Début octobre, les dirigeants de CorsicaSole, enfants de l’île de Beauté, ont inauguré la centrale solaire de Giuncaggio (Haute Corse) de 5 MWc couplé à un système de stockage Tesla de 7,5 MWh. Cette centrale fait partie d’un ensemble de 4 entités PV (13 MW au total) constituant le plus important programme  solaire photovoltaïque avec stockage jamais réalisé en Corse. Des solutions technologiques innovantes susceptibles de valider l’option d’un modèle énergétique Corse indépendant à l’heure de la révision de la PPE insulaire… Enquête !  Â
« Voici la Corse que nous voulons et que nous voulons mettre en lumière ». Jean-Guy Talamoni, président de l’Assemblée de Corse, ne tarissait pas d’éloges lors de l’inauguration en ce début d’automne de la centrale solaire sur trackers, couplée à une solution de stockage Tesla, développée par la société Corsica Sole. Il faut dire qu’à travers cette démonstration de technologies innovantes, le fervent indépendantiste pouvait enfin très concrètement toucher du doigt un moyen d’accession à la tant désirée indépendance énergétique, zéro carbone, de  l’Île de Beauté, corollaire indispensable des indépendances politique et économique. « La Corse peut ne pas être qu’une périphérie raccordée, suivant l’exemple de l’Islande qui alimente l’Angleterre. La collaboration avec Tesla montre que le monde d’aujourd’hui offre de multiples opportunités d’émancipation, en mêlant des technologies venues d’ailleurs mais aussi des savoir-faire d’ici, avec CorsicaSole, le laboratoire Myrthe et l’Université de Corte. Fort de cette réalité, je réaffirme l’objectif du zéro carbone, 100% local, mais bien avant 2050. Il y a urgence pour la Corse. Cette date est trop éloignée, ce n’est pas raisonnable. Il faut réduire ce temps, accélérer, et nous en avons les moyens en privilégiant les énergies renouvelables justement. Et c’est ce que nous allons faire. C’est une priorité absolue » poursuit avec détermination Jean-Guy Talamoni.
La possibilité d’une île indépendante énergétiquement
A travers la tonalité du discours de Jean-Guy Talamoni, il relevait de l’évidence que cette inauguration de la centrale de Giuncaggio était bien plus qu’une simple  inauguration. Il se jouait là tout bonnement l’avenir énergétique de la Corse, la possibilité d’une île indépendante énergétiquement à l’heure où la nouvelle PPE de la Corse entre en discussion. Pus qu’une centrale d’ailleurs, c’est l’ensemble d’un programme solaire avec stockage, le plus grand jamais réalisé en Corse, que l’aréopage de personnalités politiques et économiques de l’île est venu saluer et plébisciter. Giuncaggio (Haute-Corse) fait en effet partie d’un ensemble de 4 centrales. En cumulé, il représente une puissance photovoltaïque de 13 MWc et une capacité de stockage de 20 MWh. Ces centrales sont lauréates depuis 2016 de l’appel d’offre 1 de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) pour les ZNI (Zones Non Interconnectées 2 ) paru en 2015 (voir encadré). Elles bénéficient des mêmes technologies qui mêlent panneaux solaires à haut rendement, stockage et smartgrids. Ce programme pourra alimenter en énergie 4000 foyers, soit près de 10 000 personnes, pendant un an. Et ce bouquet d’installations de laisser entrevoir un « véritable changement de paradigme opérationnel autour d’une mutation radicale des modes de production d’énergie pour une Corse nouvelle qui se dessine ici dans le concret » dixit Jean-Christophe Angelini, président de l’Adec (Agence de Développement Economique de la Corse). Et d’évoquer dans son discours d’inauguration « les fonts baptismaux au cœur d’un site appelé à faire école pour atteindre cet objectif politique d’autonomie énergétique à horizon 2040-50 ». « Nous devons être unis dans la durée, harmoniser les niveaux de décisions et poser un acte de foi en évitant de s’enkyster dans des contraintes insurmontables. Nous le devons au nom des générations futures» poursuit Jean-Christophe Angelini.
