La société CARBON a lancé mi-septembre le lancement du processus de concertation préalable pour l’implantation de sa giga-usine de panneaux et de cellules photovoltaïques à Fos-sur-Mer, sur le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), en Région SUD. Point de départ administratif d’une aventure industrielle hors du commun en France. Plein Soleil fait le point avec Pierre-Emmanuel Martin, son président, rencontré sur le site de Fos.
Plein Soleil : Vous avez saisi la Commission nationale du débat public (CNDP) dès le mois d’avril dernier. Celle-ci a statué sur l’organisation d’une concertation préalable et a désigné deux garants, Vincent Delcroix et Philippe Quevremont. Elle commence le 15 septembre pour s’achever le 30 octobre. Qu’en est-il ?
Pierre-Emmanuel Martin : Il s’agit d’un moment démocratique. Dans le cadre de cette concertation préalable, six réunions publiques sont organisées sur le territoire afin de débattre de l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques principales du projet. C’est le point d’entrée obligé du projet. Celui qui va nous permettre de déposer les demandes administratives, les permis de construire, les ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) dans le cas où nous ne rencontrons aucune opposition s’entend. Mais l’information sur le déroulé du projet ne s’arrêtera pas au 30 octobre. Nous allons associer le public, impliquer la population et toutes les parties prenantes tout au long des prochains mois. Co-construire, co-inventer. Il s’agit d’un projet de territoire qui doit être accepté par tous. Nous devons, tous ensemble, en être fiers. Toutes les planètes sont alignées, nous allons embarquer la population.
« Une vraie ambition architecturale »
PS : Pourquoi avoir choisi la zone portuaire de Fos ?
PEM : Nous avons étudié une quinzaine de sites en France. Le site de Fos et son riche écosystème très favorable disposent de toutes les qualités requises pour notre activité. Le terrain « plug and play » de 62 ha coche toutes les cases et répond à l’ensemble de nos exigences. Les équipes de la Région Sud qui nous accompagnent sont très efficaces. La Région et la Ville sont particulièrement motrices. Nous avons été très bien accueillis avec notre projet d’usine pour lequel nous avons une vraie ambition architecturale avec à la clé une intégration paysagère marquée et des espaces humides préservés. Nous devons donner envie d’aller à l’usine. Nous allons également solliciter des sous-traitants locaux pour toute une batterie de services et de fournitures associées au fonctionnement de CARBON. A nous de ne pas décevoir les attentes…tout cela nous oblige.
PS : Vous construisez une gigafoctory à une échelle considérable, qui s’étendra sur 35 000 m² de bâtiments industriels et de stockage qui sera classée Seveso. Des chiffres et une activité qui peuvent soulever quelques inquiétudes ?
PEM : C’est aussi le rôle de la concertation, de déminer en amont et de convaincre du défi de la transition énergétique à mener au nom de l’indépendance et de la souveraineté nationale.  Il s’agit déjà d’une usine 100% électrique, zéro émission, dans une zone portuaire en pleine mutation justement très focus sur la qualité de l’air et de l’eau. Les exigences sont élevées. Dans notre usine, aucun process n’est dangereux. Le classement Seveso est juste dû aux volumes traités et stockés. Pour l’approvisionnement en électricité, RTE est un partenaire fiable et sûr. Le site est par ailleurs un excellent terrain de jeu pour produire de l’énergie solaire avec le soleil et le mistral qui refroidit les capteurs et optimise leur rendement. Nous allons installer 40 MW sur place soit 4% de la consommation de l’usine. Et nous ne nous arrêterons pas là dans une optique de « solar to solar ». Sur le plan des transports, 90% des produits entrants seront acheminés par le maritime. Pour les sortants, plus de 50% passeront par le rail et quelques pourcentages par le fluvial au fil du Rhône. Nous anticipons aussi les transitions vers les mobilités électriques où solaire et batteries font plutôt bon ménage. Le véhicule électrique sera demain un moyen de stocker l’énergie solaire. De plus, dans la production de matériel solaire, de cellules et de modules, la recyclabilité se met en place, la circularité est quasi atteinte. Un même matériau extrait va être réutilisé des centaines d’années. Notre usine sera à la pointe en matière de respect de l’environnement.
