Le nouveau président du Syndicat des Energies Renouvelables, Jules Nyssen, ne vient pas du monde de l’énergie mais de celui des territoires, des métropoles et surtout des régions. Cet économiste de formation a fait campagne  sur l’enjeu collectif que constitue le développement des EnR dans le pays. Avec succès. Entretien avec un homme de conviction qui porte haut les valeurs de partage et de démocratie !Â
Plein Soleil : Quelles circonstances vous ont-elles conduit à prendre la présidence du Syndicat des Energies Renouvelables ?
Jules Nyssen : Lorsque Jean-Louis Bal a annoncé qu’il ne souhaitait pas se représenter à la présidence, les membres du bureau ont commencé à chercher des noms pour le remplacer. J’ai été contacté dans ce cadre, un peu surpris au départ car je ne viens pas du monde de l’énergie, mais très intéressé car j’étais persuadé depuis longtemps déjà de l’enjeu collectif considérable que constitue le déploiement des EnR dans notre pays. J’ai donc fait campagne auprès des adhérents, et l’Assemblée générale m’a élu avec 75% des voix, ce qui m’oblige !
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« La politique de l’énergie est un enjeu de souveraineté nationale »
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PS : Vous avez travaillé avec l’association des Régions de France. Lorsque l’on évoque les Renouvelables, on parle souvent d’énergies décentralisées et d’énergies des territoires. Que pensez-vous, vous qui avez la double culture EnR/Territoire, de l’idée de transférer la compétence énergie aux Régions ?
JN : Je suis profondément régionaliste. Je vous invite à consulter le livre blanc des Régions publié pendant la présidentielle pour avoir une idée de la place qu’elles devraient prendre dans notre vie démocratique et dans le pilotage de nos politiques publiques. Mais, conformément à l’idée de subsidiarité, je considère qu’il y a des sujets qui doivent rester de la compétence de l’État. La politique de l’énergie en fait partie. C’est un enjeu de souveraineté nationale, qui s’inscrit dans des engagements internationaux. C’est aux parlementaires de décider de nos grandes orientations, et de notre mix énergétique. Ceci n’enlève rien à la dimension territoriale de chaque projet d’EnR. Là où le rôle des régions devrait donc être renforcé, c’est dans l’articulation entre la capacité des communes et des territoires à accueillir les projets, et l’atteinte des objectifs régionalisés de la PPE. Via les comités régionaux de l’énergie, la région pourrait d’une part faire remonter, dans une négociation nationale, la volonté de son territoire sur la nature du mix qu’elle souhaite, puis, une fois les objectifs arrêtés, animer un « parlement régional de l’énergie » pour créer un consensus autour de leur atteinte, c’est-à -dire élaborer une planification régionale stratégique. Si on laisse les régions, comme c’est le cas actuellement, sans compétence définie, d’une certaine manière spectatrices, on se prive de leur capacité d’entraînement, et on se prive d’un moyen démocratique d’atteindre nos objectifs.
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PS : Est-ce une revendication que vous porterez en tant que Président du SER ?
JN : En tant que Président du SER, je porte les orientations définies par le Conseil d’administration dont j’anime les débats. Je crois que ses membres sont tous convaincus du rôle essentiel des élus locaux, des maires bien sûr, mais aussi des élus régionaux en charge de la planification stratégique. Et ils sont tous également convaincus que les objectifs de la prochaine PPE, quels qu’ils soient, ne pourront pas, en matière d’ENR, être atteints sans un minimum de consensus politique. Cela nous conduira à nous positionner sur le rôle institutionnel des régions, mais encore faut-il qu’un chantier s’ouvre à ce sujet.
« Le texte a été adopté à une très large majorité au Sénat »
PS : Quel est votre point de vue sur la loi à venir d’accélération des énergies renouvelables ?
JN : Le principe de cette loi est une bonne chose car il affirme une volonté politique en faveur des EnR qui a pu parfois manquer à leur développement, et je remercie la ministre Agnès Pannier-Runacher pour son engagement sur le sujet. C’est une loi technique, cependant, et qui doit le rester, car les objectifs politiques en matière de mix énergétique découleront de la PPE. Mais il est essentiel que, d’ici là , les principaux verrous de notre organisation administrative et réglementaire puissent être allégés. Nous avons noté avec intérêt que le texte a été adopté à une très large majorité au Sénat (320 voix pour, 5 contre) et nous espérons qu’il fera l’objet d’un consensus à l’Assemblée, puis lors de la commission mixte paritaire. Le compromis qui en découlera ne sera pas idéal, mais il aura le mérite d’améliorer les choses. Nous sommes néanmoins très attentifs car il est évident que, pour des raisons diverses, certains aimeraient bien se saisir de l’occasion pour transformer un projet de loi d’accélération en loi de freinage, et ça, ce serait une catastrophe !
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PS : Plein Soleil est le magazine de l’énergie solaire. Quel est votre sentiment sur l’énergie solaire justement ? Ses avantages, ses points forts ?
