Historique et contexte (1/2)
L’article 225 de la loi de finances pour 2021 prévoit l’introduction d’un mécanisme permettant au gouvernement de modifier par arrêté le tarif d’achat de l’électricité produite par des installations photovoltaïques et thermodynamiques ayant une puissance supérieure à 250 kWc.
Créé pour permettre le développement de la filière photovoltaïque, un tarif de soutien a été adopté en 2006 à hauteur de 600€/MWh, soit dix fois supérieur au tarif du marché, garanti sur 20 ans à compter de la signature des contrats. Face à la forte rentabilité des projets, le tarif a été revu à la baisse en 2010 et un moratoire a été décidé pour mettre fin à la bulle spéculative qui s’était formée lors de l’annonce. Mais cette révision des tarifs n’a pas affecté les contrats sécurisés entre 2006 et 2010 (contrats dits S06 et S10).
Le gouvernement, à travers la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, a avancé pour justifier ce nouveau texte que les coûts de production de l’énergie photovoltaïque ont connu une baisse significative depuis plusieurs années, ce qui a créé une situation d’aubaine pour les plus gros producteurs. Le taux de rentabilité créé par cet effet d’aubaine s’évaluerait à un taux interne supérieur à 20%, correspondant à une rentabilité des fonds propres des actionnaires pouvant atteindre 80%. Cette rentabilité, créée par des aides d’État, pèse sur les comptes publics (ces aides couteraient entre 600 et 800 millions d’euros annuellement pour l’État) déjà largement déficitaires en raison de la pandémie due au coronavirus, alors que les contrats en question sont à l’origine de 0,7% de l’électricité produite.
Ce dispositif a été présenté par le gouvernement devant l’Assemblée nationale le 7 novembre dans le cadre du vote de la loi de finances pour 2021. Rejeté
à l’unanimité par le Sénat le 27 novembre, il a ensuite été réintégré à la loi de finances dans sa version définitive et voté par l’Assemblée nationale le 17 décembre. Le Conseil constitutionnel a été saisi du texte les 17 et 18 décembre sur le fondement de l’article 61 de la Constitution de 1958 par 60 sénateurs puis par 60 députés. Dans la décision 2020-813 du 28 décembre 2020, le Conseil constitutionnel a écarté les critiques dirigées contre l’article 225 du projet
de loi de finances en jugeant que l’atteinte portée par la loi au droit au maintien des conventions légalement conclues est justifiée par un objectif d’intérêt général, constitué par un motif économique et budgétaire pour le gouvernement.
I. Historique et contexte (2/2)
Le nouveau dispositif ne devrait concerner qu’une minorité de contrats, 849 contrats en métropole et 208 contrats en zone non-interconnectées, sur
235.000 contrats garantissant aux producteurs un tarif fixe sur 20 ans, soit moins de 0,5% de l’ensemble des contrats. Les contrats relatifs à des installations
en Corse ou en Outre-mer devraient faire l’objet de mesures spécifiques. Le but de cette mesure est de toucher uniquement les plus grandes installations.
Le gouvernement a souhaité exclure les particuliers (centrales ayant une puissance inférieure à 9 kWc) et les agriculteurs (dont la majorité des installations ont une puissance inférieure à 250 kWc) du champ d’application de la nouvelle disposition.
La décision a été critiquée par de nombreuses organisations de propriétaires producteurs. Ils déplorent le non-respect des engagements contractuels de l’État et exposent les conséquences négatives en prenant comme exemples négatifs la rétroactivité mise en place sur les marchés italiens ou espagnols, ou
en comparant la rentabilité jugée excessive des contrats photovoltaïques à celle des contrats autoroutiers dont les conditions financières ne sont pas revues par le gouvernement. Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a même créé le hashtag #FranceDéfiance lors de la présentation par le gouvernement de cet amendement à l’Assemblée Nationale.
II. Le dispositif en question (1/4)
La loi de finances pour 2021 prévoit que le tarif d’achat de l’électricité, produite par des installations photovoltaïques ou thermodynamiques d’une puissance de plus de 250 kWc, pourra être réduit dans des proportions et à compter d’une date qui seront fixés par arrêté des ministres chargés de l’énergie et du budget. Cet article ne s’applique qu’aux contrats conclus en application des arrêtés du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l’article 2 du décretn°2000-1196 du 6 décembre 2000.
