. CARBON est un projet à 1,5 milliard d’euros d’investissement, du cash burn, pour un CA qui devrait être quasi équivalent en 2026. Dans un troisième temps, nous ferons appel à des fonds d’investissements privés qui sont les plus difficiles à convaincre et à faire entrer dans la danse. Nous travaillons d’ailleurs déjà à une première levée de fonds pour la fin de l’année. Nous lancerons alors le recrutement d’un CEO pour structurer le projet à l’heure de sa mise en place opérationnelle à savoir la construction de la première usine. Ce CEO ne sera vraisemblablement pas un spécialiste du secteur, plutôt profil issu de la tech, expert des process financiers. Il devra être en capacité de s’extraire de la technique et de vendre ce projet très ambitieux, contre vents et marées, avec moult obstacles, en évitant les dirimants débats franco-français.
PS : Quelle sera la stratégie commerciale de CARBON ?
PR : L’idée est de négocier nous-mêmes en direct environ les deux tiers de notre capacité de production avec les gros développeurs et industriels et les grosses utilities sur des projets de plus de 10 MW. C’est notre target market. Pour le tiers restant, nous travaillerons avec des assembleurs français et européens puis avec les distributeurs pour irriguer l’ensemble du marché. Nous allons également beaucoup porter nos efforts sur l’innovation avec le BIPV dans le bâtiment, le VIPV pour les véhicules mais aussi sur la recyclabilité et la circularité à l’aval de la filière, des process essentiels qui donneront lieu à des normes différenciantes dans le futur. Nous sommes notamment en contact avec la start-up française Rosi Solar Technologies qui met au point de nouveaux procédés de recyclablité. Nous sommes aussi déjà en veille sur les innovations en agriPV ou sur les nouvelles technologies tandem.
« Le projet CARBON représente une démarche patriote »    Â
 PS : Pourquoi parier sur la technologie TopCon plutôt que sur une techno plus disruptive ?
PR : TopCon est la technologie main stream par excellence, la plus déployée dans le monde, celle utilisée par LONGI, Trina ou JA. C’est une techno bankable avec un excellent back return, de supers retours d’expérience. Cette technologie éprouvée est connue des financeurs et cela facilitera le financement des projets de nos futurs clients. De plus, il s’agit d’une technologie qu’il est possible de faire évoluer dans le temps de façon dynamique sans pour autant changer d’outil industriel. Avec la technologie IBC, les usines et les unités de 5 GW seront mis à jour chaque année avec une parfaite maîtrise des coûts et un prix moyen des produits compétitifs. Aujourd’hui, nos objectifs de 15 GW en 2030 sont volontairement raisonnables. Avec les annonces politiques volontaristes de réindustrialisation du PV en Europe et l’appétence marquée par les clients pour les produits européens, l’objectif pourrait volontiers monter à 25 GW. En tous les cas, notre projet collectif reçoit un bel accueil à chaque fois qu’il est présenté.
PS : Vous lancez ce projet dans une période troublée par la guerre en Ukraine qui soulève de nombreuses questions sur la souveraineté énergétique européenne. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
PR : Cela m’inspire un profond respect pour les entrepreneurs, les ETI, les PME et les grands groupes qui ont le désir d’avancer main dans la main pour créer de la valeur dans la Transition Energétique dans cette période difficile. Le projet CARBON représente une démarche patriote. Patriote dans le sens où l’on concrétise notre volonté de se relever les manches pour se défendre, bouger, construire des choses et vivre la Transition Energétique au présent. C’est l’inverse de la fatalité. Un gage de force, de solidarité et de paix…
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