Alors qu’elle fait débat et se développe en Allemagne, en Italie et en Espagne, l’autoconsommation de l’électricité photovoltaïque ne fait guère d’adeptes dans l’Hexagone. La faute assurément à un kWh électrique encore très bon marché (autour de 10 centimes d’euro) et un tarif d’achat, pour ce qui est du résidentiel en tous les cas, qui demeure élevé ! Pourtant, quelques expériences et quelques projets pointent, deçà et là , le bout de leur nez. Avec une certaine pertinence. Enquête sur une pratique qui pourrait être susceptible de redonner un élan au marché !
Quand le solaire photovoltaïque a commencé à percer sur le marché français à partir de 2006, nombreux sont les propriétaires de maisons et de bâtiments qui se sont mis à rêver d’autonomie énergétique. Comme un moyen définitif pour s’affranchir des réseaux et pour gagner une forme de liberté ! La déception n’en fut que plus grande quand ces utopistes curieux apprirent que la totalité de la production de cette électricité était destiné à être vendue. Le substantiel tarif d’achat du kWh de l’époque était en effet le seul garant d’une rentabilité économique certaine. Mais n’empêche, quelle frustration de ne pouvoir consommer le fruit de sa propre production même si dans les faits les électrons produits sont consommés in situ obéissant à la loi de la proximité. Il y a là comme un acte manqué, une évidence contrariée ! L’autoconsommation ne peut qu’être la prochaine étape de cette révolution énergétique qui a, en point de mire, la parité réseau. La volonté des consommateurs est en tous les cas avérée.
La France en retard sur l’autoconsommation
Très vite en Allemagne, le gouvernement a senti le bienfondé de l’autoconsommation qui accroît la responsabilité du consommateur vis-à -vis de sa consommation d’énergie. Il a ainsi mis en place une réglementation favorable en bonifiant fortement le tarif d’achat pour les kWh autoconsommés. Résultat. En 2009, 7000 installations soit environ 70 MW fonctionnaient suivant le modèle de l’autoconsommation. En 2010, le volume atteignait 450 MW. Aujourd’hui en Espagne et en Italie, les acteurs du solaire sont mobilisés sur le sujet. Des projets de loi sont en cours pour promouvoir l’autoconsommation notamment grâce au « Net-Metering » qui permet de déduire l’énergie injectée au réseau à celle qui sera ultérieurement consommée. Cela revient à considérer que le fournisseur rachète l’électricité au prix auquel il vend habituellement son énergie. Il est à noter que ces montages ne sont pas sans poser de problèmes en matière de taxes et de fixation du tarif et de sa périodicité. Reste que le débat existe dans ces pays. « Nous sommes surpris de voir qu’ici en France l’autoconsommation n’est pas une préoccupation, qu’il n’y a même pas de débat. La France est politiquement en retard. Il faut dire que ces dernières années l’Etat n’a pas eu de véritable vision concernant l’énergie solaire. Il est urgent de développer des pistes de réflexion pour ce marché, de mettre en place un plan pluriannuel. Le nouveau gouvernement doit montrer qu’il a envie de cela» confie Philippe Pflieger, patron de Conergy France filiale du groupe allemand éponyme. Outre-Rhin, Conergy a réalisé de nombreux tests sur l’autoconsommation. Des ingénieurs du groupe ont ainsi choisi de manière aléatoire 26 installations fonctionnant suivant le modèle de l’autoconsommation. Sur la période de consommation de juin à août 2011, le taux moyen d’autoconsommation sur la production totale d’énergie solaire s’élève à 23% avec même une pointe à 45% pour un bâtiment. Voilà qui montre la pertinence technologique d’un tel modèle ! Mais aussi la pertinence économique. En Allemagne, le coût du kWh dépasse les 20 centimes d’euro et n’en finira pas de grimper dans les prochaines années rendant le process d’autoconsommation de plus en plus séduisant.
