Lundi 7 janvier dernier, Delphine Batho a choisi le site industriel de la société française MPO de fabrications de disques (CD, DVD, Blue-Ray) et de cellules photovoltaïques pour annoncer les mesures d’urgence pour la relance de la filière photovoltaïque française. Un choix qui était tout sauf anodin ! Parmi les mesures emblématiques retenues, la ministre a annoncé le doublement des volumes cibles à 1000 MW par an pour 2013 et elle a confirmé la bonification de 10% du tarif pour les installations réalisées avec des modules de fabrication européenne.
Et ce même pour les centrales au sol bénéficiant du tarif T5, ce dernier accusant une baisse attendue de 20% à effet rétroactif au 1er octobre 2012. Autre bémol : Le calendrier dilatoire des appels d’offres qui n’offre que peu de perspectives à court terme pour bon nombre d’entreprises. Détails de la thérapie d’urgence de Delphine Batho !
L’histoire est faite de hasard et de nécessité. Les deux concomitamment parfois. Quelques jours à peine après sa nomination au poste de ministre de l’écologie et de l’énergie, Delphine Batho reçoit à son bureau un cadeau assez encombrant, il faut dire, accompagné d’une lettre poignante sur la bataille que mènent les professionnels de la filière photovoltaïque pour leur survie. Le cadeau n’était autre qu’un panneau photovoltaïque Made in France estampillé MPO et la lettre, celle signée de Loïc De Poix, président du directoire de cette même société MPO installée à Villaines-la-Juhel en Mayenne.
Cette émouvante interpellation épistolaire n’a pas laissé la ministre insensible. « Ce n’est pas un hasard si la présentation des mesures d’urgence pour la relance de la filière photovoltaïque française que j’annonce aujourd’hui, se déroule ici chez MPO, symbole du patriotisme écologique, du défi industriel, de la création de valeur ajoutée et de la compétitivité écologique. Le gouvernement est aux côtés de la filière dans ce contexte de concurrence féroce. Car il y a urgence à préserver nos savoir-faire et nos technologies de pointe en la matière » lance la ministre en préambule.
Des appels d’offres toujours plus écolos et plus accessibles aux PME
Et d’urgence il est question avec les mesures déclinées après une visite commentée de la ligne pilote de la société et ses cellules qui flirtent avec les 19% de rendement: Doublement des volumes cible pour 2013 (1000 MW contre 500 MW), nouveaux appels d’offres, bonification du tarif d’achat en fonction du lieu de fabrication des modules. « Nous privilégions un soutien responsable à la filière où chaque euro doit être synonyme de création d’emplois. L’impact économique représente un investissement de 2 milliards d’euros avec à la clé le maintien ou la création de 10 000 emplois pour un coût de 90 à 170 millions d’euros supporté par la CSPE. Cela représente 1 à 2 euros par an par consommateur » confie la ministre qui revendique ce choix maîtrisé dans la durée. Plus en détail, le lancement du nouvel appel d’offre est programmé pour début 2013 autour d’un objectif global de 400 MW répartis à parts égales entre deux familles :
200 MW pour les technologies innovantes telles le photovoltaïque à concentration ou les techniques de suivi du soleil. Il est à noter qu’un rendement élevé fera partie intégrante des technologies innovantes, une disposition qui concerne directement la société MPO.
200 MW pour les technologies matures. Le dossier de presse du ministère évoque les ombrières de parking et les bâtiments. La centrale au sol, oui, mais pas à n’importe quel prix !
En effet, le futur cahier des charges mettra en exergue l’implantation privilégiée des projets sur des terrains à faible valeur concurrentielle, notamment des friches industrielles ou des terrains pollués ou dégradés, afin d’éviter tout conflit d’usage avec les activités agricoles ou forestières. Objectif : Minimiser l’impact des projets sur l’environnement et la biodiversité. Dans la même veine, l’impact carbone des projets sera mieux pris en compte afin d’atténuer la contribution des projets au changement climatique. Des appels d’offres plus écolos ! Il est à noter qu’un second appel d’offres, lancé au cours de l’année 2013, privilégiera d’autres technologies innovantes dans le domaine solaire. Autre signal fort sur ces nouveaux appels d’offres : L’assouplissement dans la constitution des garanties bancaires qui jusque là favoriser les grands groupes très capitalisés. « Là encore, le gouvernement montre qu’il est aux côtés des petites et moyennes entreprises pour résoudre les problèmes de financement et faciliter leur candidature aux appels d’offres. C’est un message que nous lançons aux banques » poursuit Delphine Batho.
Un moratoire d’un an qui ne dit pas son nom
Des évolutions plutôt positives donc ! Un Å“il sur le calendrier prévisionnel de ce premier volet d’appel d’offres fait cependant retomber l’enthousiasme de certains professionnels.
Date de limite de remise des offres : Septembre 2013.
Désignation des lauréats de l’appel d’offres Mars 2014.
Date limite de mise en service des projets lauréats : Mars 2016.
