Interview/Jean-Marc Matéos, PDG de Solvéo : « Nous avons la volonté d’être exemplaire en matière d’agrivoltaïsme »

Spécialiste de l’électricité depuis plus de trente ans, Jean-Marc Matéos a su surfer sur la première vague du photovoltaïque en créant Solvéo Energies en 2008. Post moratoire, l’entreprise toulousaine s’est imposée comme un développeur incontournable du paysage photovoltaïque français. Un acteur du territoire qui a su rester indépendant. Point de vue de Jean-Marc Matéos, féru de rugby et capitaine fer de lance de l’équipe Solvéo, sur l’actualité solaire !   

 

Plein Soleil : Depuis un peu plus d’un an la filière solaire évolue sous le dispositif de la loi d’accélération APER. Quels impacts de la loi sur l’activité de Solveo ?

Jean-Marc Matéos : Nous travaillions déjà dans l’esprit de cette loi depuis plusieurs années, ayant été particulièrement investis au sein de différentes associations œuvrant en ce sens comme La Plateforme Verte ou France Agrivoltaïsme, … et appliquant les préceptes d’organismes techniques à nos projets agrivoltaïques (Institut de l’Elevage, signataire de la charte FNO) ce qui nous a valu des autorisations ou cadrages favorables des services instructeurs sur un certain nombre des projets d’élevage ou de cultures dans différents territoires. Notre programme expérimental souligne par ailleurs la volonté de Solvéo Energies de se montrer exemplaire en la matière, comme l’inauguration récente sur vergers à Rivesaltes. Nous sommes membres actifs au sein du Pôle National de Recherche et représentant du collège PME au sein de son Comité d’Orientation Stratégique. Nous saluons le caractère protecteur pour l’agriculture de cette loi, mais craignons avec l’ensemble des acteurs de notre filière les barrières qui pourraient s’ériger tels que les documents d’urbanisme défavorables ou la considération de critères contraires par les services instructeurs de type paysager, écologique, patrimonial ou risque technique qui nous semblent secondaires par rapport à l’urgence des besoins de l’agriculture.

 

« Notre portefeuille en développement est déjà constitué pour plus de la moitié de projets agrivoltaïques »   

 

Plein Soleil : Vous venez donc d’inaugurer à Rivesaltes un dispositif d’expérimentation sur tracker ? Pensez-vous que l’agrivoltaïsme sera un vrai levier de croissance pour Solveo ?

 

JMM : Notre portefeuille en développement est déjà constitué pour plus de la moitié de projets agrivoltaïques, d’autant que nous nous employons autant que possible à privilégier les solutions amenant des services à l’agriculture sur les terres agricoles quand bien même celles-ci sont en friche depuis de nombreuses années. En effet, nous mesurons difficilement dans quelle mesure le travail de planification par document-cadre amènera de réelles possibilités sur friches ou terrains incultes en fonction des territoires, mais nous imaginons des projets effectivement compatibles avec l’agriculture dans l’hypothèse où celle-ci parviendrait à l’avenir à se réinstaller en allant au-delà donc du décret de non-consommation d’espaces naturels agricoles ou forestiers.

 

PS : Justement, quid du décret du 8 avril sur le sujet ?

JMM : Ce décret devrait permettre aux services instructeurs de reprendre le travail après 18 mois au cours desquels les projets ont été mis en attente, avec une charge de travail importante qui nous l’espérons ne freinera pas davantage.

Demeurent quelques interrogations, notamment sur l’appréciation qui va être faite de critères difficiles à mesurer en phase de conception et laissant place à des interprétations selon les territoires qui pourraient être pénalisantes.

Également le taux de couverture est une notion toujours absconse tant que les éléments de son calcul ne seront pas mieux définis, pour l’ensemble de ces raisons nous appelons le gouvernement à produire un guide à l’attention des services instructeurs qui semblent aussi perplexes que nous. Enfin, si nous sommes impatients que l’arrêté sur les technologies éprouvées soit publié, c’est avant tout pour disposer enfin d’un cadre complet permettant à l’ensemble des parties prenantes d’avancer sur le sujet et permettre un vrai développement de cette discipline qu’est l’agrivoltaïsme.

