Polytechnicien, Hugues Defréville est président et co-fondateur de la société Newheat. Il détaille les nouveaux enjeux de la chaleur renouvelable et l’inévitable renversement de paradigme qui passera nécessairement par la préservation de la biomasse et par un développement du solaire thermique et de la récupération de chaleur fatale. Entretien ! Â
Plein Soleil : Après des levées de fonds de 1,8 M d’€ en 2017, 7 millions en 2021, vous changez désormais d’échelle avec une levée de fonds 30 millions d’€. Quel est l’objectif de nouvelle levée de fonds ?
Hugues Defréville : Cette nouvelle levée de fonds a pour objectif de poursuivre l’accélération de l’activité de Newheat. La grande majorité des fonds levés sera utilisée pour investir directement dans les projets de centrale développés par la société, qu’elle prévoit de détenir systématiquement de manière majoritaire. Après avoir prouvé la pertinence de ce modèle économique de tiers investissement, en réalisant 5 premiers projets pour un montant total de 15 M€, financé en partie par de la dette bancaire, Newheat prévoit de réaliser 15 projets pour un total d’investissement de 150 M€ sur les 3 prochaines années. Majoritairement implantés en France, ces projets représentent un volume annuel de chaleur renouvelable livrée de 200 GWh. Cette annonce révèle donc à la fois une nette augmentation du rythme de développement des projets de Newheat (x5) et de leur envergure (x3). C’est bien mais cela demeure une petite goutte dans l’océan. Nous devrions faire au moins 20 fois plus.
« L’avenir de la chaleur renouvelable réside dans cette capacité à pouvoir stocker l’énergie tout en combinant les technologies »
PS : Quelles sont les retombées en termes d’emplois ?
HD : Après avoir multiplié par 2 nos effectifs sur les 18 derniers mois, principalement pour structurer ses départements Business Development, Newheat compte aujourd’hui 45 salariés et prévoit un nouveau doublement de ses effectifs pour atteindre environ 80 personnes d’ici 2025 / 2026 en renforçant notamment les équipes du département Opérations (Ingénierie, Réalisation et Exploitation) ainsi que pour les fonctions support (Finance et Administratif).
PS : Suite au conflit ukrainien et à l’emballement concomitant des prix de l’énergie, il semble qu’aujourd’hui il existe un début de prise de conscience par les autorités de l’importance d’investir enfin dans la chaleur renouvelable. Comment cela se traduit-il concrètement et comment se structure ce marché ?
HD : On note par exemple une nette accélération du fonds chaleur. Il y a trois ans, son montant était de 300 millions d’€. Il sera de 800 millions d’€ en 2024.  Certes, nous sommes encore loin des objectifs fixés mais l’espoir est là . Aujourd’hui, la biomasse occupe, et de loin, la première place dans la production de chaleur renouvelable. Mais elle ne suffira pas. La forêt française ne va pas si bien que cela, entre réchauffement climatique, incendies et menaces parasitaires. Nous devons aussi protéger nos puits de carbone. Pour ce faire d’autres filières doivent se développer avec la priorisation de certaines solutions suivant le « merit order » des technologies. En fait, il est nécessaire aujourd’hui de renverser le paradigme en préservant la biomasse et le biogaz qui sont rares et précieux tout en accélérant sur la géothermie ou la récupération de chaleur fatale et bien sûr sur le solaire thermique qui est l’ADN de New Heat. Nous sommes justement en train de travailler sur de nouveaux projets de stockage inter-saisonnier via la récupération de chaleur fatale d’un incinérateur qui envoie l’été ses calories aux petits oiseaux. Nous allons pouvoir stocker des dizaines de GWh pendant la saison estivale avant la restituer pendant la période froide. Qu’on se le dise, l’avenir de la chaleur renouvelable réside dans cette capacité à pouvoir stocker l’énergie tout en combinant les technologies et les solutions à disposition.
PS : Outre la volonté politique, qu’est ce qui freine le développement de la chaleur renouvelable ?
HD : C’est un fait. La dynamique de la chaleur renouvelable par rapport à l’électricité renouvelable est plus complexe. La chaleur, ce sont des études au cas par cas avec de l’ingénierie spécifique au sein des entreprises et des territoires. Nous devons intégrer nos tuyaux dans des tuyaux existants. Nous n’avons pas la facilité « plug&play » de la fée électricité, mais nous avons les compétences et le savoir-faire.
PS : Un dernier mot de la taxe carbone qui pourrait doper votre activité.
HD : Vous savez aujourd’hui, en moyenne sur nos opérations, le fonds chaleur nous apporte 50% de subventions. Nous demandons d’ailleurs un engagement fort sur la durée. En effet, pour l’heure, ces subventions nous sont indispensables pour être compétitifs notamment avec une taxe carbone actuelle autour des 80 euros la tonne, qui plus est, que personne ne paie. Le système mis en place qui fonctionne avec des quotas gratuits est une véritable passoire. Cependant nous gardons espoir. Le 1er juin 2024, un process de comptage sera opérationnel aux frontières de l’Europe pour les produits gros émetteurs de CO2 comme les aciers et les engrais. La mise en œuvre complète de la taxe carbone a été fixée au 1er janvier 2026. Cela va légitimer notre action et surtout donner un signal prix à nos clients comme l’a fait la guerre en Ukraine quand le prix du gaz a dépassé les 200 euros le MWh. Les choses avancent doucement, mais elles avancent …