Décryptage des experts de Mazars sur la renégociation des tarifs d’achat d’électricité solaire

Les équipes Énergie & Environnement de Mazars décryptent l’article 255 de la Loi de Finances 2021 sur la renégociation des tarifs d’achat d’électricité solaire. Un dispositif de soutien public qui fait débat au sein d’une filière représentant aujourd’hui 1,8%1 du mix électrique français.

Source de débats au sein des institutions législatives françaises, l’article 225 de la Loi de Finances pour 2021 a été définitivement adopté lors de la session parlementaire du 17 décembre 2020 puis validé par le Conseil constitutionnel le 28 décembre 2020. Introduit au sein de la Loi de Finances pour 2021 par ordonnance gouvernementale suite à différents avertissements adressés par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et le Comité de gestion des Charges de Service Public de l’Electricité, cet article vise à renégocier les tarifs d’achat d’électricité accordés aux producteurs d’énergie photovoltaïque et thermodynamique via les contrats conclus avec l’Etat entre 2006 et 2010.

Les contrats d’achats à tarif obligatoire : un dispositif de financement public nécessaire à l’industrialisation de la filière photovoltaïque

 

Le déploiement à grande échelle de nouvelles technologies, consistant à passer de la production de prototypes à un volume industriel, entraîne mécaniquement un effet de série source de gains économiques, mais nécessite initialement un soutien financier important. De fait, pour garantir une croissance importante de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique français, et plus spécifiquement massifier la filière de production d’énergie solaire, l’Etat a mis en place un dispositif de soutien public s’articulant autour de deux axes clés :

 

  • instauration de tarifs d’achat obligatoire de l’électricité produite (définis par arrêté tarifaire)
  • signature de contrats d’achat d’électricité définis pour une durée de 20 ans.

 

Instaurés en mars 2002, les contrats d’achat à tarif obligatoire ont permis aux acteurs de la production d’énergie photovoltaïque de se développer dans un environnement commercial favorable. A titre d’exemple, l’application de l’arrêté tarifaire du 10 juillet 2006 a permis aux producteurs d’énergie solaire de garantir d’un prix d’achat de l’électricité avantageux combiné à une prime à l’intégration au bâti2 pouvant atteindre jusqu’à 273 euros par MWh en France métropolitaine pour les contrats signés en 2009. De fait, à cette période, l’Etat français a signé de nombreux contrats d’achat d’électricité à des tarifs pouvant atteindre jusqu’à 601,76 euros par MWh produit (prime inclue).

2009

 

En 2020, les modalités d’accès à ce dispositif de soutien public ont évolué afin d’être accessibles uniquement pour les projets dont la puissance installée est inférieure à 100 kWc. Par conséquent, les projets affichant des capacités plus importantes doivent trouver d’autres solutions commerciales leur permettant de valoriser au mieux leur production.

 

Une décision motivée par la constatation d’une rentabilité élevée

 

Si les prix pratiqués aujourd’hui semblent particulièrement bas comparés aux prix appliqués en 2009, ils résultent en partie du développement de la filière qui peut-être à présent qualifiée de mature et rentable et qui, par conséquent, n’a plus besoin de soutiens importants. En effet, le financement de projets de recherche et développement, via les revenus générés par les contrats de vente très rémunérateurs mis en place dès 2002, ainsi que l’expérience acquise au cours des années par les acteurs de la filière, ont permis de réduire significativement les coûts des installations destinées à la production d’énergie solaire. Parallèlement, il est important de constater que la stratégie de production à grande échelle de modules photovoltaïques mise en place par la Chine a permis à tous les acteurs de profiter d’un effet de série et à l’Etat français d’ajuster les tarifs d’achat obligatoire de l’électricité en conséquence.

Cette baisse des coûts d’installation, à hauteur de – 77% en France depuis 2010, a permis aux producteurs d’énergie solaire photovoltaïque de développer des centrales de production rentables malgré un prix de vente de l’électricité bien inférieur à ceux pratiqués de 2006 à 2010. Cependant, l’étude des marges dégagées par la production d’électricité solaire photovoltaïque en 2009 nous permet de comprendre la volonté de l’Etat de remettre en cause les modalités des contrats signés de 2006 à 2010 garantissant aux producteurs une rentabilité élevée, et ce, pour une durée de 20 ans.