La problématique de l’acceptabilité sociale du solaire
La Corse terre de soleil n’est ainsi pas forcément très accueillante pour l’énergie solaire en raison des problèmes de limites d’acceptabilité sociale qu’elle soulève. Comme partout me direz-vous, mais cette problématique est certainement plus prégnante encore dans l’Îe de Beauté. Par culture, par cette quête effrénée de protection des paysages et des territoires. Et même si Jean-Guy Talamoni confie qu’avec le solaire la notion de site industriel écologique ne relève plus de l’oxymore, les réticences demeurent. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si ces projets de Corsica Sole ont pu voir le jour sur les terres de la commune de Giuncaggio. Les instigateurs du projet, trois amis d’enfance, ont usé leurs fonds de culotte dans la pierraille du maquis local. Des jeunes que les édiles locaux ont vu grandir et qui ont su, par pédagogie et capacité d’écoute, gagner la confiance de leurs aînés en charge de la destinée des communes concernées. Philippe Marchioni (74 ans), maire de Giuncaggio ne cache d’ailleurs pas que ce projet avait suscité des inquiétudes auprès des populations. Il a fallu convaincre tout au long des cinq ans de développement du projet avec une demande d’urbanisme réalisée tout de même en 2015. « Le projet porté par la créativité d’acteurs locaux de talent a été accepté car il a été partagé. Sur Giuncaggio, il a pris place sur une ancienne carrière, éloigné des habitations. Il s’agit là d’une énergie renouvelable, propre et silencieuse qui donne une image moderne et dynamique de notre commune. Nous en avons approuvé la réalisation avec à la clé une ressource annuelle de 25 000 euros qui sera mise à profit pour renforcer l’environnement paysager de Giuncaggio » confie le premier magistrat.
Tous les feux sont au vert pour atteindre l’autonomie énergétique de la Corse
Paul Antoniotti, président et Michael Coudyser, directeur général, également fondateurs de Corsica Sole, sont en quelques sortes prophètes en leur pays. Leur société s’est imposée, à ce jour, comme le premier producteur indépendant d’électricité de l’île, l’acteur de référence. Corsica Sole est également le premier exploitant de moyens de stockage en France avec 60 MWh. Sur leur terrain de jeux de Corse du Nord, chez eux au village, ils ont donc développé des centrales de nouvelle générations avec stockage qui fonctionnent de jour comme de nuit, en partenariat avec des leaders mondiaux Tesla, SunPower, Nidec et avec des acteurs locaux comme Corse Travaux pour le génie civil. Une révolution industrielle et économique avec un kWh solaire + stockage qui s’affiche à 10 centimes d’euro ! Ils sont également à l’origine d’une première mondiale avec la création en Corse du Parasol solaire pour recharger des voitures électriques sur la première route solaire intelligente, en 2016, avec leur filiale Driv’Eco.  Pour ces jeunes chefs d’entreprises, le temps du solaire est venu, alors que se profile la révision de la PPE. Une opportunité impérieuse pour le photovoltaïque et l’emploi à saisir d’urgence. « Un plan massif d’investissement lors de la révision de la PPE peut permettre au solaire de prendre le relais des énergies fossiles. Nous avons réalisé une étude qui prouve qu’il est possible de remplacer une centrale fossile de 125 MW en installant 875 MWc de centrales photovoltaïques couplés à  1000 MWh de stockage. Il s’agit d’un objectif raisonnable et atteignable en 10 ans. En matière de foncier, cela ne représente qu’un millier d’hectares. Tous les feux sont au vert pour atteindre l’autonomie énergétique de la Corse » s’enthousiasme Paul Antoniotti.
Un milliard d’euros d’investissement, 1 000 emplois directs et permanents basés en Corse
L’étude montre également que cet ambitieux programme représenterait des travaux d’un montant d’un milliard d’euros, dont 300 millions d’euros seraient directement confiés à des entreprises Corse du secteur du BTP. « Cela créerait près de 1000 emplois directs et permanents basés en Corse. Si l’on prend l’exemple de Corsica Sole  créée il y  a 10 ans en Corse, elle compte aujourd’hui près de 50 salariés et 25% de ses ingénieurs sont issus de l’université de Corse. Ce projet serait aussi l’occasion de créer une filière de compétence en Corse qui pourrait s’exporter dans le monde entier. L’année prochaine, Corsica Sole aura autant de centrales à l’extérieur de Corse que sur l’île, en métropole – 10 MW à Saint-Arnoux Saint-Auban, dans les Alpes-de-Haute-Provence sur un site SEVESO -, à la Martinique ou à La Réunion » poursuit Michaël Coudyser. Et la puissance de 125 MW mise en avant par les deux chefs d’entreprise, n’a pas été choisie par hasard. Elle correspond à la nouvelle