Le tarif ainsi déterminé devra conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les installations et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celles-ci, n’excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation. Le nouveau tarif tiendra compte de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement
Le texte prévoit, par ailleurs, une clause de sauvegarde : sur demande motivée d’un producteur, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), fixer par arrêté conjoint un nouveau tarif ou une nouvelle date d’application, si l’un de ces deux éléments est de nature à compromettre la viabilité économique du producteur sous réserve que celui-ci ait pris toutes les mesures de redressement à sa disposition et que les personnes qui le détiennent directement ou indirectement aient mis en œuvre toutes les mesures de soutien à leur disposition, et dans la stricte mesure nécessaire à la préservation de cette viabilité. Dans ce cas, les ministres chargés de l’énergie et du budget peuvent également allonger la durée du contrat d’achat, sous réserve que la somme des aides financières résultant de l’ensemble des modifications soit inférieure à la somme des aides financières qui auraient été versées dans les conditions initiales. En outre, ne peuvent se prévaloir d’une demande de tarif dérogatoire les producteurs ayant procédé à des évolutions dans la structure de leur capital ou dans leurs modalités de financement après le 7 novembre 2020 (date de présentation du projet de loi de finances devant l’Assemblée nationale), à l’exception des mesures de redressement et de soutien susmentionnées.
II. Le dispositif en question (2/4)
Cette condition préalable à la demande de tarif dérogatoire de sauvegarde devrait conduire les producteurs à solliciter leurs investisseurs et banquiers afin de préserver la rentabilité des projets. Même si cette démarche de sauvegarde parait indispensable, elle semble, dans cette situation, forcée et créatrice d’incertitudes pour tous les acteurs économiques du secteur, principalement pour les producteurs d’électricité et leurs partenaires financiers et commerciaux. De plus, l’étendue des conséquences de la baisse des tarifs pour les investisseurs et banquiers et les conditions d’exercice de la clause de sauvegarde ne pourront être précisément déterminées qu’une fois le décret et les arrêtés d’application publiés. Le régime des contrats d’achat d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables est régi par les articles L.314-1 et suivants et R.314-1 et suivants du Code de l’énergie.
Les conditions de détermination du tarif sont précisées par les articles L.314-1 et R.314-12 du Code de l’énergie. Le premier article précise que le tarif est déterminé par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie, après avis de la CRE. Il précise par ailleurs que ce tarif prendra en compte les frais de contrôle, les investissements et les charges d’exploitation, et la compatibilité de l’installation à la politique énergétique régie par les articles L.100-1 et
L.100-2 du Code de l’énergie. Il est ajouté que la rémunération, correspondant à toutes les recettes et aides financières et fiscales reçues au titre des installations, ne peut pas excéder une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation. Le deuxième article précise que l’arrêté interministériel détermine le tarif d’achat de l’électricité et, le cas échant, les caractéristiques du complément de rémunération (articles R.314-33 et R.314-42 du Code de l’énergie), ainsi que le tarif de rachat en dernier recours (article R.314-52 du même Code). L’arrêté détermine aussi la durée du contrat, ainsi que les exigences techniques, financières et environnementales. L’article termine en énonçant que l’avis de la CRE doit être rendu dans le mois suivant la saisine de la Commission. Sans modifier ces articles, la loi de finances prévoit des critères alternatifs pour les contrats visés.
II. Le dispositif en question (3/4)
En outre, l’article R.314-12-1 alinéa 1 du Code de l’énergie dispose que les conditions d’achat et de rémunération sont revues annuellement, et le cas échéant révisées. L’alinéa 2 du même article précise que les révisions prévues à l’alinéa 1 ne s’appliquent pas aux contrats en cours ou aux contrats faisant l’objet d’une demande complète au jour de l’entrée en vigueur de l’arrêté. Ainsi, les conditions de rachat sont déterminées à la date de demande de contrat et ne peuvent être modifiées pendant l’exécution du contrat.
Les clauses ne peuvent être modifiées rétroactivement, conformément aux droits prévus aux articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
Citoyen du 26 août 1789 et aux objectifs de stabilité édictés par l’article 6 de la directive du 11 décembre 2018. Afin de modifier les clauses d’un contrat en cours, la puissance publique doit justifier un objectif d’intérêt général.