JN : Le solaire photovoltaïque constitue l’une des composantes essentielles de la transition énergétique dans laquelle est engagé notre pays. Particulièrement bien répartie, la production d’électricité photovoltaïque est possible partout en France sur de multiples supports de différentes tailles : toitures, serres, parkings ou tout simplement au sol. Du fait de sa grande modularité et de sa pertinence économique, le photovoltaïque constitue une énergie de proximité, un outil de transition local, déclinable en une multitude d’applications dédiées. Pourtant, les trajectoires actuelles de progression du parc montrent que le rythme de raccordement des installations photovoltaïques est encore insuffisant pour atteindre les objectifs fixés par l’Etat. A cet égard, nous formons le vœu que la loi d’accélération des énergies renouvelables, qui contient à ce stade de son examen des dispositions très intéressantes sur le solaire, en particulier pour libérer du foncier et accélérer la solarisation des toitures, sera rapidement suivie d’effet. Enfin, le développement du photovoltaïque est en phase avec l’impératif de préservation de la biodiversité. Le SER a mené une étude en 2021 sur l’impact des parcs photovoltaïques au sol sur la biodiversité, avec Enerplan, en partenariat avec les Régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence Alpes-Côte d’Azur et le soutien de l’ADEME. Les résultats sont instructifs. L’analyse montre, certes, que l’installation de panneaux photovoltaïques au sol n’est pas neutre du point de vue de la biodiversité, en particulier lors de la phase d’installation initiale, caractérisée par des travaux de génie civil.
Néanmoins, ces enseignements infirment l’idée reçue selon laquelle ces installations seraient systématiquement néfastes pour leur environnement. En effet, l’étude met en avant un nombre important de tendances neutres relevées lors des périodes de suivi après la construction des centrales, voire positives en ce qui concerne la flore. La deuxième phase de cette étude, que nous avons lancée cette année, devrait nous en apprendre encore davantage sur les impacts des centrales phovoltaïques sur la biodiversité.
« Le solaire PV permet de faire baisser les factures des foyers des plus précaires »
PS : L’énergie solaire n’est-elle pas l’énergie la plus réactive et la plus compétitive pour lutter contre la hausse des prix de l’énergie ? A ce titre, l’énergie solaire n’est-elle pas la plus à même de lutter rapidement et efficacement contre la précarité énergétique ?
JN : Il n’est pas possible de discrimer de cette manière entre les différentes énergies. Toutes sont nécessaires pour atteindre nos objectifs de décarbonation, et c’est pourquoi les programmations pluriannuelles de l’énergie successives ciblent un mix énergétique. Néanmoins, oui, l’énergie solaire est une énergie compétitive, aux coûts maîtrisés et qui présente un retour sur investissement significatif du point de vue des finances publiques. La Commission de Régulation de l’Energie dans ses dernières projections prévoit que la filière photovoltaïque contribuera positivement au budget de l’Etat au titre de 2022 et 2023 à hauteur de 3.5 Md€. Cette somme permettra de financer en partie le coût du bouclier tarifaire sur l’électricité mis en place par le gouvernement pour aider les ménages et les entreprises à faire face à la crise. Depuis 15 ans, les systèmes de conversion photovoltaïque ont bénéficié d’une formidable réduction de leurs coûts, principalement grâce à un changement d’échelle industrielle. Le coût de production de l’électricité solaire PV – exprimé au travers de son LCOE – a ainsi connu une baisse de près de 85% au cours de la dernière décennie. S’ils peuvent être soumis à des aléas à court terme du fait de la hausse des cours mondiaux de matières premières en 2022, ces coûts sont maîtrisés sur l’ensemble du cycle de vie des actifs (y compris pour la gestion de la fin de vie) et devraient continuer à baisser à plus long terme. L’énergie solaire est donc une énergie peu chère, facilement déployable à toute échelle (que ce soit sur un réseau national structuré ou sur un réseau local beaucoup moins organisé) et nécessitant des compétences relativement accessibles en termes de déploiement. La compétitivité du solaire photovoltaïque s’illustre par le recours croissant à des solutions d’autoconsommation (individuelle ou collective) ou à des contrats de gré à gré (corporate PPA), dont l’essor est amené à se poursuivre d’ici 2030. Ces solutions apportent une sécurité contre la volatilité des prix pour les consommateurs et pour les producteurs. En outre, le solaire PV permet de faire baisser les factures des foyers des plus précaires grâce au financement solidaire de mécanismes d’autoconsommations.
« Faire du solaire l’énergie du siècle »
PS : Quelle est votre position sur le programme européen REPowerEU qui pousse à une réindustrialisation de l’Europe pour regagner une forme de souveraineté et d’indépendance énergétique ?
