Le syndicat des professionnels du solaire Enerplan vient de lancer un Plan d’Urgence Solaire afin de contrecarrer la crise énergétique qui secoue l’Europe et la planète entière sur fond de conflit ukrainien. La philosophie de ce plan expliquée par Daniel Bour, président d’Enerplan !
Plein Soleil : Pourquoi lancer un Plan d’Urgence Solaire en ce début d’année 2022 ?
Daniel Bour : La temporalité de ce Plan d’Urgence s’explique par deux phénomènes extérieurs qui impactent et ébranlent l’ensemble du modèle énergétique français et européen. Nous vivons aujourd’hui une grave crise des coûts de l’électricité, qui plus est, aggravée par le conflit ukrainien. Jamais, l’Europe n’a eu autant besoin de renouvelables. Il existe aussi un autre phénomène davantage lié à notre marché domestique de l’énergie qui est notre incapacité à entrer dans la feuille de route de la PPE. Il faut faire bouger tout ça !
Le solaire coche toutes les cases
PS : Dans l’urgence, pourquoi le solaire plutôt qu’une autre énergie ?
DB : Soyons clairs ! Le progamme nucléaire demande structurellement du temps.  Les centrales à charbon, il est de notre responsabilité de les fermer afin de ne pas aggraver le réchauffement climatique. Et les centrales au gaz posent des problèmes d’approvisionnement En résumé, nous avons besoin d’aller vite avec une énergie décarbonée compétitive, garante de notre indépendance énergétique. C’est une évidence, le solaire coche toutes les cases.
PS : Dans les faits, comment pallier l’urgence ?
DB : Le Plan a été établi en fonction d’objectifs compatibles et réalistes afin de pouvoir en faire un maximum dans un minimum de temps. Dans les faits, il nous faudra gagner trois ans sur la PPE, à savoir réaliser l’objectif de 35 GW installés en en 2025 contre 2028 prévu, ce qui signifie d’abord de rattraper le retard présent A l’heure actuelle, nous sommes déjà en retard sur la PPE. En 2021, la France a péniblement installé 2,5 GW, il en aurait fallu le double. Aujourd’hui, le calcul est simple. Nous devons ajouter 25 GW pour 2025 au parc de 12 GW existant. Nous devons tabler sur un rythme de croisière d’installation de 10 GW par an le plus vite possible. En s’assurant  que le raccordement suive !
Donner au solaire un statut prioritaire pour accélérer
PS : Est-ce réaliste de fonder de telles ambitions ?
DB : Bien sûr que c’est réaliste. Sous certaines conditions. 10 GW en un an, cela n’a rien d’exceptionnel. D’autres pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne l’ont déjà fait. Mais Pour ce faire, je pense que le solaire mérite un régime spécial  en France. Le gouvernement ne devra pas hésiter à appliquer des mesures dérogatoires pour un certain temps, plusieurs années, en matière d’urbanisme, de permis de construire, d’études d’impact avec des évaluations environnementales au cas par cas plutôt que systématiques.
Il faut  s’assurer que les directives données aux services préfectoraux soient sans ambiguïté et soient consistants avec la PPEf   et arrêter de stigmatiser la filière sur son soi-disant appétit insatiable de foncier. Nous avons besoin de 14 000 hectares d’ici à 2025, ce qui représente 140 hectares par département. Pas de quoi inonder et coloniser la France avec des panneaux solaires. D’autant que le solaire s’intègre plutôt bien sans véritable enjeu sur la biodiversité.
PS : La simplification, c’est le serpent de mer pour la solaire en France ?
DB : Evidemment, nous devons simplifier le système, améliorer les procédures, donner au solaire un statut prioritaire pour accélérer. Nous y arriverons si nous suscitons une vraie mobilisation. Et je vous donne un exemple. Il faut quatre ans en moyenne pour développer une centrale au sol en France : c’est le record d’Europe. Nous devons faire passer ce délai à un an, guère plus. C’est un vrai objectif!  Et il prend tout son sens actuellement.