 

PS : Vous êtes-vous engagé dans le Pacte Solaire pour privilégier les futurs modules d’origine française ou européenne ?

JMM : Naturellement oui, en tant que producteur français d’EnR nous sommes solidaires de l’effort de réindustrialisation relatif aux composants photovoltaïques et ferons partie des signataires en juillet prochain. Nous avons rencontré récemment les responsables du pacte solaire au ministère de l’Industrie à cette fin.

 

« L’autoconsommation collective est un modèle puissant »

 

PS : Un mot sur les modèles de marché PPA ou autoconsommation collective. Des modèles d’avenir ?

JMM : Les cPPAs constituent indéniablement un modèle d’avenir puisqu’ils préfigurent un marché des ENR mature, capable de fonctionner sans recours au soutien public. Ils permettent également une décarbonation accrue des consommations, sur la base de Garanties d’Origine issues d’actifs ENR bien identifiés. Ils peuvent couvrir, à un prix connu d’avance et à long terme, jusqu’à 35% des approvisionnements d’électricité d’une entreprise. Solvéo Energies a signé en décembre 2023 un cPPA avec SNCF Energie basé sur un parc éolien qui a été mis en service mi-mai 2024. A ce titre, Solvéo fournira 32,5 GWh par an d’électricité renouvelable à SNCF Energie, qui poursuit ainsi la décarbonation de la traction de ses trains. Nous envisageons de nouveaux cPPA de ce type pour nos futurs grands parcs PV également, notamment un à venir dans les Landes qui s’inscrit dans la dynamique TEPOS de la communauté de communes des Landes d’Armagnac et inclut également un volet autoconsommation collective. Vous évoquez aussi l’AutoConsommation Collective (ACC). Il s’agit d’un modèle puissant qui reste à pérenniser, notamment du fait des risques de contrepartie associés, sauf lorsqu’il est adossé à un contrat S2, ombrières et toitures seulement, en attente d’un S24 « petit sol ». Dans ce cas, il permet par exemple à des propriétaires de gérer facilement des périodes de vacances locatives, en attendant de trouver de nouveaux auto-consommateurs aux alentours. Ce montage ne s’applique cependant qu’à des installations de puissance inférieure à 500 kWc.

 

« La remise en cause du S21, un mauvais signal »

 

PS : Vous évoquez le S21. La DGEC sous l’égide Bercy semble vouloir y mettre fin. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

JMM : Nous sommes hyper surpris de cette volonté de retour en arrière du gouvernement. Le S21 nous donne de la visibilité dans le temps indispensable dans le cadre d’un projet bâti d’investissement global. Cela nous enlèverait également de la sécurité financière et de la simplification dans les procédures versus les AO CRE par trop dilatoires. Nous ne comprenons pas surtout par rapport aux objectifs annoncés. C’est un mauvais signal. Et quid du coup du S24 ? Nous avons développé des mini champs solaires avec l’AREC, un produit spécifique pour les petits délaissés avec les collectivités. Cette remise en cause, c’est dingue, hallucinant !

 

PS : Pour finir, le futur chantier de Solvéo exemplaire que vous voudriez mettre en avant ?

JMM : Le Fauga (31) assurément qui est en passe d’obtenir ses autorisations de construire sur un vrai terrain orphelin en termes d’usage en raison d’une sévère pollution pyrotechnique depuis la deuxième guerre mondiale (dépôt de munitions bombardé). Ce projet de presque 50 MWc sera un des plus grands projets photovoltaïques en Occitanie sur terrain dégradé et contribuera activement à l’ambition régionale de première région à énergie positive.

Nous travaillons avec l’état et le Ministère de l’intérieur qui a en charge la dépollution et avec la collectivité avec nous avons mis en place plusieurs mesures d’accompagnement notamment la création d’un parc boisé de 3.5 hectares, un parcours de santé…

 

« Trouver des investisseurs qui partagent notre vision »

 

PS : Solvéo Energies demeure indépendant, là où nombre d’autres développeurs ont cédé aux sirènes de la vente à des fonds ou à des grands groupes. Qu’est-ce qui vous habite ?

