Interview/Jean-Jack Queyranne, Président du Conseil régional Rhône-Alpes, ancien ministre

« L’évolution de la production de l’énergie, avec le développement des ENR, implique la mise en place d’un modèle largement décentralisé »

Alors que le Salon des Energies Renouvelables se déroule à Lyon en cette année 2013, la rédaction de Plein Soleil est partie à la rencontre du président de la Région Rhône-Alpes qui est aussi le responsable du développement durable à l’Association des Régions de France. Une interview vérité autour de l’avenir l’énergie solaire en Région Rhône-Alpes et en France!

Plein Soleil : Quelles sont les raisons qui ont fait de la Région Rhône-Alpes la locomotive du solaire en France, entre milieu associatif (Hespul), centre de recherche (INES, CEA), industriels français (Photowatt, Tenesol, ECM Technologies), entreprises étrangères (SMA, SolarEdge, Yingly etc..) pour une région qui n’est pas forcément réputée pour son ensoleillement ?
Jean-Jack Queyranne : Le développement du solaire n’est pas forcément lié à la question de l’ensoleillement. Je vous rappelle que l’Allemagne est l’un des grand pays du solaire en Europe. Nous avons cependant un très bon ensoleillement plus on va dans le sud de la Région. Si Rhône-Alpes est devenue cette grande région européenne, c’est le résultat d’une dynamique durable de tous les acteurs du solaire : depuis la création de Clipsol et de Photowatt en 1979, Hespul en 1991 jusqu’à la création de l’INES en 2002.
La Région Rhône-Alpes est de son côté extrêmement volontariste : 40 millions d’euros auront été mobilisés par la Région sur INES et notre soutien à la filière, amont comme aval, est une constante de notre politique énergétique ; je pense notamment au Pôle de compétitivité Tenerrdis. J’ajoute que nous accueillons chaque année le Salon des Energies renouvelables à Lyon, qui est une vitrine de l’excellence régionale et ce, tout particulièrement dans le solaire.

« 700 emplois détruits en Rhône-Alpes »

PS : Aujourd’hui, que représente la filière solaire en termes d’économie et d’emplois en Région Rhône-Alpes ?
JJQ : Les difficultés liées au moratoire décidé par le précédent gouvernement et la concurrence très forte de la Chine ont eu des conséquences importantes sur nos entreprises et sur l’emploi : selon le SER, 10 000 emplois au moins auraient été détruits, soient environ 700 en Rhône-Alpes. Au-delà de la question du photovoltaïque, c’est également le marché du solaire thermique qui a été impacté. Les installateurs ont particulièrement été touchés : je pense notamment à Evasol qui était un fleuron de notre région.
On estime à 100 000, les emplois liés aux ENR en France. 20 à 25% de ces emplois sont en Rhône-Alpes. Et cela recouvre 450 entreprises. On ne dispose pas de mesures sérieuses des emplois dans le solaire. Il faut ajouter que le solaire, via les installateurs et les couvreurs, concerne largement le secteur du BTP.
La constitution de statistiques fiables sur le solaire, comme pour les autres ENR, est un chantier que nous devons conduire, avec l’Etat et l’ensemble des autres régions. La ministre de l’Ecologie a d’ailleurs annoncé que des indicateurs d’emplois dans l’économie verte seront régulièrement publiés à partir du mois de mars.

PS : Quelle est à l’heure actuelle la puissance raccordée au réseau en photovoltaïque en Région Rhône-Alpes ?
JJQ : Rappelons que 23% de nos consommations d’énergie sont couvertes par les renouvelables en Rhône-Alpes. C’est une situation assez unique à l’échelle nationale liée au poids de l’hydroélectricité qui représente 70% de l’énergie produite via les ENR. Le solaire (thermique et PV) compte pour environ 0,5%. Nous partons de très bas et les estimations de puissance raccordées varient de 150 MW à 200 MW. Le moratoire a donné un véritable coup d’arrêt. Il nous faut reprendre cette dynamique amorcée auparavant, dans la concertation avec les territoires et afin de conforter la filière industrielle régionale.

PS : Après des années fastes à la fin des années 2000, la filière connaît des difficultés depuis deux à trois ans maintenant avec de lourdes pertes d’emplois à la clé. La Région Rhône-Alpes a-t-elle mis en place des dispositifs de soutien à la filière ?
JJQ : Nous avons apporté dans la mesure de nos moyens, notre soutien aux entreprises de ce secteur qui connaissaient des difficultés, comme nous le faisons au cas par cas au quotidien. Nous avons également soutenu la filière notamment via la couverture des toitures de certains de nos lycées avec la préoccupation de favoriser les productions locales de panneaux notamment. J’ai demandé que nous puissions en 2013 étendre ces expériences à d’autres lycées.
Sur l’innovation, nous poursuivons, après l’INES et PV Alliance, notre soutien à la recherche. Notre mobilisation est commune à l’ensemble des ENR (production, stockage, distribution). Les grands évènements que sont le Solar Meeting et le Solar Decathlon sont également labellisés par la Région. Enfin, dans le cadre de notre compétence sur la formation, via les CFA, les GRETA, ou encore via INES Education, nous participons à l’émergence des professionnels qui occuperont demain les emplois liés au solaire.
Je veux rappeler, que le développement du solaire, comme le reste des ENR, se fait en lien avec le vaste chantier de l’efficacité énergétique dans le bâtiment : l’objectif, c’est le bâtiment à énergie positive. Nous avons mis en place un premier outil avec la SPL efficacité énergétique qui devrait permettre de réaliser 50 millions de travaux de rénovation sur les prochaines 4 années.

