Point de vue par Caroline Plaza, directrice générale France, Becquerel Institut
Dans le contexte de crise énergétique et géopolitique actuel, le développement du solaire photovoltaïque est en croissance exponentielle dans le monde. Le potentiel d’implantation d’installation solaire photovoltaïque sur les terres agricoles et la manière dont il peut contribuer à atteindre les objectifs de développement des énergies renouvelables ont été mis en évidence simultanément dans plusieurs régions, soulevant nombre de contestations sur fond de sécurisation des terres agricoles à destination de l’alimentation. Un conflit d’intérêt à nuancer. En effet, l’implantation d’installation solaire photovoltaïque sur 1% des terres agricoles résulterait en une capacité installée supérieure aux objectifs de développement dans la plupart des pays.
L’intérêt des développeurs de projets agrivoltaïques et des États s’est accru, à l’unisson des réticences et des questions que ces installations soulèvent. Le potentiel du foncier agricole est inégalé en termes de puissance.
Une utilisation économe et optimisée des sols et de la lumière
Au Japon, une cartographie des terres agricoles adaptées a conclu que seulement 10% de celles-ci pourraient accueillir 440 GWc de PV, pour un marché annuel de 6,6 GWc et un objectif de puissance cumulé atour de 120 GWc en 2030. En France, 145 GWc * pourraient être installés sur 1% des terres agricoles, qui couvrent approximativement la moitié du territoire, alors que les installations annuelles ont atteint 3,4 GWc en 2021 et les objectifs hauts de la PPE sont fixés à 44 GWc en 2028. De la même manière, le potentiel de 1% des terres agricoles de l’Union européenne a été calculé entre 410 et 850 GWc tandis que 29,3 GWc ont été installés en 2021 et que l’objectif haut du plan REPowerEu est fixé à 750 GWdc en 2030. Le principe de base sous-tendant le concept d’agrivoltaïsme et celui d’une utilisation plus économe des sols et du partage de la lumière, comme pour l’agroforesterie, avec pour objectif d’augmenter la production par unité foncière en combinant la production agricole et énergétique. Différents types de systèmes PV sont mis œuvre dans le monde : centrales PV au sol adaptées en hauteur et espacement des rangées, systèmes surélevés de type ombrières, systèmes fixes ou mobiles sur un ou deux axes, centrales où des modules bifaciaux sont disposés verticalement, hangars, serres …
Un marché encore émergent : la difficile question de la définition de l’agrivoltaïsme et des stratégies de développement à établir
L’Italie a annoncé un important programme de financement de 1 GWc, des appels d’offres spécifiques incluant ces installations ont été lancés en Allemagne pour 150 MWc, en Israël pour 100 MWc.  Outre le potentiel énergétique, d’autres considérations fortes doivent être prises en compte. La sécurité et la suffisance de la production alimentaire, l’équilibre économique du secteur agricole, l’impact environnemental, l’acceptation sociale et l’adéquation territoriale doivent être évalués et façonner les futures réglementations. Après les pays pionniers comme le Japon, où le « solar sharing » est défini depuis 2003, la France, l’Allemagne et l’Italie ont publié des cadres ou des lignes directrices en 2022. Définir l’agrivoltaïque est difficile, mais une tendance est claire et on peut voir se dessiner plusieurs axes:
- les installations solaires qui permettent de conserver et maintenir la vocation agricole de la terre, habituellement entre les rangées de panneaux. L’espace entre les rangées, les hauteurs ou la mise en œuvre sont adaptées, le plus souvent avec des activités de pâturages ovin (parfois bovin) sur des prairies ou parfois des cultures de plein champ. Ces systèmes sont économiquement performants et l’électricité produite à un prix compétitif. La production énergétique domine mais la production agricole est maintenue, condition requise pour obtenir le permis d’installer la centrale sur des terres à vocation agricole.
- les systèmes photovoltaïques installées au-dessus des cultures ou de l’activité agricole. Ce double usage à la fois de la lumière et du sol impose le développement de systèmes photovoltaïques spécifiques. Ils peuvent dans certains cas changer de position en fonction des conditions météorologiques pour protéger et maintenir la production agricole au lieu de la production énergétique ou par concept, en mettant en œuvre des modules semi-transparent à la densité de cellules adaptée ou variable, permettant de maintenir un ensoleillement suffisant. Maintenir ou améliorer la production agricole ou l’équilibre économique de l’activité agricole est une condition préalable dans les différents cadres publiés pour que ces systèmes soient considérés dans la catégorie plus restrictive d’agrivoltaïsme « avancé », « dynamique », « positif ». La rentabilité de la production agricole est prioritaire par rapport à la production d’énergie. Ce type d’installation produit généralement une électricité à un coût plus élevé : coût de structure, plus faible densité, productivité concédée à l’activité agricole. De plus, la mise en place de systèmes basés sur des relevés sur site des conditions météorologiques et de sol (ensoleillement, d’hygrométrie) et des systèmes de prévision impose plus de technicité mais constitue également un outil technique pour la production agricole de précision. Dans la plupart des cadres mis en place ces installations ont accès à de mesures de soutien spécifiques.
Prendre en compte la spécificité de chaque contexte territorial, ses tensions et équilibres économiques
Les coûts et la rentabilité du système PV varient en fonction de l’importance des concessions accordées à la production agricole. Au Japon, des zones spécifiques ont été établies pour le développement de ces installations, un des premiers objectifs ayant été la lutte contre la déprise agricole. En Italie, un principe sous-jacent est celui de ne pas diminuer la valeur économique agricole de la parcelle avec la mise en Å“uvre de la centrale solaire, qu’elle soit basse ou élevée. La valeur économique générée par hectare en moyenne varie fortement selon le type d’activité agricole. Selon le dernier recensement agricole réalisé en France en 2020, la valeur de la production potentielle par hectare d’une activité de culture maraîchère, de production de fruits, de culture de la vigne, de céréales, de fourrage ou de prairies pour pâturage peut varier substantiellement. Si l’on fait un rapide calcul en prenant l’hypothèse d’une activité agricole sur 10 ha, une installation PV de 5 MWc représenterait un investissement entre 3,5 et 7,5 million d’euros selon les systèmes et générerait entre 325 000 et 520 000 euros par an selon que l’électricité soit valorisée à 50 ou 80 euros le mégawattheure. Le poids relatif des flux financier en jeu pour l’activité énergétique dans le total peut-être important.
La mise en place d’une stratégie commune de valorisation du foncier pour son potentiel à la fois agricole et énergétique doit être étudiée, en prenant en compte les spécificités agricoles territoriales, les contraintes actuelles et futures dues au changement climatique (besoin de protection contre les aléas, gestion de la ressource en eau), dans une vision d’optimisation et de sobriété de l’utilisation du sol, de l’eau et des ressources pour atteindre les objectifs d’indépendance à la fois énergétique et alimentaire.
* pour un ratio de 0,5 MWc par hectare