Directeur de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) à Montpellier, Christian Dupraz est spécialiste de l’agroforesterie. En 2011, il a publié la première étude scientifique qui a proposé le terme d’agrivoltaïsme dont il est l’un des éminents spécialistes. L’homme idoine pour aborder ces sujets sous les prismes techniques mais aussi politiques ! Â
Plein Soleil : Les articles 2 à 6 du texte sur l’agrivoltaïsme tels qu’ils ressortent de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée s’écartent totalement de l’objectif initial de la proposition de loi. L’article 2 en particulier instaure un plafond de puissance désormais fixé à 10 MWc par exploitation agricole, les parcelles agricoles occupées par l’installation agrivoltaïque ne pouvant excéder 30 % de la surface agricole utile de cette exploitation. Pensez-vous comme les responsables du SER et d’Enerplan que ce texte signerait la mort de l’agrivoltaïsme en France ?
Christian Dupraz : Un projet de 10 MWc, c’est quand même un projet de 20 ha, ce n’est pas un « petit » projet. En faisant un projet avec plusieurs exploitants, on peut même envisager des très grands projets. Le seuil devrait donc plutôt être exprimé par projet, et pas par exploitation agricole, ce serait plus précis. Il est compréhensible que les développeurs souhaitent faire de grands projets, plus rentables, mais pas forcément plus simples à raccorder au réseau. Il est également compréhensible que ces grands projets déclenchent des oppositions et des questions. L’enjeu est d’éviter un moratoire pur et simple, alors que la filière agrivoltaïque offre des perspectives inédites : la ressource est quasi illimitée, quelle énergie renouvelable peut en dire autant ?
« Une filière ne peut pas se développer sur une montagne de frustrations et de jalousies »
PS : De son côté, l’article 6 ajouté en Commission, prévoit la remise d’un rapport au Parlement visant à connaître le partage de la valeur ajoutée entre l’ensemble des parties prenantes bafouant les règles du droit à la concurrence dans la sphère privée. Pour vous, est-ce susceptible d’entraver le développement due l’agrivoltaïsme ?
CD : La transparence peut être un puissant moteur de confiance dans cette filière. On ne demande pas aux industriels de révéler tous les chiffres de leurs opérations. La transparence incite à la modération, et peut éviter des loyers indécents.
PS : Quel est votre conviction justement sur ce partage de la valeur ?
CD : C’est un point essentiel. Une filière ne peut pas se développer sur une montagne de frustrations et de jalousies. Il y a du soleil partout, peut-on permettre à quelques « happy few » de s’approprier toute la valeur ajoutée de la filière ? C’est un choix très politique.
PS : Pensez-vous que l’agriculteur doit prendre des parts dans les sociétés de projet ?
CD : Si on limite le retour de la valeur auprès de l’agriculteur, c’est assurément une bonne manière de lui garantir des revenus à long terme plus intéressants. Mais un agriculteur n’est pas un investisseur, et emprunter pour investir reste un choix audacieux. Cette option peut rester ouverte, mais ne doit pas être obligatoire. Il faut surtout ouvrir le capital du projet aux consommateurs proches.
« La filière agrivoltaïque est 100 fois plus efficace que les filières biomasse pour la production d’énergie en agriculture »
PS : Sur un plan plus technique, vous qui êtes ingénieur agronome, quel est votre point de vue sur l’agrivoltaïsme ?
CD : C’est une formidable alliance, qui permettra de remplacer les cultures dédiées aux agrocarburants, et donc de récupérer de très grandes surfaces agricoles pour la production vivrière. Vous savez l’agrivoltaïsme ne met en rien en péril la souveraineté alimentaire. La filière agrivoltaïque est ainsi 100 fois plus efficace que les filières biomasse pour la production d’énergie en agriculture. Pour un hectare cultivé, une voiture peut rouler 22 000 km en essence éthanol et 60 000 kilomètres en biométhane. Pour un hectare en agriPV, une voiture électrique peut couvrir jusqu’à 3 millions de kilomètres. L’agrivoltaisme va donc augmenter la production agricole, même si elle la diminue un peu sur les parcelles équipées. En ciblant les bonnes cultures et les bonnes technologies, on va être capable de limiter les pertes de rendement agricole dans les centrales agrivoltaïques.
PS : Les synergies entre solaire et agriculture existent-elles vraiment et sont-elles en mesure de révolutionner l’état de l’art agricole ?
CD : Oui elles existent mais elles dépendent des conditions pédoclimatiques. Elles sont donc plus ou moins fortes selon les années. C’est pour cela qu’il nous faut des expérimentations pluri-annuelles pour les évaluer correctement. Avec le changement climatique, ces synergies vont devenir de plus en plus fréquentes, l’agrivoltaisme est donc une bonne carte à jouer pour le futur.
PS : Quelles sont, selon vous, les cultures pour lesquelles ces synergies sont le plus évidentes ?
CD : Avec des taux de couverture de 10 à 20%, toutes les cultures sont possibles. Avec des taux de couverture plus élevés, il faut privilégier des cultures à cycle d’été, produisant des biomasses limitées, et menacées par le changement climatique : arboriculture fruitière, viticulture, maraichage, petits fruits rouges, cultures irriguées d’été, prairies à faible potentiel.
« Les projets doivent être hors de vue directe des habitations »
PS : Dans la viticulture, est-ce une solution pérenne pour baisser les degrés des vins ?
CD : Oui, cet effet est incontestable au vu des résultats expérimentaux disponibles. Mais il faut relativiser : on ne couvrira pas nos 750 000 ha de vigne avec des panneaux photovoltaïques. Donc cet avantage de l’agrivoltaisme viticole ne concernera que des surfaces limitées, quelques milliers d’hectares au plus. L’agrivoltaisme ne sauvera pas toutes nos vignes ! Mais il contribuera à leur adaptation.
PS : Pensez-vous-même, à l’instar d’André Joffre, que le solaire est l’avenir de l’agriculture ?
CD : Oui. L’agriculture est déjà l’art de cultiver le soleil. L’agrivoltaisme est l’art de le partager intelligemment.
PS : Quels sont selon vous les freins principaux au développement de l’agrivoltaïsme ?
CD : Le risque de mauvais projets dans lesquels l’agriculture est rapidement abandonnée, et qui vont jeter le doute sur l’ensemble de la filière. Ce risque est d’autant plus grand qu’il s’agira de grands projets. On peut par contre accepter de petits projets risqués car ils permettent d’apprendre. On apprend en se trompant.
PS : Un dernier mot sur l’acceptabilité ?
CD : Les projets doivent être hors de vue directe des habitations. Personne ne peut accepter d’avoir un océan de panneaux photovoltaïques devant sa fenêtre. C’est une contrainte facile à évaluer. Cela va exclure les zones proches des zones habitées, donc frustrer des propriétaires, ce qui renforce encore le besoin de partager équitablement la valeur.
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