Entretien/Jean-Louis Bal : « Je demeure très optimiste pour le solaire »

Ancien directeur des énergies renouvelables à l’ADEME, et président du SER pendant une douzaine d’années – il vient de quitter le syndicat des ENR il y a quelques semaines -, Jean-Louis Bal est l’un des experts les plus pointus en Europe en matière d’énergie solaire. Tel un conteur africain, et avant que la bibliothèque ne brûle, il nous raconte les dessous de l’histoire, à la fois, mondiale et franco-française du photovoltaïque. Passionnant !  

Plein Soleil : Nous allons replonger avec vous, Jean-Louis Bal, dans l’histoire du solaire mondial, de ses premiers balbutiements avec l’industrie spatiale jusqu’à sa marche triomphale actuelle, avec bien sûr un focus sur la France qui a longtemps été pionnière dans le développement de cette énergie verte et qui a, hélas, trop souvent raté le coche…

Jean-Louis Bal : Justement, si vous me permettez, et avant d’évoquer avec vous la période contemporaine, j’aimerai vous livrer une anecdote. L’effet photovoltaïque qui convertit la lumière du soleil en électricité, a été découvert en 1839 par Edmond Becquerel. Tout le matériel qui a permis au savant français d’identifier cette réaction est enfermé dans les caves du CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers). Les outils de l’une des découvertes scientifiques majeures du 19ème siècle demeurent ainsi enfouis dans un prestigieux cellier. Voilà qui dénote tout de même d’un manque d’intérêt certain d’une telle institution de la République pour la chose photovoltaïque. On y reviendra je pense …

« Un prix des cellules à 100 dollars le W »

PS : Dans quel domaine ont eu lieu les premiers pas industriels du photovoltaïque ?

JLB : Les premières applications photovoltaïques se retrouvent aux Etats-Unis, pionniers de l’exploration spatiale. Le premier satellite lancé en mars 1958 qui pesait moins de 1,5 kg était ainsi alimenté par six micro-cellules PV pour un total de 1 W. Le coût était exorbitant mais seul comptait le poids. Jusqu’en 1973, le photovoltaïque est resté cantonné au domaine spatial. Cette année-là, qui correspond au premier choc pétrolier, l’UNESCO a organisé un congrès international sur le thème « Sun in Service of Mankind » avec plus de 1000 participants, un congrès qui fondait beaucoup d’espoir sur le solaire. En 1973, le marché du solaire est limité au spatial et 10 kWc sont produits dans de petits labos américains avec un prix des cellules à 100 dollars le W.

PS : Qu’est-ce qui va provoquer le changement d’échelle ?

JLB : En 1980, Jimmy Carter arrive au pouvoir et lance un programme fédéral de R&D sur le solaire de 157 millions de dollars.  Des centaines de bâtiments photovoltaïques furent construits. Parmi les références historiques, retenons le village indien de Schuchuli (Arizona) qui fut la première communauté autonome grâce à l’énergie solaire ou la centrale de Carrisa Plains (Californie), 6,5 MW avec suivi du soleil sur deux axes. Parmi les Etats américains, la Californie émergea comme leader, offrant notamment des crédits d’impôts encore supérieurs à ceux de l’Etat fédéral. L’industrie suivit le mouvement et la capacité de production monta à 25MW en quelques années. Et patatras ! L’arrivée de Ronald Reagan cassa cette belle dynamique. Heureusement l’Allemagne et le Japon dans une moindre mesure prirent le relais.

« Connecter du photovoltaïque au réseau, c’est comme injecté le sida à un être vivant »

PS : Attardons-nous sur l’Allemagne…

JLB : A partir de 1974, le programme allemand a été conçu sur la base de 3 phases : la phase recherche (1974-1989), la phase démonstration (1989-2000) puis la phase commerciale. En 1989, Walter Sandtner s’est vu confier par le gouvernement allemand la responsabilité de lancer le programme 1000 toits photovoltaïques qui furent en réalité 2200. Il fut lancé sur tout le territoire en coopération avec 16 Länder et des instituts de recherche. A cette époque n’existaient que 6 toits photovoltaïques connectés au réseau. Ce programme fut l’occasion de démontrer que l’on pouvait valoriser l’énergie solaire sans consommer d’espace, de formuler des normes concernant les onduleurs, d’organiser un monitoring scientifique des installations et de diminuer de 30% le coût des installations sur la durée du programme. L’Allemagne était mûre pour lancer l’étape suivante, le coup décisif, les 100 000 toits photovoltaïques. Pour faire accepter un tel programme, il fallait un homme d’exception. Ce fut Hermann Scheer, député SPD du Bundestag, ardent promoteur des énergies renouvelables depuis de longues années. 7 ans de bataille politique furent nécessaires pour lancer ce programme. Le solaire allemand était sur les rails.