JN : La crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et aux incertitudes vis-à -vis de la politique zéro Covid en Chine ont des conséquences notables vis-à -vis de la compétitivité du tissu économique français et européen et de la préservation du pouvoir d’achat des ménages dépendants en grande partie des prix de l’énergie. L’allongement des délais d’approvisionnement et la forte hausse des coûts des matériaux font peser un risque important pour de très nombreux projets solaires en France et en Europe. Ce double phénomène incite de nombreux acteurs du secteur à se poser la question de la régionalisation des chaînes d’approvisionnement de la filière solaire afin de pouvoir répondre aux objectifs de décarbonation et de sécurité d’approvisionnement énergétique que l’Europe s’est fixé. C’est pourquoi, la Commission Européenne a proposé le 18 mai dernier plusieurs mesures dans le cadre de sa stratégie solaire REPowerEU, pour atteindre les objectifs de 320 GW de PV en 2025 et 600 GW en 2030 : European Solar Rooftops Initiative, EU Solar Skills Partnership, Big Public Buyers Initiative, et en particulier l’EU Solar Industry Alliance. Cette dernière a pour but d’augmenter la production de panneaux solaires avec un objectif de production de 20 GW par an (du polysilicon au module PV) à partir de 2025. Pour soutenir ce volet, l’alliance mobilisera les différents fonds européens (Facility for Resilience and Recovery, InvestEU, European Investment Fund, Cohesion policy funds, Horizon Europe) en soutien aux projets industriels. Ces initiatives doivent effectivement être encouragées et accompagnées. Le marché photovoltaïque connaît une accélération exponentielle à l’échelle mondiale, et la filière française se doit d’être au rendez-vous pour faire du solaire l’énergie du siècle.
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PS : Sur ce sujet, comment appréhendez-vous les projets industriels de gigafactory comme Carbon ou France PV Industrie avec Voltec ?
JN : En France, les acteurs du PV se concentrent essentiellement sur les activités non industrielles, à l’aval de la chaîne de valeur (développement, installation, maintenance) qui concentrent aujourd’hui l’essentiel des emplois et de la création de valeur ajoutée. Le développement solaire sur l’ensemble de sa chaîne de valeur pourrait réduire la dépendance de la filière et renforcer la souveraineté nationale. Si le rapatriement des compétences et des filières d’approvisionnement peut à court-terme conduire à une hausse du prix de l’électricité, la réduction des chaînes d’approvisionnement au profit de circuits courts, via la création de gigafactories européennes ou françaises, profiterait à l’Europe et à la France à moyen-terme. Le SER soutient le besoin d’un effort d’innovation constant sur le solaire : en parallèle du renfort des acteurs industriels déjà en place, la France ne doit pas abandonner le combat d’une relocalisation de l’industrie solaire sur notre territoire, car nos centres de recherche (IPVF, INES) sont en capacité de proposer des innovations de rupture. Le marché européen sera d’au moins 25 GW par an dans les prochaines années et il serait très dommageable de ne pas profiter de ce futur marché pour structurer une filière industrielle plus conséquente. C’est d’ailleurs l’ambition européenne avec le lancement, le 11 octobre dernier, de l’Alliance industrielle pour le solaire photovoltaïque, qui vise 30 GW de capacité de production industrielle d’ici 2025 en Europe. Les innovations permises par le PIA/France 2030 sont en ligne avec les besoins du secteur, en permettant d’augmenter la puissance des machines, d’accroître leurs rendements, de réduire leur coût de production ou d’améliorer la performance environnementale des technologies. La filière solaire appelle aujourd’hui à un investissement massif public et privé dans l’industrie pour développer un avantage technologique compétitif et créer de nombreux emplois sur l’ensemble des territoires. Ces emplois sont aujourd’hui en grande partie non délocalisables. Selon une étude de
France Territoire Solaire1, 36 000 emplois directs et indirects seront créés d’ici 2030 en France. Dans le cas d’une relocalisation de la chaîne de valeur dans le pays, ceux-ci pourront s’élever à 52 000. La création de deux gigafactories permettrait en particulier de soutenir 4900 emplois directs et indirects supplémentaires par an à horizon 2030.
PS : Un dernier mot. Quel a été ou sera votre première orientation marquante en tant que Président du SER ?
JN : Me tourner résolument vers les territoires et faire le plus de pédagogie possible vis à vis de nos concitoyens afin de les convaincre de la pertinence des EnR pour répondre aux défis énergétiques et climatiques qui sont devant nous. Sans consensus, rien ne sera possible !
Encadré
Autoportrait : Jules Nyssen
Je suis docteur en économie, discipline que j’ai enseigné à l’université avant de me tourner vers le monde des collectivités territoriales. J’ai ensuite été directeur général de la Région Provence Alpes Côte d’Azur et de la ville de Montpellier, berceau de nombreuses entreprises du secteur des EnR ! J’ai aussi exercé comme avocat – bien qu’actuellement en omission du barreau – et dirigé l’agence d’architecte de Jean Nouvel. Enfin, j’occupais jusqu’il y a peu le poste de délégué général de l’association Régions de France qui représente les régions françaises auprès du gouvernement, du parlement et des instances européennes.
1 Energie solaire : faire entrer la France dans une nouvelle ère énergétique – France Territoire Solaire