Ces dernières années, la France est le seul pays européen qui n’a pas respecté ses obligations en matière d’énergies renouvelables. Elle a même été condamnée pour ses manquements. Pour pallier ses impérities à atteindre ses objectifs, le gouvernement doit impérativement accélérer le mouvement, qui plus est dans l’urgence d’un été caniculaire. Un avant-projet de loi vient ainsi d’être soumis à consultations sur le sujet. Autour de pistes intéressantes et d’autres qui ne manquent déjà pas de soulever des interrogations. Décryptage.  Â
Si cet été 2022 nous impose son diktat caniculaire, l’actualité concernant les énergies renouvelables apparaît elle aussi comme particulièrement bouillante. Comme un rapport de cause à effet ! L’urgence est là . L’heure n’est plus aux tergiversations dirimantes. C’est un fait. La France accuse un retard dans le déploiement des moyens de production d’énergie renouvelable et dans la structuration des filières industrielles décarbonées par rapport aux autres pays européens. Elle ne l’est pas faute de projets. Elle l’est en raison de la lourdeur de ses procédures administratives et contentieuses. Il faut en moyenne cinq ans de procédures pour construire un parc solaire nécessitant quelques mois de travaux, sept ans pour un parc éolien et dix ans pour un parc éolien en mer. Les partenaires européens de l’Hexagone vont souvent deux fois plus vite. La France doit changer de braquet et accélérer, sans pour autant rien renier de ses exigences environnementales.
« De manière générale, ce texte va dans le bon sens »
Etant donné l’urgence de la situation en termes de climat et de sécurité d’approvisionnement sur fond de conflit russo-ukrainien, des mesures temporaires, fortes et systémiques sont indispensables pour accélérer la réalisation des projets nécessaires à la transition énergétiques. La France doit aller plus vite tout en créant les conditions de l’acceptabilité et de l’attractivité de ces projets, qui sont d’ailleurs des éléments déterminants dans leur réussite et dans le développement des projets futurs dans d’autres territoires. Réussir ce double défi suppose de lever toutes les barrières réglementaires à partir du moment où les projets sont acceptés localement, en menant un travail de simplification et de pragmatisme local dans l’accompagnement. Ce projet de loi entend ainsi répondre à ce double défi d’acceptabilité locale et territoriale d’une part et d’accélération et de simplification d’autre part. Dans son blog, Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans l’environnement, reconnaît que « cet avant-projet de loi comporte des mesures de simplification du droit qui sont, dans leur ensemble, utiles et souvent attendues des professionnels ». Il précise : « De manière générale, ce texte va dans le bon sens et comporte plusieurs dispositions importantes comme son article 18 (voir encadré) qui engage le chantier de création d’un cadre juridique relatif aux “PPA” ».
Titre I : mesures d’urgence temporaires pour accélérer les projets d’énergie renouvelable
Parmi les mesures les plus attendus de la future loi d’exception qui figure au Titre I de l’avant-projet, la réduction du temps de déploiement des projets d’énergie renouvelable, des phases initiales d’instruction jusqu’au raccordement, est clairement prioritaire. Dans ce contexte tendu, l’article 5 est plébiscité par les acteurs de la filière. Il vise à faciliter la mise en compatibilité des documents d’urbanisme. Dans l’optique d’une accélération des procédures de déploiement des énergies renouvelables et de raccordement des ouvrages au réseau électrique, plusieurs axes d’évolution significative sont proposés, permettant de gagner plusieurs mois de procédures, voire dans des cas très particuliers plusieurs années :
– passage dans certain cas d’une procédure de révision à une procédure de modification simplifiée, beaucoup plus rapide ;
– élargissement du champ de la mise en compatibilité par déclaration de projets, qui permet d’assurer la conduite simultanée des procédures au titre du plan et du projet ;
– unification des concertations publiques que les codes de l’environnement et de l’urbanisme imposent.
