Ancienne ministre de l’écologie et de l’énergie, actuelle députée des Deux-Sèvres et présidente de Génération Ecologie, Delphine Batho a une très bonne connaissance de la filière solaire française. Elle nous livre son analyse sur le sujet. Sans concession, à son image de femme de convictions !
Plein Soleil : Quand vous étiez au ministère de l’écologie et de l’énergie, vous avez été très proche de la filière solaire française qui a d’ailleurs apprécié cette implication. Quelques années plus tard quel sentiment avez-vous sur l’évolution de cette filière et de ces acteurs en France ?
Delphine Batho : J’ai le sentiment d’un immense retard qui n’est pas celui de la filière, mais celui de la politique énergétique de l’Etat. Nous avons un potentiel considérable pour donner une valeur énergétique, grâce au photovoltaïque, à des surfaces telles que les toits de supermarchés ou encore avec les ombrières sur parking. L’énergie solaire est mature et compétitive, il manque une ambition nationale mais aussi une stratégie industrielle. J’observe aussi dans les Deux-Sèvres, territoire dont je suis élue, un élan de la population pour le photovoltaïque et un vrai potentiel pour l’autoconsommation. C’est très positif, mais demeure encore l’énorme problème que représentent les arnaques aux énergies renouvelables. On en parle très peu, pourtant c’est un frein considérable. Des banques entretiennent ce système avec des installateurs peu recommandables, qui entrainent des litiges sans solution. Il faut impérativement que le secteur fasse le ménage.
Autoconsommation : « Il faut élargir les espaces distribués et rapidement trouver un juste tarif pour le TURPE »
PS : Si les appels d’offres ont apporté stabilité et visibilité aux développeurs qui tirent leur épingle du jeu, le marché hors appel d’offres peine à s’envoler ce qui fait un marché solaire global assez faible en France. Comment analysez-vous cette tendance ?
DB : Après le moratoire qui a déstabilisé la filière pendant plusieurs années, la conjonction « baisse des coûts de production » et « hausse des tarifs réglementés » a redynamisé le marché d’autant que l’émergence de l’autoconsommation amplifie cette tendance. Il reste cependant des freins qui tardent à être levés. Des freins administratifs d’abord, il est totalement anormal qu’il faille encore plus de cinq années pour faire aboutir un projet. Les limites imposées au déploiement de l’autoconsommation collective aussi. Il faut élargir les espaces distribués et rapidement trouver un juste tarif pour le TURPE. Et puis il y a des leviers fiscaux qui sont mal utilisés.
PS : Ne faudrait-il pas ouvrir le marché hors appel d’offre jusqu’à 500 kWc pour le dynamiser un peu et le libérer davantage ?
DB : Oui, parce qu’il y a un véritable besoin dans les territoires, de toitures ou encore d’ombrières, mais pour autant que les règles du jeu soient précises et respectées : pas de bâtiment alibi et pas de projets sur les terres agricoles.
PS : Le développement du photovoltaïque au sol créé des conflits d’usages avec l’agriculture. L’agrivoltaïsme ou le photovoltaïque flottant peuvent-ils apporter des réponses à cette problématique ?
DB : Lorsque j’étais membre du gouvernement, j’ai mis fin à l’utilisation de surfaces agricoles pour le photovoltaïque car c’était une aberration. L’agrivoltaïsme tente de concilier les deux et d’éviter des concurrences d’usages. Mais je suis assez prudente. Il ne faut pas renouveler les erreurs des serres photovoltaïques, lesquelles trop souvent n’en ont que le nom, ce qui a discrédité la filière. L’agrivoltaïsme à mes yeux n’a pas à se substituer à l’agroforesterie qui est plus vertueuse pour anticiper les phénomènes de stress thermique des cultures et contribuer aux objectifs environnementaux de la France. Par contre il peut y avoir de bons projets comme celui qui était présenté en Deux-Sèvres pour un élevage de canards en plein air et qui a été bloqué pour des problèmes de coût de raccordement. J’ai la même prudence pour le photovoltaïsme flottant. La protection de la biodiversité est une priorité absolue. On peut néanmoins l’expérimenter sur les eaux de bassins industriels. Il faut voir si cette phase expérimentale donne des conclusions probantes.
PS : Quel est votre point de vue sur l’autoconsommation fortement plébiscitée par les consommateurs ? Est-ce pour vous le nouveau levier du marché de l’énergie solaire ?
