A la fin du printemps 2017, le redressement judiciaire de la société allemande SolarWorld a fait l’effet d’une douche froide. La filière photovoltaïque européenne n’a qu’une crainte : que la dégringolade généralisée des prix de marché ne finisse par la faire disparaître dans sa globalité. Pendant ce temps, la résistance s’organise afin d’éviter que l’Europe ne soit absente d’un des marchés de l’énergie les plus prometteurs des futures décades. Actions-réactions !
Les fabricants de modules européens ne sont pas à la fête. La longue litanie des entreprises qui ont mis la clé sous la porte s’est allongée au fil des années. Parmi les dernières défaillances en date qui comptent Sillia en France et bien sûr le géant au pied d’argile germanique SolarWorld placé en redressement judiciaire au printemps 2017 et repris depuis par un groupe Qatari, non sans une sérieuse attrition des effectifs. Que se passe-t-il donc au sein de cette industrie photovoltaïque mondiale ?
« L’aveuglement de l’administration européenne sur le potentiel réel du PV »
De 2013 à fin 2015, le marché mondial du photovoltaïque relevait de l’honnête compétition, relativement stable, avec des prix maintenus à des niveaux raisonnables. Un marché en équilibre ! « Et puis patatras, début 2016. Nous avons assisté à une croissance phénoménale de l’offre au rythme de la croissance effrénée des capacités de production sur fond d’incertitudes sur le marché global du photovoltaïque. Ce qui devait arriver arriva. Dès le deuxième trimestre 2016, les prix ont plongé et se sont littéralement effondrés autour des 30 à 35 cents de dollar le W » souligne Gaëtan Masson,, directeur et vice président European PV Technology et Innovation Platfrorm à Bruxelles. De semestre en semestre, les industriels ont vu leurs marges s’éroder de manière significative et les bilans tourner au rouge. Les résultats financiers de nombreux groupes ont affiché des pertes colossales début 2017. « Certains sont même sortis de la bourse pour ne pas avoir à publier leurs résultats » poursuit Gaëtan Masson. Une gabegie sans nom ! Le cocktail offre pléthorique couplé au manque de lisibilité sur les marchés mondiaux a fait son Å“uvre. Les marchés chinois, américains et japonais se sont tassés. Le FIT (tarif d’achat) s’est considérablement tari en Europe. « En Europe, nous devons faire face à l’aveuglement de l’administration sur le potentiel réel du PV et sur la façon dont il doit être soutenu. L’Europe pèse aujourd’hui 10% sur un marché mondial de 100 milliards de dollars, marché dont elle a largement financé le développement dès les années 2000 grâce au FIT. Pour les politiques particulièrement frileux à soutenir le PV, il est logique de laisser filer ses fleurons industriels. On sent que l’Europe n’en veut plus vraiment. Nous allons nous priver d’une des technos qui est, avec l’éolien, le fer de lance pour décarboner la planète, et ce, sous prétexte qu’il faut sauver les électriciens conventionnels » s’agace Gaëtan Masson.
Simplifier l’accès au financement
Une chose est sûre et tous les experts se l’accordent. Si l’Europe ne soutient un tant soi peu le photovoltaïque, c’est l’ensemble de la chaîne de valeur qui tendra à disparaître. « C’est un crève-cÅ“ur. Nous disposons encore de solides compétences et de très bons équipementiers dans ce secteur. Que deviendront ces derniers si nous n’avons plus de sociétés auxquelles vendre les équipements ? » questionne Gaëtan Masson à l’heure où les Chinois déploient des plans quinquennaux en vue d’être autonome en matière d’équipements industriels. Pour demeurer au niveau dans cette compétition planétaire, il n’existe pas de solution miracle mais plutôt une kyrielle de petites solutions. Mais encore faut-il vouloir faire de l’industrie PV une priorité et la soutenir par des aides d’Etat ! La micro-électronique et le Big Data disposent par exemple d’un outil stratégique soutenue par la Commission et les Etats européens, l’IPCEI (Important Projects of Common European Interest), pour éviter de laisser passer le train du progrès numérique. « Nous voyons des usines de micro-électroniques qui reviennent s’installer en Europe » assure Gaëtan Masson. Autre artefact récurrent soulevé par le vice-président European PV Technology, l’accès au financement qui est au cÅ“ur du développement des projets. Il doit être simplifié en Europe. « En Chine, en Corée, le financement a atteint une autre dimension. Le chinois Longi est en train de développer une usine de 10 GW de wafers. Dans le même temps, Nexwafe, une spin off du Fraunhofer, lance une usine de wafers avec des technos innovantes pour une puissance de 250 MW qu’elle a du mal à financer. Difficile à cette échelle de réduire les coûts de production. L’avantage compétitif des asiatiques leur permet de prendre le lead sur le marché face aux impérities des européens à financer » souligne Gaëtan Masson.
Soutenir la R&D
Parmi les autres solutions pour sortir l’industrie PV européenne de l’ornière, le directeur de la plateforme européenne d’innovation prône un soutien actif à la R&D sur le photovoltaïque. L’Europe dispose des centres de recherche parmi les meilleurs du monde, très en pointe sur les technos à l’instar de l’INES par exemple. « Ces organismes commencent à être sous financés par les Etats avec à la clé un appauvrissement de la recherche. Alors que nous avons besoin de nouveautés compétitives sur le marché pour inonder la chaîne de valeurs, des labos vers les équipementiers et les industriels. Si tel n’est pas le cas, nos industriels en position très fragile seront à la merci des acteurs asiatiques » confie Gaëtan Masson. Au-delà de la R&D, l’Europe doit également trouver une façon intelligente de favoriser les produits fabriqués sur son sol synonymes de création d’emplois et de jobs longs termes bien rémunérés dans le PV. « Sans instaurer de protectionnisme, nous pouvons faire des appels d’offres intelligents avec des Ecolabels, des empreintes carbone ou favoriser les innovations BIPV, le PV sur route avec Colas ou encore la digitalisation et les services annexes » insiste-t-il. Mais hélas la logique des appels d’offres qui met une pression phénoménale sur l’industrie est tout autre. Elle est allée trop loin et ne favorise en rien l’industrie européenne dans une logique de prix toujours plus bas. Faut-il en sortir ? « Nous sommes allés dans une mauvaise direction. Je comprends les développeurs mais ils ont commis une erreur. Ils vont être de plus en plus obligés de fonctionner dans un marché limité qui va se contracter. Ce mode de fonctionnement a également considérablement contribué à affaiblir la motivation des politiques à développer le PV tout cela sous l’influence des électriciens dominants » admet Gaëtan Masson. Et si l’autoconsommation qui n’est pas un produit financier pouvait aider au maintien et à la survie de l’industrie PV en Europe ? « Dans l’autoconsommation, le facteur prix n’est pas le plus important. De plus, avec l’augmentation des coûts de l’électricité en Europe, les panneaux européens demeurent compétitifs. Cela fait partie des solutions, une pierre à l’édifice de la relance industrielle européenne » conclut Gaëtan Masson. Mais n’est-il déjà pas trop tard ?