Une autre proposition portée par l’article 3 pourrait quant à elle soulever de nombreuses contestations. Elle permet en effet de relever plus facilement les seuils de soumission à évaluation environnementale systématique ou au cas par cas pour, le cas échéant, les porter à un niveau découlant du parangonnage européen. Ce relèvement ne pourra intervenir que dans la limite des pratiques des partenaires européens et pour une période limitée. La France soumet à évaluation environnementale systématique le photovoltaïque au sol au-dessus de 1 MWc. En Espagne ou en Allemagne, le photovoltaïque n’est jamais soumis systématiquement sur la base de tels seuils (mais peut l’être en Allemagne en cas de localisation en zone sensible). Pour Arnaud Gossement, on est là sur un terrain miné : « Pour la première fois, le législateur, s’il adoptait cet article 3 en ces termes, reconnaîtrait par avance qu’il créé un risque de méconnaissance d’un principe général du droit de l’environnement. L’utilité de cette disposition pour le travail de simplification du droit n’est pas évidente. Son risque pour la portée et l’avenir même de l’ensemble des principes généraux du droit est, lui, plus évident ». Autre mesure, de bon sens celle-là , l’extension aux projets soumis à déclaration préalable de travaux du régime de la participation du public par voie électronique (PPVE), aujourd’hui applicable aux projets relevant d’un permis de construire. Ce régime a pour objet de permettre, en pratique, aux projets photovoltaïques au sol de petite taille de pouvoir bénéficier d’une participation du public plus efficace et d’une procédure plus légère tout en préservant le principe de participation du public aux décisions en matière d’environnement, de manière strictement proportionnée aux enjeux. « Il s’agit d’une disposition de mise en cohérence bienvenue » poursuit Aranud Gossement.
Titre II : mesures spécifiques à l’accélération du photovoltaïque.
Le titre II de l’avant-projet de loi vise pour sa part à accélérer le déploiement du photovoltaïque en démultipliant les possibilités d’implantation, afin d’atteindre l’objectif de multiplier par huit la capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW à l’horizon 2050. Il vise à libérer tout le foncier disponible sans enjeux environnementaux majeurs. Au programme :
– l’installation facilitée de panneaux photovoltaïques sur les délaissés routiers et autoroutiers. L’installation de panneaux solaires est aujourd’hui interdite à moins de 75 ou 100 mètres de la route sur les délaissés routiers ou autoroutiers. Or, les surfaces en jeu peuvent être importantes. Il est donc proposé d’étendre la dérogation prévue par l’article L. 111-7 du code de l’urbanisme à toutes les installations de panneaux solaires, quel que soit le terrain d’implantation.
–autorisation dans les zones intéressant la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (dite « loi Littoral ») l’implantation de panneaux photovoltaïques au sol ou d’hydrogène renouvelable sur des terrains dégradés ou sur des stocks de saumures. L’article permet de déroger à l’article L. 121-8 de la loi Littoral dans un cadre strictement encadré : elle ne concerne que les projets situés sur des terrains dégradés ou sur un stock de saumures listés par un décret et chaque projet doit être autorisé individuellement par le préfet
–autorisation de l’implantation de panneaux photovoltaïques au sol en discontinuité dans les communes de montagne dotées d’une carte communale. En effet, les dispositions de la loi montagne ne permettent d’autoriser l’implantation de centrales PV au sol en discontinuité de l’urbanisation que sous réserve de la réalisation d’une étude de discontinuité (article L. 122-7 du code de l’urbanisme).
–obligation, au nom de l’intérêt général supérieur, d’équiper les parkings extérieurs existants de plus de 2500m² en ombrières PV sur au moins la moitié de leur surface. La surface des parkings de plus de 2500 m² est estimée entre 90 à 150 millions de m² en France : l’équipement de la moitié de cette surface en ombrières PV permettrait de réaliser une puissance installée comprise entre 7 et 11 GW. Une mesure qui a toutefois fait sursauter les acteurs de la grande distribution qui mercredi 17 août au matin dans les Echos évoquaient un changement d’échelle à 9 milliards d’euros pour les géants du commerce. « En juillet, nous avons répondu à l’appel du gouvernement pour un plan de sobriété qui vise la réduction de 10 % de notre consommation en deux ans. Quelques semaines plus tard, nous découvrons sans aucune concertation ce projet de loi au coût exorbitant », a ainsi réagi avec véhémence Thierry Cotillard, adhérent Intermarché et président de Perifem, l’association « technique » des grandes surfaces.
