Avocate spécialisée dans le droit de l’environnement, Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement, appelle à une prise conscience des consommateurs d’énergie français pour renverser la table où sont assis les rentiers d’un modèle ancien. Autour de deux idées, le développement substantiel de l’autoconsommation solaire collective et l’adhésion massive à des fournisseurs d’électricité verte ! Une révolution par la demande.
Plein Soleil : Dans les années 1980, la filière solaire industrielle française était à la pointe au niveau mondial avec Photowatt numéro trois mondial. Aujourd’hui, avec le boom mondial de l’énergie solaire, la France industrielle est à la traîne. N’avez-vous pas le sentiment que la France a raté quelque chose et a laissé passer le train ?
Corinne Lepage : Bien sûr qu’elle a laissé passé le train, mais c’était volontaire. La stratégie de la filière nucléaire était de tuer dans l’œuf la concurrence des autres filières. Je mes souviens à cette époque des efforts de Jean Therme entouré de jeunes pousses dynamiques pour booster les filières alternatives. Il était désespéré. On ne lui a jamais débloqué de budgets pour développer ses projets. Quand j’étais ministre, il y a un peu plus de 20 ans, le GPL et le GNV avaient le vent en poupe. Nous avions pu déployer quelques moyens. De son côté, la filière électricité solaire demeurait encore confidentielle.
« On ne veut pas avancer sur le solaire dans ce pays »
PS : Puis en 2006, le solaire photovoltaïque a décollé avec même la formation d’une bulle…
CL : Je vous coupe. On a créé la bulle puis on a tué la bulle. Là aussi la démarche a été très volontaire. On nous a dit fin 2010 que les objectifs de 2020 allaient être atteints en 2012. Le gouvernement a donc gelé cet élan avec la mise en place d’un moratoire. Avec à la clé quelques distorsions de concurrence entre EDF et ses concurrents, EDF ayant pu passer l’essentiel de ses dossiers avant l’instauration du moratoire…
PS : Côté marché, si les appels d’offres ont apporté stabilité et visibilité aux développeurs qui tirent leur épingle du jeu, le marché hors appel d’offres peine à s’envoler ce qui fait un marché solaire global assez faible en France. Comment analysez-vous cette tendance ?
CL : Oui en matière de solaire, la France est en retard mais fondamentalement, c’est parce qu’on ne veut pas avancer sur le solaire dans ce pays. Certes, nous sommes obligés d’en faire un peu par les obligations communautaires mais a minima. Nous subissons une culture d’état qui n’en veut pas tout simplement. Pourquoi ? Parce qu’il y a incompatibilité avec le nucléaire. Il n’est pas possible de faire coexister un nucléaire stable dans le mix avec une hausse des énergies renouvelables et une baisse de la consommation. Déjà , à marché constant, ce n’est pas possible. Je note d’ailleurs, ces dernières semaines, une inflexion et une prise de conscience intéressante de la CRE qui commence à réfuter l’idée d’un nucléaire toujours aussi prégnant dans le mix.
« Je prône pour une augmentation massive de l’autoconsommation collective solaire »
PS : Quelles en seraient les conséquences ?
CL : Je le répète. Suivre la PPE en matière d’augmentation des ENR sans fermer de centrales nucléaire, c’est totalement irréaliste. Nous entrerions dans une politique de surproduction comme en 1973 quand la décision a été prise de construire au moins huit réacteurs de trop. En 2019, cette politique de surproduction serait dramatique et gravissime. Il serait une folie de penser exporter massivement une énergie nucléaire devenue non concurrentielle. Quand vous ajoutez à cela le projet de renationalisation d’EDF qui va faire porter la dette de 33 milliards d’euros sur les contribuables, la stratégie mise en place est suicidaire.
PS : Comment se sortir de cette spirale voulue par les accros à l’atome ?
CL : Je porte deux idées force. La première. Je prône une augmentation massive de l’autoconsommation collective solaire pour laquelle se bât d’ailleurs d’arrache-pied le bureau d’études Tecsol d’André Joffre par exemple. Nous avons noté de petites ouvertures avec la loi PACTE mais des blocages de taille persistent comme la taille des projets, la comptabilité avec la blockchain, la maille ou encore les délais de procédures. Mais nous avons bon espoir grâce à la directive européenne de décembre 2018 qui doit entrer en vigueur en 2021. C’est une bonne chose. Nous devons réfléchir à cela et nous préparer le plus rapidement possible à comment, par exemple, mettre fin au monopole d’Enedis sur le plan de la comptabilité.
Le levier de la demande pour renverser la table
PS : Mais les résistances sont nombreuses à l’intérieur même de la technostructure française que vous vilipendez pour aboutir à un tel changement de paradigme !
CL : Si nous ne pouvons pas le faire par l’offre, faisons le par la demande via une politique de communication massive en s’appuyant sur les conclusions du débat public pré
PPE. Qu’ont dit les Français ? Ils ont rejeté avec force le maintien du nucléaire et plébiscité avec vigueur les énergies renouvelables. Mon conseil est simple. Je demande aux consommateurs de se désabonner en masse de leur abonnement à l’énergie nucléaire. Je ne demande pas le boycott d’une marque – c’est interdit dans la législation française – mais il ne s’agit pas de cela puisqu’ existe EDF Renouvelables que je sache. Les Français doivent désormais opter pour des fournisseurs alternatifs, producteurs d’électricité verte, loin des garanties d’origine bidon qui font encore le jeu du nucléaire. Mon slogan « A l’instar du bio, l’électricité verte, c’est bon pour vous mais aussi pour la planète ».
PS : Un choc de demande pour faire évoluer les choses ?
CL : C’est ça. J’espère une mobilisation forte, j’attends du concret. Si la demande s’engage pour une vraie transition énergétique, les obstacles vont tomber un à un. La directive européenne de décembre 2018 qui interdit les surcoûts, libère la comptabilité des électrons, limite les délais et fait exploser toute idée de maillage, devra être prise en compte par ceux qui nous gouvernent. Aux consomm’acteurs de prendre leur destin énergétique en mains !