Une phase de transition
En France, aujourd’hui, avec un coût du kWh autour des 10 centimes d’euros, le modèle économique de l’autoconsommation ne va pas de soi surtout pour les particuliers qui bénéficient encore d’un des tarifs les plus élevés du monde à 37,06 centimes d’euro. Pour rentabiliser au mieux son investissement, mieux vaut revendre l’intégralité de sa production. Un truisme ! « Pourtant, certains adeptes du photovoltaïque expriment leur désir d’autonomie. Cela ne veut pas dire qu’ils vont basculer sur le principe du site isolé avec batterie à la clé. Ce modèle n’est vraiment pas pour tout de suite. Ils vont en revanche passer par une phase de transition qui comprend les deux applications, à savoir une part d’autoconsommation et une autre part de revente au réseau. L’idée est d’être indépendant pendant la journée lorsque l’on n’est pas chez soi et que l’on continue de consommer du courant. Pourquoi ainsi, lors de cette période d’absence ne pas combler les besoins électrique via une énergie propre et gratuite, l’énergie solaire ? » interroge Laurent Cuzzaini, responsable développement business pour Conergy. Car c’est un fait, la consommation diurne lorsque les occupants du domicile sont absents, représente en pleine journée autour de 500 kWh par an. Les foyers sont équipés en moyenne d’une quinzaine d’appareils dont bon nombre demeurent en veille. Une statistique résume tout. La consommation des veilles a augmenté de 30% ces dix dernières années. Rien que le réfrigérateur et une box internet pèsent 225 kWh par an. « Le principe est par exemple d’intégrer un kit de 3, 6 ou 9 kWc de capteurs sur la toiture et de dédier 10 à 20% des capteurs, couplés à un micro-onduleur, à l’alimentation diurne de la maison pour l’autoconsommation après déclaration auprès d’EDF. L’autre partie de l’installation (80 à 90%) est destinée à la revente via un contrat d’achat classique auprès de l’opérateur. La partie autoconsommation est ainsi financée par cette revente à bon prix mais aussi en partie par les économies générées. Ce système permet dans un premier temps d’éduquer les clients à l’autoconsommation, d’en parler » poursuit Laurent Cuzzaini. Il permet d’amortir l’installation sur une durée d’environ neuf à dix ans soit très semblable au cas d’une revente globale.
Plus-value patrimoniale
Le marché de l’autoconsommation change la façon d’appréhender le photovoltaïque et fait voir les choses autrement sous le prisme plus patrimonial que financier. Il permet de sortir du modèle photovoltaïque vu comme une source de revenus. Avec le tarif d’achat, une foule de petits producteurs/revendeurs d’électricité ont créé des micro-entreprises ou des SARL, cadres juridiques pour revendre l’électricité solaire. Dans ce cadre, le solaire n’apportait pas de valeur ajoutée directe au bâtiment hormis au travers l’acquisition du label BBC ou BePOS (Bâtiment à énergie positive). Avec l’autoconsommation, les deux entités, outil de production d’électricité et bâtiment, fusionnent et entrent en synergie. On devient réellement propriétaire de sa maison et de sa source d’énergie. « L’installation photovoltaïque donne alors une vraie plus-value patrimoniale au bâtiment. En cas de vente du bâtiment, le propriétaire vend la centrale avec. Elle est d’autant valorisée » assure Philippe Pflieger. Conergy a ainsi expérimenté une autoconsommation à 100% sur la caserne militaire Carnot à Chalons-sur Saône. La caserne s’est dotée d’une centrale photovoltaïque de 26 kWc intégrée en toiture. « L’ensemble de la production est injectée sur les équipements de la caserne. Elle abonde sur les besoins au cours de la journée. Le 1er avril dernier, la centrale à produit 164 kWh dans la journée là où les besoins avoisinaient les 400 kWh sur la même période de douze heures. Sur une année, la centrale solaire, raccordée depuis l’automne 2011, produira un peu plus de 30 000 kWh soit environ 10% des besoins annuels du bâtiment dont la consommation totale s’élève à 350 000 kWh » indique Laurent Cuzzaini. Le coût de la rénovation de la caserne Carnot s’élevait à 2,5 millions d’euros le solaire pesant moins de 10% de l’investissement. Soutenable. Un exemple à suivre ! D’autant que dans le cas d’une activité tertiaire ou industrielle, c’est en plein journée que les besoins sont à leur maximum, à l’inverse du résidentiel où le climax de consommation se situe plutôt en soirée.