C’est ce qu’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 28 décembre 2020, à condition de maintenir la rentabilité des installations sujettes à cette loi. Le nouveau dispositif doit aussi maintenir une rémunération raisonnable pour le producteur. Pour le Conseil constitutionnel, cette loi permet aussi de mettre fin à une situation de déséquilibre contractuel entre les producteurs et les distributeurs, et ainsi mettre fin à l’effet d’aubaine créé au détriment des intérêts financiers de l’État. Le Conseil écarte aussi le grief de l’atteinte au principe d’égalité en énonçant que les installations ayant une puissance supérieure à 250 kWc ont une « rentabilité significativement supérieure » à celle des autres installations, justifiant ainsi la décision du gouvernement.
II. Le dispositif en question (4/4)
Cependant, l’article 54 sexies présenté dans la loi de finances encadre seulement les conditions dans lesquelles cette réduction tarifaire sera effectuée par le gouvernement. La mise en application du nouveau dispositif nécessite l’intervention d’un décret en Conseil d’État qui déterminera le cadre dans lequel la diminution des tarifs d’achat, puis l’intervention de l’arrêté qui déterminera ces tarifs à travers un barème respectant les conditions énoncés par la loi et le Conseil constitutionnel (arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, les caractéristiques techniques de l’installation, sa localisation, sa date de mise en service et ses conditions de fonctionnement).
La nécessité d’un décret en Conseil d’État et d’un arrêté interministériel signifie que, malgré l’entrée en vigueur de la loi, les tarifs versés aux producteurs ne changeront pas dans l’immédiat. Une fois l’ordonnancement légal et réglementaire publiés, il conviendra aux parties de signer un avenant au contrat prévoyant le nouveau tarif.
III. Les conséquences (1/2)
Cette nouvelle disposition soulève une difficulté concernant la définition de la « rémunération raisonnable des capitaux immobilisés compte tenu des risques inhérents à leur exploitation », eu égard aux éléments que la loi impose de prendre en compte (voir ci-dessus). Cette rémunération doit assurer la rentabilité de l’installation. Si la rentabilité n’est pas maintenue, l’atteinte portée aux conventions légalement conclues deviendrait excessive et la disposition pourrait être censurée. Le risque de censure semble limité grâce à la clause de sauvegarde, permettant une adaptation du tarif au cas par cas et ainsi le maintien de la rentabilité.
Le financement de ces installations se fait avec de l’investissement en fonds propres et avec de la dette sans recours. Ce mode de financement implique que les prêteurs ne peuvent pas se retourner contre les sponsors du projet en cas de diminution du chiffre d’affaires du projet, lui-même généré par le prix de vente de l’électricité. Les acteurs du secteur redoutent de nombreux cas de défaut qui affecteront le remboursement de la dette bancaire levée au titre des projets concernés par la réforme.
En l’état, la clause de sauvegarde ne semble pas avoir vocation à bénéficier aux projets qui ont été cédés postérieurement à leur mise en service. Or, c’est précisément ce qui s’est produit dans de nombreux cas : des acteurs du secteur des énergies renouvelables (producteurs indépendants, fonds d’investissement, etc.) ont acquis les projets en recourant à un endettement bancaire pour bénéficier d’un effet levier significatif, au-delà du financement initial des dépenses d’investissement (CAPEX) des projets. Il en résulte que la modification des tarifs ne permettrait plus aux sociétés propriétaires des centrales de rembourser leur dette bancaire. Ces sociétés seraient dès lors en état de cessation des paiements.
La rentabilité théorique d’un projet non financé ne permettrait pas de maintenir la pérennité financière des sociétés propriétaires de ces projets. Pour certains acteurs, la remise en cause des tarifs pourrait avoir un impact annuel de plusieurs dizaines de millions d’euros et menacer plusieurs centaines d’emplois.
III. Les conséquences (2/2)
Cette remise en cause de la parole de l’État est d’autant plus surprenante qu’elle intervient au moment même où le gouvernement prétend accélérer la transition énergétique. On peut légitimement s’interroger sur la réaction des investisseurs et des établissements financiers, dont le secteur des énergies renouvelables aura besoin pour développer des solutions innovantes (hydrogène, stockage, etc.). Les investisseurs, échaudés par cette remise en cause rétroactive des mécanismes de soutien, préféreront se tourner vers des marchés étrangers ou des secteurs plus sûrs.