Cet avant-projet sorti au cÅ“ur de l’été est le début du commencement d’une réponse à l’urgence de la situation. Il fait état d’une volonté politique à faire enfin bouger les choses. Mais il demeure imparfait et incomplet, avec une grande absente l’autoconsommation. « Ce projet de loi comporte plusieurs mesures intéressantes et bienvenues pour contribuer au développement des projets d’installations solaires. Cependant, de même que les précédentes lois relatives à l’énergie qui se suivent depuis 2015, ce projet de loi ne sera pas suffisant pour engager la révolution attendue des énergies renouvelables dans notre pays, dont les taux de raccordement sont toujours trop faibles. Par ailleurs, et de manière surprenante, il ne comprend pas de mesure de simplification des appels d’offres, de l’agrivoltaïsme et de l’autoconsommation » conclut Arnaud Gossement dans son blog. Vous avez dit perfectible ?
Justement. Cet avant-projet doit encore faire l’objet de plusieurs consultations (Conseil d’Etat, Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), Conseil national de la transition écologique (CNTE), Conseil économique, social et environnemental..) avant d’être présenté au Conseil des ministres puis déposé au Parlement. Ce texte sera donc nécessairement complété, corrigé. Certaines dispositions pourront disparaître, d’autres pourront être ajoutées avant et après sa présentation en Conseil des ministres. Une fois publiée au Journal officiel, la loi devra encore faire l’objet de décrets d’application et d’une ou plusieurs ordonnances. De quoi là encore, donner du temps au temps !  Â
Encadrés
Favoriser le développement des PPA
L’article 18 vise la création d’un cadre juridique et la coordination des « Power Purchase Agreement » ou (« Contrat d’achat d’électricité ») avec les dispositions du code de l’énergie, en précisant notamment le cadre applicable à la fourniture d’électricité dans ce type de modèles contractuels. Il permet de redévelopper, pour les énergies renouvelables, des contrats comparables au contrat « Exeltium » conclu il y a dix ans afin de partager la compétitivité du parc électronucléaire existant avec des acteurs industriels, et de développer un marché de contrats de long terme décarbonés, comme y invite le droit sectoriel (directive 2019/944), tout en prévoyant des dispositions d’adaptation de ce contrat qui visent, dans un objectif d’intérêt général de préservation de la compétitivité industrielle et de l’approvisionnement décarboné d’industries critiques, à permettre d’en sécuriser l’équilibre économique. Il ouvre enfin la possibilité pour les prochains appels d’offres de soumettre des offres mixtes (avec complément de rémunération / avec PPA) comme c’est le cas dans d’autres pays (Danemark, Pays-Bas), ce qui permet de mobiliser la mise en place des contrats de long terme.
Fluidifier le raccordement
L’article 8 donne habilitation au Gouvernement pour simplifier les procédures de raccordement. Le raccordement des installations d’énergie renouvelable, mais aussi les renforcements de réseau nécessaires pour l’électrification des gros consommateurs industriels, peuvent prendre un temps important et se retrouver ainsi sur le chemin critique du calendrier de projets qui sont pourtant indispensables à la transition énergétique. Plusieurs dispositions législatives peuvent être mises en place pour réduire ces délais, mais aussi pour permettre la mise en place de zones prioritaires dans lesquelles les gestionnaires de réseau pourraient, ou devraient, anticiper certains travaux de raccordement avant d’avoir reçu des demandes des producteurs ou consommateurs. Cette anticipation permettra de faire gagner jusqu’à plusieurs années aux projets d’énergie renouvelable ou industriels, en pré-équipant certaines zones.