 

PS : Que se passait-il en France sur la période ?

 

JLB : J’ai connu Photowatt en 1979, à l’époque où mon entreprise construisait une pompe solaire pour Tombouctou. La puissance de la pompe : 1,5 kWc, le CA d’une année. En fait, à la fin du siècle dernier, la France était une puissance solaire. Le président Giscard avait créé le COMES (Commissariat à l’énergie solaire) en 1978. Photowatt est fondé un an après, en 1979, dans le contexte des chocs pétroliers et autour de deux marchés cible : les pays en voie de développement  et l’industrie spatiale. Dans les années 90, Photowatt était même positionné comme le quatrième fabricant industriel mondial de modules photovoltaïques avec un vrai savoir-faire. Ce qui a largué la France, c’est le raccordé réseau auquel aucun grand ponte de l’énergie ne voulait croire dans l’Hexagone. En France, le premier site raccordé l’a été en 1992 par l’association Hespul, une installation de 1 kW qui existe d’ailleurs toujours. L’ADEME avait lancé un programme de six toitures de 3 kWc. En fait, en ces temps-là, la France a toujours refusé de se lancer dans ce marché du raccordé réseau en raison des prix élevés et par dogmatisme. Pour vous dire, un cadre renommé du département R&D d’EDF avait même commis cette infâme comparaison : « Connecter du photovoltaïque au réseau, c’est comme injecté le sida à un être vivant ».  En 2001, Jospin met en place un tarif d’achat volontairement fixé trop bas que j’ai en vain tenté de négocier à la hausse. Ce n’est qu’en 2006, sous Villepin que sortira un tarif d’achat vraiment incitatif à 550 euros le MWh avec cette fameuse obligation d’intégration au bâti.

 

« Un moratoire sanglant et dévastateur »

 

PS : Une façon indirecte de là encore ralentir le marché ?

 

JLB : Quand je me promène en Allemagne, je me dis que l’intégration a quand même eu des bons côtés sur le plan esthétique. Maintenant, je vous l’accorde cela a aussi été une façon de ne pas trop encourager le développement du PV. Cela a indéniablement compliqué les choses. Reste que l’attrait de ce tarif a été à l’origine d’un emballement du marché et d’une file d’attente de 6 GW auxquels le gouvernement a répondu de manière sanglante en suspendant le dispositif tarifaire via un moratoire dévastateur. Résultat ; la filière est passée de 30 000 à 10 000 emplois en moins de deux ans, en parallèle du Grenelle de l’Environnement qui avait suscité beaucoup d’espoir. L’entreprise Evasol qui avait misé sur le résidentiel en a été la principale victime. Les développeurs de grandes centrales ont pour leur part été résilients face à cet épisode épouvantable et certains comptent aujourd’hui parmi les leaders mondiaux comme Akuo ou Neoen. Ils s’en sont sortis plus forts.

 

PS : Certes, mais les professionnels s’en seraient bien passé ?

 

JLB : Dans cette histoire, la responsabilité de l’Etat est écrasante. Borloo, alors ministre de l’écologie, et Jean-François Carenco son directeur de cabinet, ont laissé pourrir la chose. Il était trop facile d’accuser les entreprises de s’en être mis plein les poches. Lors de la commission Aubert de 2019 sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables, l’actuel ministre des outre-mer a d’ailleurs avoué « battre sa coulpe » à propos de ce malheureux épisode.

 

« Je demeure très optimiste »

 

PS : Aujourd’hui, la France demeure le mauvais élève de la classe européenne pour le développement des ENR. Pourquoi selon vous ?

 

JLB : Pour beaucoup de nos élites politiques, la place (démentielle) (étouffante) du nucléaire obscurcit toutes les réflexions. Premier point, l’énergie ne se résume pas à l’électricité. Second point : l’électricité ne réside pas dans la seule énergie nucléaire qui est vue comme abondante, propre et compétitive. Beaucoup de politiques de droite et du Rassemblement National mais aussi des hauts fonctionnaires de l‘administration plébiscitent le nucléaire et préconisent son développement. Cette idée a aussi germé dans la tête du président Macron. Le discours de Belfort est emblématique sur le sujet. On l’a vu aussi pour la loi d’accélération votée le mois dernier. Nos parlementaires ont inventé le jeu du labyrinthe avec la planification territoriale et les zones d’accélération. L’interdiction de défricher plus de 25 hectares de forêts pour installer du solaire montre aussi le « statut privilégié du photovoltaïque ». Ce sont des dispositions clairement anti solaires. Malgré tout cela, je demeure très optimiste pour le solaire. La demande de la société, des particuliers, des entreprises, des collectivités est très forte. Le développement du solaire va s’accélérer contre l’avis de nos parlementaires et de notre administration encore trop pro- nucléaires. J’en suis convaincu !

 

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