Une production diurne en phase avec les besoins du tertiaire, de l’industrie et du commerce
En Alsace, Marc Keller qui a mis ses compétences au service de la société Mobasolar réfléchit depuis quelques mois à relancer l’activité photovoltaïque via l’autoconsommation. Aujourd’hui, dans les tuyaux de la société, quelques projets vont dans ce sens. « Nous sommes en cours de calculs sur un projet de supermarché qui a déjà installé 75 kW d’ombrières sur son parking à Colmar. La régie locale d’électricité ne permettait pas d’injecter davantage. Le propriétaire qui a la fibre écologique veut faire plus. Nous sommes donc en train d’étudier la pose de capteurs sur le toit plat de la grande surface. Les relevés de mesures des consommations vont nous permettre d’étudier les pointes et d’établir ce que l’on va produire et pouvoir absorber. Nous allons faire de l’autoconsommation à 100% toute l’année » confie l’ingénieur. Mobasolar envisage donc de poser 200 kWc, soit 1400 m² de silicium classique, soit 2200 m² d’amorphe plus efficace sous lumière diffuse. De quoi alimenter les linéaires de froid en pleine journée estivale quand la canicule sévit sous ce climat continental. Une production diurne en phase avec les besoins ! L’installation sera juste posée sur des plots et devra répondre aux seules contraintes mécaniques loin de toute intégration souvent dispendieuse. « Si l’électricité augmente de 30% dans les cinq prochaines années comme il est prévu, le point d’équilibre d’une telle installation sera atteint rapidement et cela sans être tributaire d’un contrat pendant vingt ans » poursuit Marc Keller. Avec la baisse drastique du coût des panneaux, le compromis financier d’une telle installation paraît d’ores et déjà acceptable. Sans oublier l’image positive que pourra en retirer le supermarché. Marc Keller tient également à souligner la facilité que représentent les régies locales, un peu comme en Allemagne, pour ce type d’installation. « Elles sont plus flexibles qu’EDF. Nous avons la chance d’avoir une personne en face qui peut faire avancer les dossiers plus vite » reconnaît-il. Si le montage financier est probant, les travaux devraient débuter à l’automne.
Des réseaux électriques autonomes alimentés par des énergies
renouvelables
On le voit l’autoconsommation en France n’en est qu’à ses balbutiements. La phase de transition s’initialise. « Les perspectives de développement à moyen terme sont énormes. La montée en régime des nouvelles technologies – micro-onduleurs, monitoring box, compteur intelligent Linky et autres smart grids devraient donner un coup de fouet à l’autoconsommation. Des technologies indispensables à l’équilibre des réseaux ! » confie Claude Valbert responsable grands comptes chez Conergy. Avant le passage à d’autres étapes plus pointues encore et très attendues comme le stockage temporaire qui permet de gérer au plus juste l’auto consommation suivant les besoins. Les Allemands sont là aussi très avance sur le sujet. Le bâtiment à énergie positive se pose aussi comme l’une des pierres angulaires de l’autoconsommation. Jusqu’à l’étape ultime de l’îlotage où des quartiers entiers pourraient être reliés entre eux à travers un réseau électrique local autonome alimenté par des énergies renouvelables comme il existe déjà des réseaux de chaleur. « Les gouvernements demeurent timides sur le sujet de l’autoconsommation qui, si elle se généralise, génèrera un manque de rentrées fiscales et notamment la TVA sur l’achat d’électricité. A l’heure où les finances publiques sont en souffrance, le problème est loin d’être anecdotique. L’Espagne fait d’ailleurs face à une véritable problématique fiscale de rachat » admet ainsi Philippe Pflieger qui estime que toute hausse de l’énergie consommée va dans le sens de l’autoconsommation. Au vu des prévisions prochaines des hausses des tarifs de l’électricité, ne doutons pas que l’autoconsommation de l’électricité solaire a un bel avenir devant elle.
Pierre Genin : « Des solutions de stockage en avant-première pour InterSolar »
Comment ne pas évoquer la société SMA lorsqu’il s’agit de parler de l’autoconsommation ? La société allemande travaille intensément sur le sujet depuis des années, et autant plus intensément d’ailleurs depuis les dernières évolutions des tarifs à la baisse qui la favorise. « SMA a beaucoup accéléré son programme en Allemagne où l’autoconsommation tend à devenir naturelle avec l’arrivée de la parité réseau. Nous allons d’ailleurs sortir en avant-première pour le salon InterSolar de Munich des nouvelles solutions avec stockage qui devraient avoir un écho retentissant » estime Pierre Genin président de SMA France. Justement dans l’Hexagone, SMA a d’ores et déjà sorti début 2012 son Sunny Home Manager qui permet de déplacer la consommation sur la période de production solaire, à savoir en pleine journée, en activant certaines prises en fonction de la météo. « Ainsi équipé, il est possible d’augmenter son autoconsommation de 10%. Mais ce n’est qu’une étape, qu’un apprentissage. Les solutions avec stockage vont révolutionner l’autoconsommation avec comme argument massue la sécurisation du prix de l’électricité sur vingt ans, protégeant de la spéculation de l’énergie des réseaux » conclut Pierre Genin.