L’Etat gagne aujourd’hui de l’argent avec l’énergie solaire
PS : Comment imaginez-vous donc le déploiement et la montée en volumes du PV dans les mois qui viennent ?
DB : Nous devons porter nos efforts sur trois catégories. L’autoconsommation qui peut être immédiate si on le veut vraiment. Elle n’a qu’un impact léger sur le réseau et ne pose aucun problème d’intégration. En la matière nous sommes des nains en Europe, nous sommes ridicules. Nous devons aller beaucoup plus loin avec l’autoconsommation pourquoi pas avec une baisse de TVA sur le résidentiel et le stockage. Après, il y a le guichet jusqu’à cinq cents kW qui peut, là aussi, nous permettre d’aller très vite. Nous devrons enfin nous appuyer sur les appels d’offres pour les centrales solaires de grandes puissances qui prennent certes, plus de temps, mais qui sont pourvoyeurs de gros volumes. Et pour une intégration plus rapide au réseau pourquoi ne pas intégrer à ces grandes centrales des équipements de stockage afin de diminuer les besoins au niveau du poste source pour injecter moins de MWc sur le réseau dans un souci d’efficacité ?    Â
PS : La France dispose aujourd’hui d’un stock d’environ 6 GW déjà dans les tuyaux. Quelles mesures doivent être prises pour débloquer ce stock au plus vite ?
DB : Ce stock est bloqué pour des raisons essentiellement économiques. Il est victime de l’effet ciseau qui voit notamment les tarifs fixés lors des AO pour les grandes puissances faire face à l’explosion des prix des approvisionnements. Les tarifs ne correspondent plus à l’évolution des coûts. Les Capex s’envolent de près de 15 à 18% pour les centrales au sol et de 20 à 25% pour les installations en toiture. Si l’on ajoute à cela l’envolée des prix de raccordement et l’augmentation du coût de l’argent, l’équation devient impossible à résoudre. Parmi les premières mesures à prendre, le gel de la baisse du tarif d’achat sur plusieurs trimestres nous semble pertinent. Il faut aussi laisser toute capacité aux producteurs d’aller sur le marché pour profiter des tarifs actuels élevés du kWh avant de lui faire signer le contrat avec EDF OA. L’Etat a deux bonnes raisons de le faire : débloquer les centrales prêtes à être construites t mais aussi à terme débloquer  un manque à gagner pour lui. Car n’oublions pas, et on le dit assez peu, l’Etat gagne aujourd’hui de l’argent avec l’énergie solaire. Plus de solaire est installé dans le pays, plus l’Etat engrange sur son budget. C’est tout bénéfice.
Devenir champion d’Europe du photovoltaïque
PS : La filière a-t-elle les moyens de relever le défi de ce Plan d’Urgence?
DB : La filière française compte dans ses rangs des acteurs protéiformes, petits, moyens, grands. C’est un avantage considérable qui peut nous permettre à la fois d’aller vite et d’être puissant. Il va également falloir procéder à des recrutements forts à toutes les strates du métier. Heureusement, il existe un appétit féroce des jeunes ingénieurs et techniciens en devenir pour le renouvelable et le solaire en particulier. Les préfectures doivent aussi recruter tout comme Enedis pour fluidifier les raccordements.
PS : Un mot sur la réindustrialisation du pays ?
DB : C’est un point capital. Nous avons là une occasion historique pour installer une usine « gigafactory » en France. Avec 10 GW par an sur le marché domestique, ce Plan d’Urgence justifie plus que jamais cette création. La France est prête pour réaliser un tel projet industriel, toute la chaîne est en place. Nous disposons d’une énergie peu chère par rapport au reste de l’Europe et particulièrement décarbonée pour une production respectueuse de l’environnement. Reste à satisfaire les besoins d’investissement pour accélérer le process de création de cette usine. Vous savez le fait d’être en retard peut aujourd’hui nous offrir des opportunités de devenir champion d’Europe du photovoltaïque. Nous n’avons aucune raison de ne pas l’être.