Ces situations se sont déjà rencontrées dans plusieurs pays, notamment en Espagne, en Italie, en République tchèque et en Grèce. Les conséquences d’une telle politique sont donc connues et leurs effets négatifs ont été constatés. En Espagne notamment, la baisse des tarifs opérée en 2010 a engendré une suppression quasi complète des investissements dans le secteur photovoltaïque pendant plusieurs années et a causé la suppression de nombreux emplois dans l’industrie. La légalité de la révision tarifaire espagnole a été questionnée et le gouvernement a dû faire face à des nombreuses contestations devant les tribunaux.
IV. Les recours (1/2)
La constitutionnalité du mécanisme permettant la réduction des tarifs d’achat ayant déjà été contrôlée, il convient de se tourner vers la licéité, la conventionalité et la constitutionnalité des règlements qui seront adoptés en application de la loi. Ainsi, le décret en Conseil d’État pourra être déféré devant le Conseil d’État dans les deux mois de sa publication afin de contrôler sa conformité à la loi, aux conventions internationales, et aux principes généraux du droit (PGD). Les acteurs pourront également saisir le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une action judiciaire pour contester la conformité du nouveau dispositif avec la Constitution de 1958 à travers la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Des recours pourront également être exercés contre les arrêtés d’application de ce décret, notamment les arrêtés tarifaires interministériels. L’avenant au contrat pourra faire l’objet d’un référé-suspension, préalable obligatoire à un recours indemnitaire. Le recours indemnitaire sera possible en cas d’illégalité d’un acte ou à défaut, en raison du caractère spécialement et gravement préjudiciable aux intérêts du producteur. Ce dernier sera alors indemnisé à hauteur des préjudices qu’il aura spécialement subis, c’est-à -dire la baisse de la rémunération qui lui était en principe due.
Compte tenu des pertes que les sociétés propriétaires de centrales devraient subir, il parait quasi certain que de nombreux contentieux seront portés devant les juridictions. Ces contentieux causeront, outre une éventuelle instabilité législative et réglementaire, une perte considérable de temps et d’argent public. L’impact sera d’autant plus fort en cas de condamnation de l’État à indemniser les propriétaires de centrales à hauteur du gain manqué.
À titre de comparaison, la légalité de la réduction des tarifs adoptée par un décret de 2014 en Italie a soulevé des contentieux et a posé la question de la légalité de cette révision au droit constitutionnel italien et au droit européen. En 2016, la Cour constitutionnelle italienne a confirmé la constitutionnalité du décret. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a aussi validé cette réduction par un avis du 5 novembre 2020. L’avocat général de la CJUE a d’ailleurs précisé que les États peuvent procéder à de telles diminutions des tarifs « à condition que les objectifs en matière d’énergies renouvelables soient atteints ». La France est encore loin des objectifs fixés : selon la Programmation pluriannuelle de l’Energie, l’objectif est d’atteindre entre 35,1 et 44 GW de photovoltaïque en 2028, avec un objectif intermédiaire de 20,1 GW en 2023. On pourrait en déduire que la revue à la baisse des tarifs par la France ne serait pas conforme au droit européen en raison des retards de la France quant aux objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables.
IV. Les recours (2/2)
Concernant les aides perçues antérieurement à la baisse des tarifs, aucun remboursement ne devrait être exigé. La personne publique doit apporter une attention particulière à la motivation de sa décision car « en l’absence de tout motif d’intérêt général, la résiliation unilatérale est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité contractuelle de l’administration », le cocontractant lésé pourra ainsi demander réparation pour le préjudice subi (CAA Paris, 6°, 17 octobre 2011, n°10PA00598). Ainsi, une indemnisation est due au producteur de droit, à hauteur des dépenses engagées (achats et investissements notamment) et des gains manqués (CE, 18 novembre 1988, n°61871 ; CE, 8 avril 2009, n°82880). La théorie du fait du prince pourrait aussi être avancée par les producteurs. Il s’agit d’une théorie selon laquelle, lorsque les mesures prises par l’administration rendent directement ou indirectement l’exécution du contrat plus onéreuse, le cocontractant a droit à l’indemnisation intégrale de son préjudice. Cependant, la loi n’apporte aucune précision à ce sujet. Semblant se substituer à l’indemnisation, elle renvoie toutefois à un mécanisme d’amortissement des atteintes excessives à des situations contractuelles en cours, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 24 mars 2006, n°288460), sans fournir plus de précisions.