Interview Jules Nyssen : « Notre souveraineté énergétique passe par une décarbonation incontournable de l’énergie »

Fin de semaine dernière, Jules Nyssen, le président du Syndicat des Energies Renouvelables tenait une conférence de presse pour dresser la position du SER en ce début d’année 2025. L’occasion de faire le point en matière de stratégie énergétique dans une situation internationale bousculée par l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et par une crise politique en France qui fait peser de lourdes incertitudes sur le secteur des EnR. Entretien avec un homme à la parole libre !

Plein Soleil : Un point d’abord sur la situation internationale qui affecte particulièrement le secteur de l’énergie avec le fameux « drill, baby, drill » de Donald Trump ?
Jules Nyssen : Le secteur de l’énergie n’est pas réputé pour être pas tendre. Il y a bien longtemps que nous ne sommes plus dans le monde des Bisounours. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui. Avec l’élection de Donald Trump nous entrons vraiment dans la loi du plus fort, celle décomplexée qui donne la liberté aux loups. Nous ne pouvons pas jouer le rôle des brebis à être dévorées. Nous sommes trop dépendants des grandes puissances de l’énergie comme la Chine, les Etats-Unis, la Russie. Il est insupportable que le fossile représente 60% de notre consommation d’énergie. Nous n’avons pas le choix. Notre souveraineté énergétique passe par une décarbonation incontournable de l’énergie, avec des orientations fortes à prendre, entre Programmation pluriannuelle de l’Energie (PPE) et Stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

« Ce n’est pas le moment d’appuyer sur le frein »

PS : Comment être optimiste dans un tel contexte ?
JN : La France est championne d’Europe de la décarbonation avec un mix énergétique très peu carboné. C’est notre chance. Notre salut passera par une électrification des usages. C’est un atout considérable pour notre attractivité industrielle. Il est beaucoup moins compliqué chez nous d’enclencher la décarbonation de l’économie que cela peut l’être en Allemagne par exemple. Alors ce n’est pas le moment d’appuyer sur le frein. Il faut accélérer en combinant le développement du binôme électricité et chaleur renouvelables.

PS : Comment fait-on pour changer ce paradigme, du fossile vers les EnR ?
JN : La substitution aux fossiles doit passer par une plus grande relocalisation de valeurs. Les 70 milliards d’euros annuels que nous coûtent les importations de fossiles doivent être réalloués sur le territoire, dans le renouvelable. Ce transfert serait créateur d’emplois et d’investissements locaux, de rentrée d’argent en matière de fiscalité locale entre fonciers, IFER et CFE, sur fonds de partage de la valeur.

Gare aux effets d’annonces autour de la PPE !

PS : Sur les trois piliers indispensables à soutenir que vous venez d’énoncer à savoir la souveraineté énergétique, la décarbonation de l’énergie et la relocalisation de valeurs, vous lancez une mise en garde au gouvernement. Quels sont les risques selon vous ?
JN : Déjà, il serait dommage de voir la PPE publiée avant la SNBC. Evaluer les quoteparts d’énergies avant le programme ne semble pas pertinent. Côté PPE, nous mettons en avant trois risques potentiels. Premier risque : une PPE au rabais par rapport aux 100 GW annoncés pour 2035. Il n’est pas exclu que le gouvernement baisse ces objectifs et nous écarte de la bonne trajectoire. Deuxième risque, avec ce que l’on appelle une PPE oui mais…Les objectifs de production pour la filière solaire seraient conditionnés aux signaux sur la demande. Autant dire une douche froide avec un gouvernement sans ambition sur la décarbonation. Comment imaginer investir dans des moyens de production à visée de long terme face à un signal prix qui est la quintessence du court-termisme ! Impensable.

PS : Et le troisième risque ?
JN : Ce serait une PPE avec des objectifs ambitieux sans pour autant l’instauration de formulations claires et contraignantes pour la réalisation de ces objectifs. Des effets d’annonce en quelque sorte…

« Le solaire s’installe très vite et il est compétitif »

PS : Depuis quelques semaines des tribunes, publiées dans les journaux, affichent des positions très anti renouvelables. Qu’est ce que cela vous inspire ?
JN : D’abord, j’ai envie de dire que l’énergie est un service public essentiel aux fonctionnements de la société comme l’Education ou la Défense, et, à ce titre elle doit être compétitive et accessible avec un soutien public si nécessaire. Après il faut cesser cette opposition ridicule entre les technologies de production de l’énergie électrique. Certains font croire que le nucléaire est quasi gratuit, là où les renouvelables coûteraient cher. Il faut arrêter ce débat contradictoire entre nucléaire et EnR.

PS : La Cour des Comptes en évaluant le coût total de l’EPR de Flamanville à 23,7 milliards d’euros, avec un retard de douze ans sur le calendrier initial a appelé l’État et EDF à clarifier les incertitudes financières avant de poursuivre la construction de nouveaux réacteurs EPR. Voilà qui remet un tantinet les choses en place ?
JN : On le sait le nucléaire est très long à mettre en place et représente un coût non négligeable (ndrl : la Cour des Comptes estime à 79,9 milliards d’euros le coût de construction de six réacteurs EPR 2). Avec un coût de production évalué à 138€ le MWh, le réacteur de Flamanville mis en service avec douze ans de retard en est un symbole. Dans le même temps, le solaire s’installe très vite et il est compétitif (ndrl : le prix moyen proposé par les lauréats de l’AO Sol de novembre 2024 est de 79,28 €/MWh). Il est aussi intermittent, c’est un fait. Mais avec les prévisions météo, l’IA, la flexibilité et le stockage, des solutions existent pour pallier cette intermittence. Alors soutenons tous les énergies renouvelables décarbonés sur nos territoires, et que l’on arrête d’opposer les choses !

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