« Avec un tel calendrier d’appels d’offres, on recommence à travailler à la fin du premier trimestre 2014. Ce calendrier reste trop long dans le cadre de mesures d’urgence » soupire Thierry Mueth président du Syndicat Enerplan, qui note cependant quelques progrès, une vision, une nouvelle envie de photovoltaïque qui garde un avenir dans le débat. Un opérateur développeur évoque plus durement un moratoire d’un an qui ne dit pas son nom. D’autant que la réduction de 20% du tarif T5 – tarif qui dégrade lourdement la balance commerciale de la France dixit la ministre -, appliquée rétroactivement au 1er octobre 2012 et certes compensée par l’éligibilité de ce tarif à la prime de bonification de 10%, a considérablement réduit le portefeuille de projets à travailler en 2013 pour de nombreux acteurs. C’est un fait : Les appels d’offres et leur inertie administrative ne font pas l’unanimité au sein de la filière.
Une bonification volontariste
Quid de la bonification de 10% ou plutôt 5% + 5% qui entrera en vigueur pour les tarifs T1 et T4 à la date de publication de l’arrêté ? Deux conditions sont préalables à l’obtention des 10% :
Toutes les étapes du processus de transformation des plaquettes de silicium aux cellules ont été réalisées sur un site de production installé sur un site de production au sein de l’Espace économique européen
Toutes les opérations de soudage des cellules, d’assemblage et de lamination des cellules et de tests électriques des modules ont été réalisées sur un site de production au sein de l’Espace économique européen
Le savoir-faire européen et la qualité deviennent des piliers du développement du photovoltaïque en France. « J’encourage d’ailleurs les consommateurs français à y aller, à installer du solaire » clame la ministre. « Dans le cadre de cette bonification, il y aura bien sûr un contrôle du respect des critères à priori et à posteriori sur site » ajoute la ministre qui, par ailleurs, n’a pas peur des risques juridiques liés à cette mesure dans un contexte international tendu sur fond d’enquête antidumping envers la Chine. Elle assume en tous les cas cette part de risque, cette « alternative à la force du renoncement pour sauver la filière française » en brandissant deux articles du code de l’environnement et de l’énergie (L314.7 et L121.1). « Dans la lutte que nous menons tous contre le réchauffement climatique, certains critères peuvent justifier des mécanismes de primes comme c’est le cas avec cette bonification. Ce n’est pas comme si nous fermions le tarif d’achat aux produits importés » explique-t-elle très déterminée.
Dans la transition de la transition
Voilà qui fait dire à Loïc De Poix combien la filière solaire française peut compter sur une ministre dynamique, qui bouge et qui ne craint pas de bousculer l’ordre établi. MPO doit pouvoir compter sur Delphine Batho pour finaliser son projet d’entreprise PV 25, un investissement de 70 millions d’euros pour la création d’une nouvelle usine et l’implantation de deux lignes de production de cellules de 70 MW chacune entre 2014 et 2015. En jeu, plus de deux cents emplois. « Nous sommes très heureux de ces mesures d’urgence. Mais nous attendons aussi beaucoup des mesures finales du débat sur la transition énergétique pour construire sur le long terme» renchérit le patron de MPO. Même son de cloche du côté du SER et de Jean-Louis Bal, son président. « Ce n’est pas encore le grand plan solaire photovoltaïque attendu par toute la profession. Il faut faire vite alors que le débat national sur la transition énergétique s’étire déjà dans la pesanteur. Il n’est pas nécessaire d’attendre une loi pour lancer des mesures. Si ça continue comme cela, on va arriver à la fin de la mandature de François Hollande sans que rien ne se passe sur le solaire » glisse Jean-Louis Bal. En échos, Bruno Cassin, le PDG de Sillia Energie évoque des « mesures d’attente qui n’arrivent pas assez tôt et pas assez fort avec une baisse du tarif T5, sujet majeur qui pose question ». Pour Delphine Batho, en revanche, le cap est clair. « Nous sommes dans la transition de la transition. Nous avons sur le photovoltaïque et sur les autres énergies renouvelables une volonté claire et durable avec de gros enjeux en termes de financement avec la réforme de la CSPE et la question de l’autoconsommation. Notre politique sera stable dans une logique de patriotisme écologique. Quand je vois la mobilisation des équipes de MPO, leur technologie de pointe, je me dis que la France doit pouvoir tirer son épingle du jeu dans la compétition internationale » conclut la ministre qui aura su apporter, par son dynamisme et son volontarisme, l’espoir à la filière. « L’espoir, un habit de lumière dans l’ombre du chagrin » chantait Ferré. Peut-être le chagrin d’un illusoire grand soir du solaire photovoltaïque ?
Réaction de Pascal Janot, PDG de Systovi
« Ces mesures sont un peu tardives mais elles vont dans le bon sens. Reste maintenant à les consolider dans les prochains mois. Nous avons beaucoup souffert des politiques de stop and go ces dernières années. Ces mesures répondent à l’urgence de la filière même si le doublement des volumes ne veut pas forcément dire doublement du marché. Nous nous réjouissons de la bonification Premium sur le Made in Europe. Autre fait marquant : Une Communication à nouveau positive sur le photovoltaïque. Nous faisons beaucoup de résidentiels et nos clients sont très sensibles à la communication faite autour du produit. En attendant l’autoconsommation qui devrait devenir réalité fin 2013 début 2014 avec des innovations comme le stockage de l’électricité sous forme de chaleur via l’eau chaude sanitaire. On positive »