Quatre questions à Moez Ajmi, Associé, Energy & Resources Assurance Leader Europe West, propose son point de vue sur l’évolution de l’industrie extractive.
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PS : Si l’on devait résumer l’industrie extractive par un chiffre ou un fait en 2024, lequel serait-il ? Y a-t-il eu un événement qui a marqué le secteur cette année ?
Moez Ajmi : Fin mai est entré en vigueur un projet européen très attendu visant à structurer la chaîne de valeur de l’industrie minière, de l’extraction au recyclage en passant par les étapes de transformation des minerais. Il s’agit du CRMA ou Critical Raw Materials Act. Ce texte fait date dans la mesure où il fixe des seuils de dépendance aux fournisseurs extérieurs à l’Europe, notamment à la Chine qui domine le secteur grâce à une politique conquérante de prospection minière et des investissement massifs dans la construction d’usines de transformation sur son sol. Ce cadre est d’autant plus important que dans les années à venir, la transition énergétique demandera d’importantes quantités de métaux et de terres rares, tout comme la révolution technologique en cours (no metals no transition). Qu’il s’agisse de batteries, d’équipements de production d’énergie, de serveurs, de robots ou encore malheureusement d’armes, la demande devrait continuer à croître, et avec elle, les tensions géopolitiques. L’UE estime ainsi que la demande de métaux devrait être multipliée par six d’ici 2030 et par sept d’ici 2050 en Europe, tandis que la demande de lithium le sera par vingt et un d’ici 2050. C’est une trajectoire irrésistible qui nous engage à rattraper le retard que nous avons pris sur la Chine et les Etats-Unis.
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PS : Comment voyez-vous ces tendances évoluer dans les 3 à 5 ans ? Va-t-on assister à une course à l’extraction, comme on avait pu observer une course à l’armement pendant la guerre froide ?
MA : À moyen terme, nous allons continuer de vivre dans un monde multi-énergies, c’est-à -dire dominé par un mix énergétique où un seul type d’énergie ne sera pas en mesure de couvrir seul tous les besoins des foyers et des entreprises. Le pétrole continuera à faire partie de l’équation, car la demande sera toujours présente, mais son importance relative devrait se réduire en faveur des énergies renouvelables et de l’énergie de transition par excellence qu’est le gaz naturel. Avec l’augmentation de la demande, le prix des minerais et des métaux devrait monter tendanciellement et, en effet, il est probable que la course à l’extraction s’intensifie entre les pays. À l’instar de la Chine et des Etats-Unis, un nombre croissant d’entre eux s’intéressent de près à cet approvisionnement stratégique qui ouvre les portes d’une nouvelle révolution industrielle. C’est le cas par exemple de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, de l’Inde ou de la Norvège, mais aussi du Japon. Si des guerres ont déjà éclaté par le passé pour des ressources rares ou convoitées, dont la guerre du Golfe est un triste exemple, on peut penser qu’elles prendront davantage la forme d’une guerre économique et de tensions extraterritoriales, comme nous l’observons déjà actuellement. Le recyclage va devenir une filière industrielle de premier plan dans les économies avancées.
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PS : Ces forces en présence resteront-elles les mêmes en 2050 ? Les énergies fossiles auront-elle alors totalement disparu ?
MA : Tout dépend de la demande et surtout du centre de gravité de cette demande. Le Brésil, l’Inde, la Chine qui représentent une part non négligeable des consommateurs d’énergie dans le monde, ne partagent pas exactement la vision des pays de l’OCDE d’une transition accélérée. Seront-ils prêts à freiner leur développement pour être plus vertueux comme le prônent les pays qui ont déjà accompli leur révolution industrielle en recourant au pétrole et au charbon ? La part d’énergie fossile qui sera en déclin dans les prochaines décennies, c’est à peu près sûr, dépendra donc de la réponse à cette question. En 2050, il est également probable que nous connaissions l’émergence d’une puissante filière industrielle de recyclage des métaux, qui si l’on prend le temps de le considérer un instant, sont omniprésents dans tous les objets technologiques commercialisés et consommés en Europe. Cet impératif de recyclage et de lutte contre le gaspillage ne devrait d’ailleurs pas se limiter au secteur minier. Lorsque nous atteindrons la moitié du siècle, nous recyclerons probablement beaucoup plus largement l’ensemble des biens que nous consommons, qu’il s’agisse de textile, de téléphonie ou d’automobile. Ces filières industrielles devraient occuper un poids extrêmement important dans les économies avancées. Le défi pour les prochaines années sera donc de parvenir à construire les maillons de cette chaîne, du tri à la collecte, du stockage à la transformation et au recyclage afin que ces matériaux critiques pour notre économie puissent être réutilisés et créer de la valeur de façon circulaire.
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PS : Que doit faire la France pour faire de cette vision une réalité ?
MA : La France est sur une bonne trajectoire. Elle s’est engagée dans une stratégie de sécurisation de ses approvisionnements stratégiques et a récemment lancé un fonds d’investissement dédié aux minerais et métaux critiques. Cependant elle accuse encore un retard sensible par rapport à la Chine et aux Etats-Unis, ses principaux alliés et concurrent. Pour accélérer, l’Hexagone devrait miser davantage sur une planification en matière d’équipements et d’infrastructures pour mettre cette stratégie sur des rails. Seraient concernés par cette politique, la rénovation du parc de logement visant à réduire les émissions, les véhicules électriques et notamment leur auxiliaire direct, les indispensables bornes de recharge qui font encore défaut à notre pays. L’objectif est de faire passer à l’échelle les initiatives existantes. La France dispose d’outils, par les subventions, les crédits d’impôt recherche et plus largement la fiscalité. Il faut qu’elle les utilise pour rattraper son retard et renforcer le rôle moteur qu’elle joue déjà en Europe dans ce domaine.