DB : A l’évidence l’autoconsommation est la voie d’avenir qu’il faut encourager, mais la solution manque encore de maturité dans ses usages et doit faire l’objet d’un meilleur encadrement pour plus et mieux se développer.
« L’autoconsommation collective doit se développer »
PS : Autre levier majeur, l’autoconsommation collective. Cette dernière, véritable innovation technologique et digitale, peut permettre une dissémination très aboutie de l’énergie solaire, des bâtiments jusqu’à la mobilité électrique. Pourtant les freins à son application se multiplient. Que pensez-vous de ces réticences de l’ancien monde de l’énergie face à l’autoconsommation collective solaire décentralisée qui pourrait, qui plus est, avoir un impact social intéressant sur la précarité énergétique ?
DB : L’autoconsommation collective doit se développer, mais là aussi des progrès s’imposent. Le rôle de la « personne morale organisatrice » doit être simplifié. La technique doit encore progresser. Le stockage doit être associé à la production et la blockchain ne peut être un bon outil de gestion qu’à condition de ne pas induire par ailleurs des consommations qui feraient perdre tous les avantages environnementaux de l’autoconsommation. Là comme ailleurs, une vision globale s’impose. Pour ce qui est du TURPE le sujet est complexe parce qu’au stade de ce marché naissant, le nécessaire équilibre entre, d’un côté le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité et de l’autre les auto consommateurs, est naturellement difficile à trouver. On doit mieux articuler la nécessité du réseau centralisé garantissant la sécurité d’approvisionnement et la péréquation tarifaire, avec une large décentralisation permettant l’essor des renouvelables. Il faut ouvrir la perspective pour les territoires d’aller rechercher leur meilleure autonomie énergétique. La dernière PPE n’en prend pas le chemin. Elle accentue la puissance d’une production centralisée, le nucléaire, au détriment de l’efficacité énergétique et de l’autoconsommation. En fait, la politique de l’Etat est celle du statu quo énergétique. Une rupture est pourtant nécessaire pour investir massivement dans les économies d’énergie, dans la sortie des énergies fossiles et préparer la sortie du nucléaire. Il est consternant de constater que la relance de ce dernier est à l’ordre du jour. EDF achète actuellement les terrains pour construire les nouveaux réacteurs. C’est la politique du fait accompli, alors que le nucléaire n’est plus compétitif et pose d’énormes enjeux de sûreté et de déchets. Une vision d’avenir réaliste doit au contraire être basée sur la sobriété énergétique et sur un bouquet diversifié d’énergies renouvelables. La politique actuelle commet à cet égard un contre-sens historique.
PS : Plus largement, quand vous étiez ministre, vous vous êtes souvent heurtée à une technostructure dirimante qui semble poursuivre son Å“uvre aujourd’hui. Comment peut-on libérer davantage l’énergie solaire devenue ultra compétitive face à de type de lobby ?
DB : Le problème n’est pas seulement celui de la technostructure, mais surtout celui de l’influence des lobbys, en particulier du pétrole et du nucléaire. Ils réussissent à inspirer des politiques publiques qui sont d’arrière garde. Dans le débat public sur l’écologie et la politique énergétique, on souffre de ce que le monde de l’entreprise soit considéré comme un tout homogène. Or de nombreuses entreprises ont intérêt au changement et innovent en ce sens. On souffre de l’absence d’une sorte de « Medef » de toutes les entreprises qui ont intérêt à ce que les cartes soient redistribuées, celles qui veulent aller chercher une compétitivité par la transformation liée aux enjeux écologiques, au-delà même des seules entreprises des renouvelables. Les alliées de l’écologie dans le monde de l’entreprise doivent se faire entendre davantage.
Encadré
Delphine Batho, un manifeste radical
« L’écologie est devenue une question de vie ou de mort. Le seul choix qui nous est proposé aujourd’hui, c’est l’écologie ou la barbarie. Cet apophtegme issu du manifeste de Delphine Batho donne le ton du réquisitoire dressé par la présidente de Génération Ecologie. Publié le 9 janvier dernier à quelques semaines des élections européennes, cet ouvrage pointe avant tout l’urgence de la situation et prône, comme son titre le stipule, « l’écologie intégrale ».
Écologie intégrale. Le manifeste, de Delphine Batho, préfacé par Dominique Bourg, Éditions du Rocher, 120 p.