« Trois mille emplois directs créés »
PS : Vous avez souvent évoqué lors de cette conférence la participation au projet CARBON du géant du transport maritime mondial CMA CGM qui est basé à Marseille. Qu’est ce que cela représente pour vous ?
PEM : Déjà , on peut dire que CARBON, fondée en 2022 à Lyon puis Marseille, est une société française qui repose sur un consortium de quatre associés des entrepreneurs industriels et des experts de l’énergie solaire. Nous avons déjà mis cinq millions d’euros sur la table en fonds propres et remettons vingt millions d’euros dans les prochains mois. Au vu des ordres de grandeur du projet, 1,5 milliards d’investissement et un milliard de chiffre d’affaires, il est certain que l’annonce d’un industriel de classe mondiale comme CMA CGM de nous rejoindre est une très bonne chose. Elle témoigne de son implication pour la décarbonation et la transition écologique. Nous sommes ravis de pouvoir engager un partenariat long terme avec cette société internationale pour laquelle l’implantation territoriale a, comme pour nous, un sens tout particulier. CARBON représente un formidable levier pour l’attractivité de Marseille et de l’ensemble de la Région avec plus de trois mille emplois directs créés avec force formations et recrutements. Nous remercions Rodolphe Saadé et ses équipes pour leur confiance. CMA CGM investira dans la société CARBON à travers son Fonds Energie créé en septembre 2022 par Rodolphe Saadé. Ce Fonds Énergies, doté d’un budget de 1,5 milliard d’euros sur 5 ans, investit pour soutenir le développement et la production d’énergies renouvelables, accélérer la décarbonation des outils industriels dans toutes les activités du Groupe, et soutenir des projets innovants et des solutions de mobilité à faible émission. Avec CARBON, l’implication de CMA CGM va au-delà d’un compte de résultat.
« Nous croyons dans la promesse de l’Europe de tordre les conditions de marché »
PS : Cet apport de CMA CGM ne sera pas de trop pour réussir cette aventure entrepreneuriale, n’est-il pas ?
PME : Il nous faut aller chercher et séduire des investisseurs comme CMA CGM car le défi est immense. Le pari à relever est risqué, mais nous allons réussir à nous insérer dans ce marché mondial ultra dominé par la Chine, où le dumping social est la règle sur fond de travail forcé des Ouïghours. Il va nous falloir tordre les marchés mondiaux. Nous avons pour nous un bon bilan carbone mais aussi et surtout le respect des règles environnementales et des droits sociaux. Nous allons marketer ces atouts et être acteur d’un nouveau monde du photovoltaïque, plus vertueux, plus propre, plus social, plus humain…
PS : Et en plus de la Chine aujourd’hui, les Etats-Unis vont commencer à prendre une place importante sur le marché du photovoltaïque mondial avec l’Inflation Reduction Act, l’IRA. C’est une nouvelle donnée à prendre en compte pour vous ?
PEM : Nous n’avons pas peur de l’IRA et de ses effets d’aubaine. Les Américains vont produire des modules chers pour leur marché intérieur. L’IRA va conduire à une forme d’inefficacité. De notre côté, nous faisons le choix industriel de la France, de l’Europe.  Nous allons nous battre sur le mur des 25 centimes d’euro le watt avec la technologie N-Type et nous y serons. Nous ne refusons pas la compétition. L’Europe promet que 40% du marché PV européen sera porté par l’industrie européenne. L’Europe dispose des outils de défense pour combattre le laisser-fairisme et l’ultralibéralisme et pour tordre les conditions de marché notamment avec le Net-Zero Industry Act (NZIA) une première réponse aux protectionnismes chinois, indiens ou américains. Nous croyons dans cette promesse.