La Région soutient l’innovation, la recherche et la formation

PS : Etes-vous inquiet du devenir de Photowatt racheté par EDF et Tenesol qui a intégré SunPower racheté par Total ?
JJQ : Nous avons été très inquiets pour Photowatt comme nous le sommes aujourd’hui pour les fabricants de panneaux photovoltaïques de Rhône-Alpes. La concurrence asiatique touche l’ensemble de l’industrie du solaire mondiale, en Europe comme aux Etats-Unis. C’est pourquoi nous ne pouvions pas rester dans l’expectative. Les premières mesures annoncées par le Gouvernement vont dans le bon sens : il nous faut développer le marché français et européen. Cela passe par le développement de propositions commerciales intégrées (conception, installation et équipements). Cela passe également par le développement de la recherche : nous devons contribuer à l’augmentation des rendements et c’est pourquoi la Région soutient l’innovation dans ce domaine. Enfin, je veux dire l’importance que j’attache à la commande publique ; c’est le choix que nous avons fait avec les lycées.

PS : Quelle est l’implication de la Région auprès de l’INES de Chambéry ?
JJQ : C’est l’un des grands équipements de recherche de Rhône-Alpes et l’un des trois centres de recherche mondial sur le solaire. La Région s’est engagée depuis le début et nous avons mobilisé des budgets très importants. La filière photovoltaïque française possède ainsi, en lien très étroit avec le CEA, un pôle reconnu sur le plan international. C’est sur cette base que nous souhaitons développer la filière industrielle du solaire, en Rhône-Alpes comme dans le reste de la France. La formation, avec INES Education, est aussi une condition importante de notre soutien. INES est la figure de proue du développement de la filière solaire et la Région est un partenaire de premier plan de cet équipement de référence.

PS : Vous êtes responsable du développement durable à l’ARF. Vous avez demandé au gouvernement de réagir face à la situation de crise de la filière solaire qui vous concerne au plus haut point. Que pensez-vous des dernières mesures prises par Delphine Batho avec notamment le doublement des volumes cibles et une hausse du tarif de 10% en fonction de l’origine des cellules et des modules ? Vous paraissent-elles suffisantes pour maintenir la filière à flot ?
JJQ : C’est une première étape qui a été plutôt bien accueillie par les professionnels. Elle doit être confortée dans le cadre du débat national sur la transition énergétique. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un cadre règlementaire et fiscal lisible et stable. Le développement d’une filière s’inscrit dans le temps et ne peut être soumis à des évolutions erratiques en permanence. Nous avons également besoin d’une véritable stratégie industrielle, qui devra être confortée au niveau européen. Enfin, nous avons besoin d’accentuer notre appareil de formation, et les Régions sont aux premières loges dans ce domaine, pour qu’il soit mieux adapté aux besoins des ENR et du solaire en particulier.

« Trop d’appels d’offres déconnectés des réalités du terrain »

PS : Pensez-vous à l’instar de Christian Bourquin, Président de la Région Languedoc-Roussillon que les Régions devraient être davantage partie prenante au sein des procédures d’appels d’offres ?
JJQ : L’évolution de la production de l’énergie, avec le développement des ENR, implique la mise en place d’un modèle largement décentralisé. C’est pourquoi, l’Association des régions de France a pointé du doigt la possibilité de « territorialiser », et pourquoi pas au niveau de la Région, les procédures actuellement gérées au niveau national par la CRE. C’est un débat important. Je ne sais pas, à ce stade, ce qu’il adviendra de la gouvernance de l’énergie demain en France, mais il est certain que les Régions doivent être dans la boucle. Car nous avons la connaissance des entreprises et des projets qu’elles portent et il y a trop d’appels d’offre déconnectés des réalités du terrain. Au-delà, c’est l’ensemble du modèle énergétique français doit être décentralisé : le développement des ENR implique un tel changement de paradigme. Sur la distribution et le raccordement, la Région devrait d’ores et déjà être un échelon incontournable.

PS : Enfin et pour conclure, qu’attendez-vous du grand débat sur la transition énergétique pour la filière solaire dans votre région ?
JJQ : Le débat régional sur la transition énergétique ne concerne pas seulement le solaire mais tout à la fois l’évolution de notre mix-énergétique régional, la maîtrise de l’énergie et le développement des ENR. L’enjeu premier de ce débat doit être la prise de conscience de nos concitoyens, la réappropriation de la question de l’énergie qui a trop longtemps été confisquée par les experts.
Bien entendu, en tant qu’énergie d’avenir très prometteuse, le solaire en sera l’un des points forts. C’est d’autant plus vrai que Rhône-Alpes est dans ce domaine un territoire à très fort potentiel nous avons vu que nous partions de loin. J’attends aussi de ce débat sur la question du solaire, que nous avancions sur la structuration de la filière solaire dans notre Région. Enfin, le solaire est un élément du mix-énergétique, et son développement devra se faire en lien avec la maîtrise de l’énergie, dans les bâtiments notamment : je suis partisan de l’offre intégrée et c’est la bonne stratégie qui doit nous permettre d’affronter la concurrence très dure venant de Chine notamment.

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