Projet d’arrêté : Vous avez dit stabilité ?

Le projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil a fait l’effet d’une douche froide chez les professionnels de la filière. La baisse de 20% du T5 à effet rétroactif au 1er octobre 2012 sans aucune consultation préalable a replongé les acteurs du photovoltaïque dans l’incompréhension et la désillusion la plus totale. Reste quelques avancées comme le doublement des volumes cible pour les installations de petite taille et la hausse attendue de 5% du T4. Commentaires !

«Une véritable politique du renouvelable en France reposera sur la clarification des règles administratives, la stabilité des aides, des dispositifs fiscaux et du système des prix de rachat; le soutien à l’innovation». Ces propos ont été tenus par François Hollande le 14 septembre dernier lors de la Conférence Environnementale. Dans les faits, la divulgation du projet d’arrêté qui fixe les conditions d’achat du photovoltaïque ce mardi 6 novembre 2012 remet en cause la parole même du chef de l’Etat. Notamment en matière de stabilité pour laquelle il faudra repasser. Le tarif d’achat de base, le fameux T5, se voit en effet subir une baisse de 20%, sans aucune justification, avec effet rétroactif au 1er octobre 2012. Voilà qui replonge les professionnels qui n’avaient vraiment pas besoin de cela dans la gestion erratique de ces dernières années contrairement aux promesses énoncées.

Le solaire moins cher que l’EPR

« Chapeau. Ahurissant. Vive le nucléaire. Question transition énergétique on peut attendre la prochaine fois. C’est une mascarade. Cette baisse de 20% du T5 proposée en catimini, sans aucune concertation, me donne des frissons dans le dos quant à la gouvernance de ce pays. Nous sommes pris en otage par des gens qui cultivent le conflit d’intérêt » juge amèrement Thierry Leperq, le président de Solairedirect. Il désapprouve ce projet d’arrêté qu’il juge antisolaire et anti aménagement du territoire. « Avec un tel tarif, le solaire au sol en Poitou-Charentes, c’est fini. Quelle est la logique derrière tout cela ? Pourquoi punir ce territoire et déstabiliser encore une fois les filières qui existent dans ces régions ? » interroge-t-il. Raphaël Claustre, directeur du CLER (Comité de Liaison Energies Renouvelables), ne comprend pas vraiment cette baisse sur le T5 et la juge en tous les cas ridicule. « Un emballement des projets, même relatif car les demandes en file d’attente sont souvent surestimées, avec un tarif à 102,40 euros le MWh me semble quelques chose de plutôt positif. Cela prouve que le photovoltaïque peut marcher avec un risque peu élevé en termes de coûts pour la CSPE surtout en comparaison avec l’éolien off-shore qui s’affiche à 180 euros le MWh. Sachez par exemple aujourd’hui qu’EDF se bat pour que le gouvernement anglais achète le MWh du nouvel EPR à 140 euros. Le solaire moins cher que l’EPR, pas mal non ! » s’enthousiasme Raphaël Claustre qui voit dans le photovoltaïque une technologie décidément indomptable. « Même quand un gouvernement décide d’en limiter les volumes, il n’y arrive pas » poursuit-il. Et si le photovoltaïque finissait par faire peur ? Et si son développement incoercible, en dépit de toutes les chausses trappes placées en travers de son chemin, dérangeait les tenants des oligopoles de l’énergie au-delà même des politiques ? Ces questions se posent aujourd’hui avec acuité tant il devient compétitif par rapport aux autres énergies.

Une baisse qui donne un signal catastrophique aux investisseurs

Cette baisse proposée du tarif T5 représente, une incontestable épine
dans le pied, des développeurs de centrales au sol qui étaient parvenus ces derniers mois, souvent dans le sud-est de la France il est vrai, à monter des projets rentables sur la base de 102,40 euros le kWh. A 84 euros le kWh, c’est mission impossible. Même Thierry Leperq qui vante les fameux PPA (Power Purchase Agreement) estime néanmoins ne pas encore pouvoir se passer d’un tarif à plus de 100 euros le MWh. « Notre business model autour du PPA, qui est un modèle de transition, ne signifie pas que l’on s’affranchit du tarif mais qu’on parvient à le prolonger sur trente ans. Le système du tarif d’achat apporte de la sécurité aux investisseurs. Il est difficile de financer de tels projets sans tarif » confirme le patron de Solaire Direct qui a par ailleurs été souvent pris à partie par ses pairs pour ses positions radicales à l’encontre du tarif. Cette baisse représenterait donc un signal catastrophique par rapport à la sécurité de l’investissement. Avec en sus l’image d’un pays non fiable dans ses orientations. « Sans oublier que le T5 n’est pas éligible à la majoration des 10% à venir. Voilà qui n’est pas fait là encore pour encourager l’industrie française » ajoute, exaspéré, Thierry Leperq.