 

Les primes d’intégrations au bâti, mises en place afin de préserver les ressources foncières du territoire national, sont les principaux vecteurs de rentabilité pour les producteurs concernés. Malgré un surcoût d’installation évalué à environ 11% (pris en compte dans ce graphique), l’installation de modules photovoltaïques sur bâtiment fut source de revenus inégalés dans le domaine de l’énergie. Par conséquent, même si l’Etat ne l’a pas indiqué clairement au sein de la Loi de Finances pour 2021, il semblerait que ces installations soient les plus concernées par la renégociation de leur contrat d’achat d’électricité.

Quels parcs de production seront concernés ?

 

Afin de préserver la viabilité de l’ensemble des parcs de production d’électricité photovoltaïque, l’Etat a défini différents critères visant à cibler uniquement les parcs bénéficiant de tarifs non corrélés avec les coûts d’installation observés au moment de leur construction. L’instauration d’une « clause de rentabilité » comme critère de sélection permettra à l’Etat de s’assurer de cibler uniquement les parcs dont le tarif d’achat contractualisé pour une durée de 20 ans permet aux exploitants de dégager une marge opérationnelle jugée injustifiée.

 

  • Environ 800 projets visés (dont 150 en DOM TOM)
  • Parcs de production dont la puissance crête est supérieure à 250 kWc
  • Arrêtés tarifaires concernés : 10 juillet 2006, 12 janvier 2010 et 31 août 2010
  • Instauration d’une clause de rentabilité visant à protéger les parcs les moins rentables

 

La perte de confiance des investisseurs : une incertitude soulevée par les acteurs de la filière

 

Si la renégociation des tarifs d’achat de l’électricité solaire vise à engendrer des économies budgétaires dès 2021 pour l’Etat français, certains acteurs de la filière s’inquiètent de l’impact que celle-ci pourrait avoir sur la confiance de leurs investisseurs. En effet, les financements nécessaires à l’installation de parcs solaires étant naturellement adossées aux contrats de vente d’électricité, la renégociation de ceux-ci pourrait engendrer quelques appréhensions quant à la capacité future des exploitants à honorer les plans de financement contractualisés avec leurs investisseurs ou banques partenaires lors de la décision d’investissement initiale. » Cette dégradation de la parole de l’Etat va considérablement affecter la confiance des grands noms de la finance mondiale… qui investissent massivement dans la transition énergétique chez nous » commente Nicolas Jeuffrain, président de Tenergie.

 

C’est notamment suite à la mise en lumière de ces incertitudes lors des débats parlementaires déclenchés par l’introduction de l’article 225 au sein de la Loi de Finances pour 2021, que l’Etat a souhaité rassurer les investisseurs de ce secteur en instaurant une clause de rentabilité (détaillée ci-dessus) comme critère de sélection des parcs de production. Cependant, il est tout de même nécessaire que l’Etat mette en place une communication claire et précise permettant à chacun de constater que la renégociation des tarifs en question n’engendrera pas de défaut de paiement de la part des exploitants des parcs concernés.

 

Des économies offrant de nouvelles opportunités ?

 

Si l’Etat entend réaliser des économies estimées à environ 600 millions d’euros par an sur la durée résiduelle des contrats concernés, soit en moyenne 750 000 euros par projet, il n’a pas encore indiqué clairement vers où il souhaitait flécher cette enveloppe budgétaire potentiellement disponible dans les années à venir. Deux opportunités semblent tout de même représenter un réel intérêt pour la France et sa souveraineté énergétique.

 

  1. Relocaliser la production d’équipements destinés à la production d’électricité solaire photovoltaïque et thermodynamique (Supply chain nationale)
  2. Massifier les dispositifs de financement visant à soutenir la recherche et le développement de technologies moins matures (hydrogène, etc.)

 

De nombreuses autres pistes pourraient être envisagées à condition que celles-ci aient un impact positif vis-à-vis des objectifs nationaux relatifs à la transition énergétique.

 

[1] Part du solaire dans la production totale d’électricité – RTE 2020, éCO2mix (Données : France – 2019).

[2] La prime d’intégration au bâti est attribuée aux projets dont les panneaux photovoltaïques sont intégrés aux équipements entrant dans la liste des fonctions techniques ou architecturales mentionnées dans l’annexe de l’arrêté tarifaire du 26 juillet 2006.

 

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