puissance retenue pour la prochaine centrale au gaz naturel qui devrait remplacer l’actuelle centrale à fioul lourd d’Ajaccio. A l’heure du choix, les deux ingénieurs apportent une solution sur un plateau. Prématurée ! Même pour  Jean-Guy Talamoni qui demeure favorable à la construction de la centrale au gaz pour gérer au moins la transition à venir. « Je ne vois aucune contradiction, aucune antinomie entre la réalisation de la centrale dont la puissance a déjà été divisée par deux et l’objectif d’autonomie. Il s’agira d’un outil de base qui permettra de marier gaz et EnR par besoin de sécurisation, pour éviter de prendre un quelconque risque durant la période intermédiaire » confirme Jean-Christophe Angelini. Aujourd’hui, la Corse compte 150 MW de capacités solaires installées. La future PPE de Corse dont le premier jet est attendu fin décembre devrait proposer une capacité solaire de 200MWsupplémentaires à horizon 2028. Ne doutons-pas que les discussions autour de ses objectifs seront particulièrement animées…
Encadré
La centrale de Giuncaggio dans le détail       Â
Le site de Giunccaggio, avec ses 5 MWc de puissance et ses 7,5 MWh de stockage garantis 25 ans (8,2 MWh réellement installés), produira chaque année environ 7.000 MWh d’électricité, soit l’équivalent de la consommation de 1500 foyers pendant 1 an. Cette énergie est fournie par environ 25 000 m² de panneaux solaires disposés sur 6,5 hectares. La centrale affiche des performances énergétiques et environnementales optimisées. Elle bénéficie tout d’abord des batteries lithium-ion « Powerpack » de TESLA. Le Powerpack est un système de stockage d’énergie clé en main plug&play entièrement intégré combinant des batteries lithium-ion, un convertisseur de puissance et un système de contrôle et de gestion de la température. Les systèmes Powerpack sont modulables et peuvent facilement offrir une plus grande puissance disponible ou une plus grande capacité, permettant de concevoir des systèmes flexibles allant de 200 kWh à 100+ MWh. Des dalles en béton ont d’ailleurs été construites pour accueillir si besoin de nouveaux modules de batteries. *
La centrale est constituée de panneaux à  haut-rendement SunPower, Ils utilisent une technologie de silicium monocristalline à architecture back-contact ce qui permet de limiter les pertes  dans les cellules et donc d’augmenter l’efficacité du module. Fabriqués en partie en France, ces modules ont un bilan carbone optimisé pour le marché français sur l’ensemble de leur cycle de vie. Les panneaux solaires ont une durée de vie moyenne de plus de 30 ans et se recyclent à 100 %. Les panneaux sont enfin montés sur des trackers. Avec ce dispositif, les panneaux pivotent tout au long de la journée, accompagnant le déplacement d’Est en Ouest du soleil et réussissant un captage optimisé des rayonnements solaires. Un gain de production d’électricité de 10 à 20% est ainsi obtenu.
Enfin, un pilotage intelligent par des smartgrids permettent de consommer du solaire de jour… comme de nuit. Giuncaggio bénéficie d’un système de smartgrids particulièrement perfectionné. Fruit du savoir-faire de Corsica Sole l’EMS (Energy Management System), est le cerveau de la centrale :
Jour J-1 : l’EMS réalise un pronostic optimisé de production. L’EMS de Corsica Sole va analyser les prévisions météos et l’ensoleillement pour estimer l’irradiation que recevra la centrale et calculer de manière particulièrement fine la production. Il exploite aussi les données sur l’historique de production de la centrale pour  améliorer en permanence ce diagnostic. Passage d’un nuage, saisons, inclinaisons des panneaux, historique : tout est pris en compte pour définir un pronostic de production extrêmement précis. Corsica Sole va ensuite s’engager sur des livraisons d’électricité au gestionnaire du réseau à la minute près. En cas d’écart supérieur à 5%, des pénalités sont prévues par la CRE. Grâce au stockage, la centrale va pouvoir fournir de l’électricité à  tout moment de la journée et de la nuit, en fonction des besoins de l’opérateur.
Jour J : l’EMS effectue en temps réel le pilotage de la centrale. L’EMS va piloter la puissance qui est délivrée au réseau électrique en  réalisant l’arbitrage entre injection directe d’électricité sur le réseau ou stockage/déstockage. L’EMS est constitué principalement de 2 ordinateurs synchronisés : l’un est directement implanté sur le site de la centrale et un autre ordinateur de secours contrôle ce que fait le premier et peut intervenir en cas de défaillance. Une partie de l’électricité est injectée directement sur le réseau. Elle peut être déstockée à tout moment notamment au pic de consommation, là  où la demande est la plus forte et les tarifs les plus élevés.