 

JMM : Effectivement, l’analyse de la composition des lauréats aux appels d’offres PPE2 montre une raréfaction des acteurs indépendants. L’activité qui est la nôtre, avec des phases de développement et de construction relativement longues, est très consommatrice de capitaux. L’attractivité du marché français avec des perspectives importantes offertes par la PPE et l’émergence de l’agrivoltaïsme au travers de la loi d’accélération accélère la pression opérée par de grands acteurs internationaux – fonds d’investissement, pétroliers-gaziers, utilities – qui doivent massivement investir dans les EnR et réalisent à cette fin des acquisitions de plateformes existantes de développement. Le modèle d’IPP (indépendant power producer) a comme revers de la médaille de devoir trouver des leviers de financement récurrents pour accompagner le développement du groupe. C’est d’ailleurs ce qui nous a amené en 2021 à faire rentrer à notre capital Crédit Mutuel Capital Privé et Midi Energy, de façon très minoritaire. Dans cet esprit et pour accompagner notre forte croissance, nous envisageons à moyen terme une nouvelle levée de fonds, tout en gardant le contrôle. L’histoire de Solvéo est longue avec des expertises aujourd’hui établies tant en ingénierie et installations électriques que dans le développement de projets d’énergies renouvelables. C’est de là que provient l’ADN et la force du groupe. Nous sommes avant tout des techniciens attachés à la grande qualité de nos projets dans les règles de l’Art et désireux d’apporter la réponse la plus adaptée à nos partenaires et nos territoires.

 

PS : L’indépendance au nom d’une forme de liberté d’agir en grande réactivité ?

 

JMM : C’est certain, la poursuite de notre objectif implique de l’agilité et une capacité à prendre des décisions rapidement. Ce sont ces qualités qui nous ont d’ailleurs permis de conclure de récents partenariats avec de grands donneurs d’ordre industriels ou coopératifs tant en co-investissement qu’en achat d’énergie. Lorsque nous échangeons avec eux, ce sont des process simples et une forte réactivité qui ont été déterminants dans le choix de la collaboration. La construction de Solveo doit donc conserver ces recettes qui ont bâti nos succès. Notre projet est ambitieux et nous avons pleinement conscience des besoins que cela implique. Outre les capitaux apportés par nos projets développés et nos partenaires historiques, nous sommes attentifs au marché et aux possibilités de financements qu’il propose. Mais le fil rouge reste toujours le même : trouver des investisseurs qui partagent notre vision. En tant que chef d’entreprise, je suis très attaché aux personnes qui m’entourent et avec qui nous avons bâti Solveo. Je souhaite que la croissance du groupe ne se fasse à n’importe quel prix et que chaque collaborateur se retrouve dans nos valeurs. J’entends en être le garant durablement.

 

Encadré

 

A la découverte de Solveo !

Le groupe que préside Jean-Marc Matéos est né il y a 30 ans avec une expertise d’ingénierie et d’installation électrique. Il a évolué vers de nouveaux métiers devenus aujourd’hui essentiels (PV, éolien, IRVE) et a grandi en taille et en ambition avec une couverture aujourd’hui nationale (siège à Toulouse, sept agences réparties en France) et de nouveaux pays ouverts à l’international.

2008 est la date de création de Solvéo Energies. 16 ans d’existence c’est à la fois très jeune mais pour les ENR, Solvéo apparaît effectivement comme un pionnier. Solvéo est bien un acteur historique, producteur français et indépendant d’électricité renouvelable d’origine photovoltaïque et éolien. Solvéo affiche un « pipe » de plus de 2 GWc en développement et 250 MWc en exploitation et prêt à construire à parité entre photovoltaïque et éolien. Le chiffre d’affaires consolidé du groupe : 56 millions d’euros. Effectifs : 340 personnes.

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