Il serait inacceptable de fléchir une fois encore

Cette baisse brutale du tarif T5 soulève également des questions par son caractère homogène sur l’ensemble du territoire. Elle exclut toute logique de régionalisation et entretient le risque d’une concentration des projets dans le seul extrême sud-est de la France, si tant est qu’il soit encore possible d’en réaliser à ce tarif. « Une baisse de 10% pour le Sud et une hausse de 10% dans le Nord auraient été plus sensées et plus équilibrées. Un écart de 20% entre le Nord et le Sud aurait permis de compenser » estime Raphaël Claustre. Cette disposition fera d’ailleurs partie des amendements que le CLER déposera avant l’analyse du texte au Conseil Supérieur de l’Energie le 13 novembre prochain. Sur ce tarif T5, Bruno Spinner, président de Luxel, demande pour sa part aux syndicats et aux associations concernées d’opposer une fin de non recevoir à ce projet d’arrêté. « Les syndicats qui représentent la profession ne peuvent pas accepter de sacrifier un tarif et ses acteurs pour sauvegarder temporairement les acteurs restants sur les autres segments. Le ministère se situe là dans la logique d’opposer pour mieux régner. Il serait inacceptable de fléchir une fois encore. C’est la porte ouverte à une remise à plat de tous les tarifs à l’avenir. Une position de refus simple et coordonnée des syndicats est l’unique réponse avec pourquoi pas une limitation de puissance à 10MWc si c’est le volume qui leur fait peur et l’aveu d’une production d’énergie loin d’être si onéreuse » se fend-il. Pour les spécialistes du T5, il reste les appels d’offres à venir pour étoffer leur portefeuille. « Au vu des cautions financières exigées, ces appels d’offres sont clairement fléchés pour les gros acteurs du secteur » déplore un chef de PME excédé. Thierry Leperq parle même de scandale pour ces appels d’offres totalement opaques qui avec des tarifs qui flirtent avec les 200 euros le MWh Cette baisse du T5 apparaît donc comme un véritable coup de poignard pour les petits opérateurs qui en avaient fait leur bouée de sauvetage au milieu de la tempête.

La hausse de 5% du T4 confirmée

Ce projet d’arrêté contient néanmoins de bonnes choses comme le potentiel libéré avec le doublement des volumes cible déclenchant l’ajustement tarifaire pour les installations résidentielles éligibles à l’intégration au bâti. Suite à ces modifications, la baisse trimestrielle des tarifs IAB pour le résidentiel sera de 2,6% lorsque la puissance entrée en file d’attente de raccordement lors du trimestre précédent sera comprise entre 46 et 54MW (contre 23 et 27MW actuellement). « Ce n’est pas encore suffisant mais c’est un bon signal » tempère Raphaël Claustre. Autre bonne nouvelle attendue celle-là, celle de la hausse du tarif T4. Pour toute demande de raccordement effectuée à compter du 1er octobre 2012, les tarifs ISB applicables sont revalorisés de 5% par rapport aux tarifs ISB du 3ème trimestre 2012, soit : 19,34c€/kWh pour les installations ISB entre 0 et 36kWc et 18,37 c€/kWh pour les installations ISB entre 36 et 100kWc. Raphaël Claustre nuance : « Même si la hausse de 5% du tarif T4 peut apparaître comme la bonne nouvelle de ce projet d’arrêté, elle n’en demeure pas moins selon nous un signal un brin contradictoire dans la logique de baisse actuelle et des projets actuels d’autoconsommation qui se font jour. Nous aurions préféré un vrai tarif surimposé, la mise en Å“uvre de ISB renchérissant les projets de 10%. Cela fera partie des autres amendements que le CLER portera vraisemblablement devant le CSE avec également la simplification des arrêtés qui, pour tout dire, est plébiscité par tout le monde ». Quelles sont donc les dispositions qui seront retenues ? Quels sont les acteurs qui tireront leur épingle du jeu et ceux qui seront contraints de tirer le rideau ? A chacun de prendre ses responsabilités afin que la filière ne connaisse pas une nouvelle saignée et s’épanouisse enfin dans un cadre stable et empreint de sérénité. Sans cela, elle aurait alors beaucoup de mal à se relever.

Encadré

Quid de la majoration de 10% ?

L’autre projet d’arrêté proposé par le ministère met en Å“uvre la feuille de route pour la transition écologique, selon laquelle « Les tarifs d’achat seront assortis d’une bonification d’au plus 10% en fonction de l’origine des composants des panneaux photovoltaïques ».
Les installations éligibles à la majoration sont celles pour lesquelles les modules photovoltaïques vérifient au moins deux conditions parmi les trois ci-dessous:

toutes les étapes du processus de transformation du lingot de silicium aux plaquettes de silicium des modules photovoltaïques ont été réalisées sur un site de production installé au sein de l’EEE ;
toutes les étapes du processus de transformation des plaquettes de silicium aux cellules des modules photovoltaïques ont été réalisées sur un site de production installé au sein de l’Espace économique européen (EEE);
toutes les opérations de soudage des cellules, d’assemblage ou de lamination des cellules et de tests électriques des modules photovoltaïques ont été réalisées sur un site de production installé au sein de l’EEE .

Les films photovoltaïques couche minces sont également éligibles à la majoration tarifaire. Les tarifs majorés sont les tarifs T1, T2, T3 et T4 de l’arrêté du 4 mars 2011. En vue de bénéficier de la majoration tarifaire, le producteur envoie au gestionnaire de réseau sur laquelle est raccordée l’installation, en même temps que sa demande de raccordement, une demande de majoration tarifaire. Le producteur envoie également à l’acheteur obligé avant la mise en service de l’installation un certificat attestant que l’installation est éligible à la majoration tarifaire (cf conditions ci-dessus), ainsi qu’une attestation sur l’honneur.

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